Le monde ne cesse de passer par des convulsions inquiétantes. Les
catastrophes dites naturelles se sont multipliées ces dernières semaines,
particulièrement en Amérique centrale et aux Caraïbes. La paix semble si
fragile, que l’on pense seulement aux Etats-Unis et à la Corée du Nord. Nos
sociétés peinent à offrir un cadre de vie où tous se sentent en sécurité et
respectés. Les actes terroristes se multiplient. Tant d’hommes et de femmes, d’enfants, vivent dans la pauvreté, et
pas seulement à l’autre bout de la planète... Sur quoi déboucheront la crise
catalane et le Brexit ? Le gouvernement français parviendra-t-il à développer une action
politique ou sera-t-il, comme les précédents, à la remorque de l’argent roi et
de l’économie libérale qui imposent leur loi ?
Sans doute, ces
convulsions ne sont pas pires que celles que les civilisations ont toujours traversées. Nous sommes
peut-être davantage démunis parce que nous manquons de repères, comme l’on dit.
Non pas que notre monde irait davantage qu’hier à vau-l’eau. Mais tant de
choses sont nouvelles qu’il faut apprendre à vivre et à penser autrement, en dehors
d’un cadre fixe, solide, connu, à partir duquel les événements pourraient être
évalués. La mondialisation est non seulement économique, mais aussi sociale et
culturelle. Les migrations actuelles font se côtoyer toutes sortes de conceptions
du monde. C’est aussi passionnant que cela peut paraître effrayant.
Nous avons le devoir, le responsabilité, d’apprendre à penser hors des
repères, hors des grands récits dont nous savons qu’ils ne sont que
mythification, mensonge historique écrit par et pour les vainqueurs. Nous ne
reviendrons pas au monde d’hier, qui n’a d’ailleurs jamais existé ainsi que
nous le rêvons à le reconstituer. Ne devons-nous pas pour le service de la paix
et de l’humanité, au nom de notre foi, nous obliger à penser autrement ?
Peut-être pas mieux, mais de façon à comprendre ce qui nous arrive, à prendre
les décisions pour « une vie bonne, avec et pour les autres, dans des
institutions justes ».
En plus de nos activités ordinaires, en
plus de notre vie de foi et ce que nous faisons pour lui donner de se
développer et de s’exprimer, nous ne
pouvons pas nous dérober à l’intelligence du présent. Ou plutôt, nos activités
ordinaires et notre foi nous obligent à nous dépayser, à penser autrement. Cela
au moins n’est pas nouveau : « Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais
que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner
quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est
parfait. » (Rm 12,2)
Pour renouveler
notre manière de penser, voilà trois titres qui peuvent intéresser.
Histoire
mondiale de la France,
sous la dir. de Patrick Boucheron,
Seuil, Paris 2017
Cent
vingt-deux auteurs, autant de dates présentées chronologiquement et regroupées
par périodes, autant de notices de quelques pages chacune. On appréciera la
précision des textes et le travail qui met les travaux érudits à la portée du
plus grand nombre, ainsi que la conception de l’histoire, portée par son
directeur, professeur au Collège de France. Quand commence la France,
demandera-t-on par exemple. Avec les Gaulois ou avec les peintures rupestres de
la Grotte Chauvet ? Avec le baptême de Clovis ou la dynastie
capétienne ? Qu’est-ce que signifie faire telle réponse, comment et
pourquoi en choisir une plutôt qu’une autre ? Qu’est-ce alors que la
France ? Est-ce elle ou pas, la Rafle du vel’ d’hiv ? L’histoire n’est
pas, au service de la gloire d’une nation, un récit orienté vers un but, dont
personne, au moment même des événements, ne risquait de connaître le dénouement
ni de mesurer les conséquences. Elle doit, forte du légitime conflit des
interprétations, permettre d’approcher une vérité « scientifique », afin
qu’on ne puisse dire n’importe quoi (« les vérités alternatives »),
qu’il soit plus difficile de travestir le passé pour mieux confisquer la
démocratie. Faire de l’histoire est un acte citoyen, qui consiste à se donner
le temps de penser ce que signifient et rendent possible les diverses
perceptions que l’on a aujourd’hui ou hier du passé.
Frédéric Boyer, Là où le cœur attend, P.O.L, Paris 2017
Ce
dernier né des nombreux textes de l’auteur depuis un peu plus de 25 ans mêle
poésie, réflexion philosophique, méditation biblique, traversée littéraire et
une fois encore, l’intelligence d’une sensibilité aiguisée qui ne rate pas
grand-chose de ce qui nous arrive. Qu’est-ce que l’espérance ? En quoi
est-elle comme un gravillon dans la chaussure, qui fait boiter, questionne les
évidences, non seulement de la vie personnelle, mais de la société tout
entière ? Quand la vie pèse au point de devenir impossible, quand l’abîme,
celui de Job, des psaumes et de tant d’entre nous, appelle la mort, comment
vivre encore ? On voudra bien ne pas confondre espérance et superstition,
possibilité d’un miracle ou d’un happy-end. Si l’espérance est possible, c’est
parce qu’elle ouvre à la gratuité, fait dérailler les explications et la
causalité, et redonne à la vie sa force, celle de seulement être offrande.
Alice Ferney,
Les Bourgeois, Actes Sud, Arles 2017
Un
roman qui se lit facilement, l’histoire de la famille Bourgeois sur un peu plus
de cent cinquante ans, comment cette famille se constitue, ce qui la constitue,
ces repères et le monde qui change, le monde avec ses chaos, deux guerres
mondiales, les guerres coloniales, la vérité des camps d’extermination, les
attentats de Charlie-Hebdo, de nombreux autres événements que l’on ne
qualifiera pas pour n’être pas partisan, mai 68, la loi Veil, le féminisme, et
même, en quelques lignes, la Manif-pour-tous. La continuité d’une famille, cela
va de soi, confrontée, ou du moins face à un monde qui change.
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