La déchristianisation est irréversible. Au
moins pour les quelques générations à venir, les chrétiens représenteront une
minorité dans les sociétés anciennement chrétiennes et sans doute aussi dans
les pays où l’Eglise semble en expansion. L’attachement à Jésus Christ n’est
quasiment plus commandé par un impératif social ou familial. Dans une même
fratrie l’un ou l’une est disciple, l’autre non. La déchristianisation en tant
que mouvement d’ampleur n’est la faute de personne. Elle caractérise les
sociétés marquées en outre par la liberté de conscience, la séparation du
politique et du religieux et l’autonomie des réalités terrestres.
Si nous ne referons pas chrétiens nos
frères, quelle est la mission de l’Eglise ?
La situation de minorité voire
d’ex-culturation de la foi oblige à repenser notre petite théologie de poche. Des
versets de l’évangile semblent écrits pour nous. Etre sel de la terre ou
ferment dans la pâte n’a de sens que si toute la société n’est pas sel ou
ferment. On ne mange pas une assiette de sel ou de levure ! Le sel ne
change rien aux aliments, à leur qualité nutritive. Il réhausse le gout et leur
donne de se conserver. Notre rôle consiste ainsi à mettre en évidence que la
vie devrait être pour tous une bénédiction – « Et Dieu vit que cela
était bon ! » ‑ et à lutter contre la corruption, celle physique
de la maladie et de la mort, celle morale, qui tue les frères.
La situation fait réentendre la gratuité
de la foi. Si Dieu est juge, ce n’est pas pour récompenser des mérites, notre
foi, c’est pour dire radicalement non au mal. La foi est de l’ordre de la
gratuité, tout comme l’amour. Elle n’est pas un moyen ; en ce sens, elle
ne « sert » à rien. Lorsque le marché s’impose comme loi sociale, que
tout est jugé selon l’efficacité, les chrétiens sont les prophètes de la
gratuité, ce qui est particulièrement visible dans la solidarité avec les plus
fragiles, ceux qui ne comptent pas ou si peu.
En étant livrés corps et âme,
gratuitement, gracieusement, au service de l’humanité, dans le respect et
l’accueil de chacun, personne et communauté, dans son environnement et son
travail, nous répondons déjà très concrètement à l’appel de Dieu. Nous sommes
disciples de celui qui est venu pour servir et non pour être servi. Nous sommes
témoins du Dieu philanthrope, amis des hommes. La charité est en même temps
culte véritable, annonce de l’évangile et commandement nouveau. Elle est
l’exercice de notre mission baptismale, prêtres qui présentent au Seigneur l’humanité
tout entière, prophètes qui annoncent la parole de Dieu par toute leur vie, et rois
qui gèrent ce monde à la suite de Jésus.
Le commandement de l’amour devrait donc
être le principe qui organise la mission. Il exige une nouvelle hiérarchisation
des activités de l’Eglise et une restructuration institutionnelle. Cela peut
faire peur et paraîtra à certain seulement et vaguement humaniste. C’est
pourtant le commandement du Seigneur. La déchristianisation ne nous laisse pas
démunis et n’a pas de quoi nous affoler. Elle est seulement le cadre dans lequel
nous devons être témoins de l’amour de Dieu. Qui seront les ouvriers de l’évangile ?
A moins que la déchristianisation ne
vienne nous conforter dans notre tiédeur à être disciples et nous encourage à
l’indifférence. Nous en serions alors pour partie responsables. Sommes-nous chrétiens
pour des valeurs ou à cause de Jésus ?
Pour répondre à notre vocation baptismale, quels moyens nous
donnons-nous ? L’amour des frères décide-t-il de nos choix de vie ? Quel
souci avons-nous de l’assemblée qui fait mémoire chaque dimanche de la mort et
de la résurrection de Jésus en rompant le pain ? Nos enfants vont au caté,
et nous ? Ils y vont pour la première communion, et après ? Alors qu’elle
organise la liberté de conscience, d’expression et de culte dans l’espace
public, ne prenons-nous pas prétexte de la laïcité pour ne pas parler de notre foi ?
Les prêtres font-ils leur travail correctement, comment prêchent-ils ? Aident-ils
à comprendre la foi aujourd’hui ? Se contentent-ils de répéter hier ?
La déchristianisation nous convoque au
sérieux de la foi. « Si le sel s’affadit, avec quoi saler ? » Il
faut des ouvriers de la bonne nouvelle. Ne devons-nous pas cela à l’humanité
pour être à son service ? Dans la mission, nous apprenons combien le
Seigneur nous aime.
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