Ne regarde pas nos
péchés, mais la foi de ton Eglise. A chaque célébration, nous répétons cette
prière. Comme si nous n’étions capables que de pécher et que l’Eglise, dont
tous connaissent les ignominies à travers les siècles, croyait, elle, dégagée
de tout péché.
En
parlant de la foi de l’Eglise, il ne peut s’agir de nier sa précarité
institutionnelle, voire son péché. Pour comprendre la formule, il faut se
demander pourquoi l’on parle de la foi de l’Eglise, pourquoi l’on dit que l’Eglise
croit. On voit bien comment chacun peut croire, mais que signifie que l’Eglise croit ?
Cela
nous invite à revoir notre compréhension du sujet, du « je », source
des actes, pensées, émotions, victime ou aimé d’autrui. Pour nous, un sujet est
un individu. Et cela fait longtemps que l’on pense ainsi en Occident, cela fait
longtemps que la compréhension de l’évangile participe à l’advenue du « je ».
Nous disons ainsi « je crois », « je crois en Dieu ».
Il
est vrai, certaines professions de foi anciennes disent « nous », « nous
croyons ». Elles témoignent d’une compréhension de la société différente
de la nôtre. Pour le meilleur et pour le pire, la famille, au sens large, le « nous »
y est plus important que l’individu, a une consistance telle qu’il n’existe pas
d’individuel mais toujours du collectif.
L’importance
de la communauté par rapport à l’individu sacrifie souvent les personnes qui
sont engagées dans des solidarités qu’elles n’ont pas choisies. Pire, on ne
supporte pas que tel ou tel sorte du lot voire remette en question l’équilibre
et le style de vie traditionnel. La société traditionnelle a du mal à comprendre
qu’un individu la remette question.
Il
y a quelques années, j’ai demandé à une carmélite de prêcher une retraite. Les sœurs
m’ont répondu que ce n’était pas leur vocation, parce que ce n’est pas
individuellement mais par la communauté qu’elles rendent témoignage de l’espérance
qui les habite. Voilà qui est étonnant, alors que dans notre société
déchristianisée l’acte de foi paraît la décision libre et personnelle,
individuelle et intime, de celui qui s’engage. Pourtant, la foi est l’affaire
de l’assemblée à laquelle j’appartiens avant d’être mon affaire.
Ainsi,
le Nouveau Testament montre une communauté, non des individus. Jésus n’est
jamais présenté sans ses disciples, les Douze, la totalité du peuple de Dieu. L’histoire
de l’Eglise, certes, s’édifie grâce à la vie de différentes personnes, mais n’est
pas l’histoire de ces personnes. Regardez les Actes. La première partie suit
Pierre, la seconde Paul. Mais ni de l’un ni de l’autre on ne raconte l’histoire.
Que devient Pierre quand Paul prend le relai ? On ne sait pas. Que devient
Paul à son arrivée à Rome ? On ne le dit pas.
C’est
que l’on ne raconte pas l’histoire de Pierre ou de Paul. On raconte le trajet
de la Parole de Jérusalem à Rome. N’importe pas la vie individuelle de Pierre
ou Paul. Ils sont là comme des figures de l’Eglise, des visages
l’Eglise.
Ce
n’est pas moi, toi, lui, qui croient, mais notre Eglise. Chacun, chaque « je »,
pour dire la foi, se dépouille de son individualité pour servir, de façon libre
et responsable, ce corps où personne ne peut vivre sans les autres membres (1
Co 12,13). N’importe pas ma foi, mais la vie du Seigneur ressuscité en son
corps. Croire, c’est être au service du Seigneur pour que son corps soit
vivant, pour qu’il ait une chair que l’Esprit anime. C’est l’Eglise qui
croit.
Ne
se pose pas la question de savoir si je suis assez croyant ou non, si j’ai des
doutes ou non. Mon péché, mes limites, tout cela est oublié (il ne s’agit
évidemment pas de laxisme) car c’est l’Eglise et sa mission qui importent. Regardez
l’Eglise. Malgré le péché de chacun, elle demeure au service des pauvres. Regardez
les chrétiens engagés dans ce service, jour après jour, visite des hôpitaux,
des prisons, soutien de Caritas ou
solidarité internationale. Regardez ceux qui prient, dans les monastères ou
dans leur chambre. Voilà notre Eglise, celle qui s’en remet au Père. Ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton
Eglise. L’Esprit n’est pas une expérience individuelle : il se communique
à l’assemblée, comme les flammes multiples d’un unique feu (Ac 2, 1-11). Qu’il
est bon de se reposer paisiblement sur la foi de l’Eglise !
Sauf
que certains se présentent ou sont présentés comme l’Eglise. Ils prennent, ou l’on
prend, leur parole pour celle de l’Eglise, ils se servent de l’Eglise plutôt qu’ils
ne la servent et se comportent comme des vedettes. Le star-système fonctionne
aussi dans l’Eglise ! Or ceux-là, comme tous, parfois plus, sont pécheurs !
Scandale qui peut provoquer la haine de l’Eglise et détourne tant de monde de l’évangile.
Ne regarde pas nos péchés mais la foi de
ton Eglise.
N’importe
jamais notre personne, avec notre péché, que nous supplions le Seigneur de ne
pas regarder. Importe le trajet de la Parole, au service de tous, des Jérusalem
d’aujourd’hui, sources où nos communautés prennent naissance et se désaltèrent,
aux Rome d’aujourd’hui, centres capitaux de la vie des hommes, quand bien même
il s’agirait de périphéries.
Salut, ton commentaire sur la foi de l'Eglise est remarquable, franchement, on sent que tu as eu le temps d'y réfléchir - à ce que cela peut vouloir dire que croire en Eglise, en fonction des difficultés de tous et de chacun, de nos faiblesses personnelles, de celles de nos communautés, et de celles de la hiérarchie ! Bertrand.
RépondreSupprimer