16/04/2021

Pourquoi il est indispensable de ne pas croire aux apparitions du Ressuscité (3ème dimanche de Pâques)

Les apparitions du Ressuscité dans les évangiles témoignent principalement de la non-foi des disciples. Il faut multiplier les rencontres pour qu’enfin, la foi et la paix chassent la peur des disciples. Cette évidence textuelle est insupportable. La liturgie nous a fait entendre dans la nuit de Pâques l’évangile de Marc mais en supprimant le dernier verset, l’effroi des femmes qui ne disent rien à personne, en restant à l’annonce du jeune homme en blanc.

Dès les premiers manuscrits encore disponibles, on a ajouté à l’évangile une coda pour ne pas en resté sur le verset omis à Pâques et la peur des femmes. L’impossibilité de croire n’est cependant pas effacée, au contraire. Après l’annonce de Madeleine, « ceux qui avaient été ses compagnons ne la crurent pas ». Les deux disciples qui allaient à la campagne, « on ne les crut pas non plus ». « Enfin il se manifesta aux Onze eux-mêmes pendant qu'ils étaient à table, et il leur reprocha leur incrédulité et leur obstination à ne pas ajouter foi à ceux qui l'avaient vu ressuscité. » Nulle part il est dit qu’ils crurent.

L’évangile de Luc (24, 35-48) donne à la coda de Marc sa structure. Pas étonnant que l’on y retrouve la même incrédulité. Il n’est pas dit que les disciples crurent. Ils sont seulement accrédités comme témoins. Il est vrai, quand on lit aujourd’hui le chapitre 24 de Luc, les trois annonces semblent efficaces, mais c’est au prix d’une reprise du texte, très ancienne, sans doute après la crise marcionite, vers 160. Seul Jean dit, un peu, la foi, non de Pierre mais de l’autre disciple, et de Thomas, mais ne peut faire autrement que son chapitre des récits d’apparitions soit l’histoire de la résistance à la foi en la résurrection.

Pourquoi les évangiles racontent-ils cette résistance et pourquoi le gommage de cette résistance, très ancien et encore actuel. Pourquoi faudrait-il, évidemment, que les disciples croient comme un seul homme, d’un seul coup d’un seul, à la résurrection de Jésus ? Pourquoi la résistance à cette croyance est-elle insupportable, au point de faire de la résurrection un happy end, alors que ce n’est pas un homme triomphant qui apparaît aux disciples, mais le crucifié, alors que la vie pour beaucoup, n’est pas un triomphe, mais l’impossible bonheur ?

L’homélie de dimanche dernier a déclenché un certain nombre de réactions, très assertoriques. Plus la foi est fragile, plus il convient de la défendre de façon véhémente et sans appel. On cite la lettre aux Corinthiens : « si Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi ! » (1 Co 15, 14)

Je moque de la vanité de la foi. Je ne crois pas pour que ça marche. Je crois alors même que cela ne marche pas, je crois en dépit du mal, de la mort. Je crois alors que ceux que j’aime et tant d’autres, et moi aussi, sommes rattrapés par la mort. Et c’est précisément cette foi en Jésus malgré la mort et la souffrance, malgré l’absence de bonheur, qui est foi en sa résurrection. La résurrection, d’après les récits évangéliques, c’est le recul de la peur, c’est la paix et non l’angoisse devant la disparition de Jésus. Nous n’aurions pas à croire en la résurrection si la mort de Jésus avait définitivement supprimé la souffrance, la mort et le malheur. Le happy end interdit la foi. Voilà pourquoi il est indispensable de ne pas croire aux apparitions du Ressuscité, voilà pourquoi l’évangile raconte la non-foi des disciples et ne dit pas qu’ils crurent. En racontant la non-foi, les évangiles empêchent qu’on prenne la résurrection pour une fin heureuse. Ils invitent à vivre malgré la mort et la peur.

Que la résurrection ne passe pas ne doit affoler personne. C’est comme cela depuis le début et l’évangile raconte l’échec de cette annonce. Et malgré les retouches, demeure d’autant plus inscrite l’impossibilité de croire. Qu’ils croient ou non, les disciples, comme nous venons de l’entendre, sont faits témoins. Témoins de la nécessité de passer par la souffrance pour vivre, ou, si vous préférez, témoins de ce que la souffrance et la mort ne sont pas le dernier mot de la vie, que la vie passe la souffrance et la mort. C’est notre expérience quasi permanente, nous n’avons d’ailleurs guère le choix.

Comme je le disais dimanche dernier, la résurrection n’est pas un truc à croire, mais une vie avec le Christ, le Christ Jésus comme vie. Il est la résurrection. Ce qui fait de nous ses disciples, c’est l’attachement à cet homme et au renouvellement des cieux et de la terre dans l’annonce et l’action que tous sont frères et sœurs. Même si la mort et le mal demeurent – et c’est bien ce qui se passe – nous demeurons attachés à Jésus, au point d’en être les témoins deux milles ans plus tard. Si ce n’est pas l’indice qu’il est vivant, qu’il a vaincu la mort !

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