18/08/2020

Pour les funérailles d'un nouveau-né

Lecture du livre de Job (3 à 14, passim)

Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. 
        Il prit la parole et dit :
        Périsse le jour qui me vit naître et la nuit qui a dit : « Un garçon a été conçu ! »
        Ce jour-là, qu'il soit ténèbres,
        que Dieu, de là-haut, ne le réclame pas,
        que la lumière ne brille pas sur lui ! […]

Étendu sur ma couche, je me dis : « À quand le jour ? »
       Sitôt levé : « Quand serai-je au soir ? »
       Et des pensées folles m'obsèdent jusqu'au crépuscule. […]

C'est pourquoi je ne puis me taire,
        je parlerai dans l'angoisse de mon esprit,
        je me plaindrai dans l'amertume de mon âme. […]

Ah ! je voudrais être étranglé : la mort plutôt que mes douleurs ! […]

Car c'est tout un et j'ose dire :
        il fait périr de même l'homme intègre et le méchant.
        Quand un fléau mortel s'abat soudain, il se rit de la détresse des innocents.
        Dans un pays livré au pouvoir d'un méchant, il met un voile sur la face des juges.

Si ce n'est pas lui, qui donc alors ? […]

Puisque la vie m'est en dégoût,
        je veux donner libre cours à ma plainte,
        je veux parler dans l'amertume de mon âme.
        Je dirai à Dieu : Ne me condamne pas,
        indique-moi pourquoi tu me prends à partie.
 

Est-ce bien, pour toi, de me faire violence,
        de rejeter l'œuvre de tes mains et de favoriser les desseins des méchants ? […]

L'arbre conserve un espoir, une fois coupé,
        il peut renaître encore et ses rejetons continuent de pousser.
        Même avec des racines qui ont vieilli en terre et une souche qui périt dans le sol,
        dès qu'il flaire l'eau, il bourgeonne et se fait une ramure comme un jeune plant.
        Mais l'homme, s'il meurt, reste inerte ; quand un humain expire, où donc est-il ?
[…]
        L'homme une fois couché ne se relèvera pas,
        les cieux s'useront avant qu'il ne s'éveille, ou ne soit réveillé de son sommeil.

Oh ! Si tu m'abritais dans les enfers, si tu m'y cachais, tant que dure ta colère,
        si tu me fixais un délai, pour te souvenir ensuite de moi :
        - car, une fois mort, peut-on revivre ?

 

De l’évangile selon saint Matthieu (11, 28-30)

En ce temps-là Jésus prit la parole et dit :

« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai.
Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes.

Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. »

 


 

Quand le malheur s’acharne, quand la souffrance et le drame s’abattent sur nous, il y a notre cri.
Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Pourquoi notre enfant ?
Pour certains d’entre nous, la vie est plus dure que pour d’autres. C’est déjà un sentiment d’injustice. Mais si l’on vient à perdre un enfant, et un second…
Quels mots ?
« Maudit soit le jour de ma naissance ». Que j’en finisse. Les enfers sont plus accueillants que la vie sur terre.
Votre cri, nous l’avons entendu avec les mots de Job. La vie comme douleur, la vie comme souffrance. Votre cri, avec celui de Job, est parole de Dieu.

Franchement, disiez-vous, je n’y crois pas.
Et comment pourriez-vous croire un Dieu qui fait mourir ? Comment pourrions-nous croire un Dieu qui tient la vie des hommes dans sa main et les fait mourir quand ça lui chante.
Votre cri comme celui de Job sauve Dieu de l’horreur. Dieu fait les hommes pour la vie.

Que répondre à votre cri ?
Rien. Il nous faut nous taire.
Il ne faut pas vous répondre pour faire taire votre cri. Ce serait violence encore et blessure et douleur que de répondre pour que cesse votre cri. Le cri des parents devant leur enfant mort résonne, insupportable : « Une voix dans Rama s'est fait entendre, pleur et longue plainte : c'est Rachel pleurant ses enfants ; et elle ne veut pas qu'on la console, car ils ne sont plus. » Massacre des innocents.
Nous taire.
Nous taire et être là avec vous. En silence, si vous le voulez bien, vous prendre dans nos bras, et pleurer avec vous. Et crier avec vous. Partager votre douleur, votre hébétement.
Si nous sommes dans cette église, ce n’est pas seulement pour que votre enfant reçoive une sépulture, ne meure pas comme un chien. C’est pour que nous puissions être avec vous. Nous taire et porter le fardeau de votre douleur, autant que faire se peut, avec vous.

Depuis le livre de Job, depuis la mort de Jésus et son « pourquoi » « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », les chrétiens sont athées du Dieu qui fait mourir. Mais ils s’adressent à Dieu. Leur plainte se dresse devant lui. Mon Dieu. Tu m’as abandonné. Votre cri est non seulement parole de Dieu mais aussi prière.
« Il faut dire que ce n’est pas Dieu ». C’est ce que m’avait dit un tout jeune marié au décès de sa femme.
Le croirez-vous ? Me croirez-vous ? Un Dieu qui fait mourir n’est pas Dieu. Il ne mérite pas qu’on croie en lui, il ne faut pas croire en lui.

Jésus est passé en faisant le bien. Et ceux qui sont écrasés par le douleur, la souffrance, l’injustice ou le sentiment d’injustice, Jésus, sans condition, s’approche d’eux. Parce qu’on n’est pas des chiens ! Parce que tout humain est digne. Parce que la mort, de quiconque, d’une enfant, c’est une catastrophe. Parce que le fardeau est trop lourd.
Pouvez-vous trouver auprès de lui un peu de repos ?
Pouvez-vous croire que nos bras sont ceux de Jésus pour vous ? Nos pleurs sont ceux de Jésus pour votre enfant ?

Survivre, disiez-vous. Oui, nous sommes en mode survie. Puisse la mort de votre enfant ne pas engloutir la vie. La vie pourra-t-elle être plus forte, pour vous, pour vos amis, votre famille ? Malgré les drames, aidons-nous à vivre ! La vie vaut mieux que tout, malgré la mort ; la vie est plus que la mort.
La résurrection commence ici, dans votre vie, à reconstruire, à res-susciter de quoi vivre, comme un souffle sur des braises quasi éteintes qui peinent à rougeoyer. Jésus prend avec vous le fardeau. Allez à lui, vous qui peinez sous le poids de la vie ; il veut pour vous, malgré les épreuves, même les plus impossibles, que vous viviez. Mon Dieu veut la vie pour vous. Me croirez-vous ?

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