La radicalité évangélique est extrême. Tellement que je prêchais
il y a peu qu’elle ne pouvait être qu’antiphrase. Si déjà la loi ancienne, les
commandements de la première alliance, ne peuvent être respectés, combien plus ceux
d’une radicalité plus grande encore ? L’antiphrase dénonce l’impossibilité
de l’être parfait. La perfection n’est pas ce que l’homme peut atteindre en
respectant la loi ‑ c’est impossible ‑, mais le propre de Dieu. La sainteté
est ce que Dieu rend possible et non l’observation d’une loi de perfection.
Il se pourrait que la loi nouvelle, dans sa radicalité même,
soit pourtant plus accessible que l’ancienne, si celle-ci ne se résume pas au décalogue
mais désigne les six cents treize commandements ! Il se pourrait surtout
que seule la radicalité évangélique puisse sauver le monde, restaurer la
fraternité chaque fois qu’elle est blessée, la ressusciter chaque fois qu’elle
est assassinée. Que de conflits dans nos vies, plus ou moins graves, de la
simple dispute sans lendemain aux guerres meurtrières ! Qu’est-ce qui
permet d’en sortir, qu’est-ce qui pourrait permettre d’en sortir ? Un seul
chemin, la radicalité du don, s’offrir à l’autre sans limite, jusqu’à l’amour
des ennemis. « On vous a dit », « moi, je vous dis ». (Mt
5, 17-37)
La vie de Jésus est radicalité de l’amour et de la fraternité,
radicalité du respect de l’autre, radicalité de la vérité. Sans cette
radicalité, on peut vivre, certes, mais l’on ne sauve rien, on ne restaure
rien. On ne sort d’un conflit qu’à se pardonner, c’est-à-dire à s’aimer plus
fort que le mal fait ; on ne respecte l’autre qu’à ne pas le posséder,
même du regard ; on n’est disciple de la vérité qu’à tenir parole, sans tergiverser.
Alors que les sociétés, partout dans le monde, connaissent
de violentes convulsions que le changement de repères occasionne, notamment à
cause ou grâce à la mondialisation et la rencontre des cultures et religions, alors
que les certitudes sont relativisées par la découverte, chez soi, d’autres
cultures et religions, il est plus important que jamais, si l’on ne veut pas d’une
guère mondiale ou civile, d’aller à la radicalité de la fraternité, du respect
de l’autre et de la parole donnée.
Radicalité de la fraternité parce que l’on ne peut accepter
de dire, ou que soit dit, du mal du frère ; radicalité du respect, parce
que regarder l’autre en le désirant, même en secret, est déjà le considérer de
façon intéressée et non pour lui-même ; radicalité de la parole donnée parce
que le mensonge est déjà violence. Préférence pour les siens, ceux qui nous
ressemblent, discrédit jeté sur les autres, calomnie ou racisme, machisme aux
propos injurieux envers les femmes ou homophobes, manquement à la parole donnée
et conflits d’intérêt, ne sont-ils pas nombreux ceux qui gouvernent ou y
prétendre à pouvoir être reconnus dans ce portrait ? Ils disent vouloir
nous protéger et nous sauver mais ne pourront que mener le monde à sa perte et
nous avec. Nous sommes nombreux qui pourrions nous reconnaître dans ce
portrait, qui nous prétendons justes au point de ne pas nous remettre en cause.
La catastrophe est à la porte. Voilà pourquoi la radicalité
s’impose. Même si l’on ne croit pas en Dieu, y a-t-il d’autre solution pour la
paix dans le monde, dans nos sociétés, dans nos entreprises et familles, que la
radicalité de la fraternité, du respect de l’autre et de la parole donnée ?
Et nous, disciples de Jésus, ne percevons-nous pas l’urgence de l’annonce de
cet évangile par toute notre vie ?
Mais alors, si la recette de Jésus est la solution indépendamment de la foi, ici désignée comme la justice
des scribes et pharisiens, sa prédication déboulonne le principe religieux
comme principe de perfection. Ce n’est pas l’observance religieuse qui mène à
la perfection, si tant est que cela soit possible, c’est la radicalité de la
fraternité, de l’amour puisque même l’ennemi doit être aimé, du respect de l’autre
puisque le désirer c’est déjà le violer, de la parole donnée, puisque tout
autre chose que oui ou non est mensonge.
La radicalité pourtant prospère dans les religions, que l’on
pense à tous les intégrismes et fanatismes. Est-il bien responsable de prêcher
la radicalité ? La question est sournoise et l’on n’aura pas voulu
comprendre. La radicalité de Jésus n’est pas celle d’un dogme ou d’une morale,
d’une identité religieuse ou culturelle, mais celle du service, celle qui
consiste à toujours faire passer l’autre avant soi, même l’ennemi. C’est sans
doute la manière la plus radicale de lutter contre l’extrémisme nauséabond. C’est
en tout cas le chemin de Jésus.
- L’Eglise comme tant d’autres est ébranlée par le changement
de civilisation que nous vivons, lorsque des cultures et religions se
rencontrent au jour le jour en chaque quartier ou village et relativisent, par
cette rencontre, le caractère absolu de chacune d’elles. Viens, Seigneur,
donner aux disciples de ton Fils la paix et la confiance, la foi, pour qu’ils
se gardent fidèles à ta parole et soient artisans de paix et de réconciliation.
- Dans le monde, des hommes et des femmes s’engagent pour la
dignité de tout être humain, quels que soient son sexe, son âge, sa race, sa
religion, ses idées politiques. Ils veulent que l’humanité soit une fraternité
dans laquelle nous reconnaissons ton dessein de Père. Donne-leur la force du
combat, de l’agonie, de ton Fils.
- Des parents, des amis, comme chaque jour, ont passé la mort
ces derniers temps. Nous pensons particulièrement au père Claude Geffré,
théologien. Leur absence nous laisse blessés. Nous les confions à ta tendresse.
Que ton Fils ressuscité nous donne de nous relever avec eux du terrassement de
la mort.
- Notre communauté représente un si petit pourcentage dans le
monde que nous côtoyons, et tout spécialement que les jeunes rencontrent au
lycée. Garde nous dans la fidélité à ton nom.
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