11/03/2022

Nous ne savons pas ton mystère (2ème dimanche de carême)

On ne saura jamais ce qui s’est passé sur la montagne. Persister à vouloir dissiper le mystère interdit de comprendre le texte (Lc 9, 28-36) qui précise que les disciples ne se trouvent pas dans un état ordinaire : « Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent… » « Il ne savait pas ce qu’il disait. » « Une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. »

Jésus n’est pas ce qu’ils pensaient. Jésus n’est pas épuisé par ce qu’ils en connaissent. Jésus n’est pas dit tout entier quand on a rapporté tout ce qu’ils ont vécu avec lui depuis le début, avec le baptême par Jean, jusqu’à sa mort, abandonné des siens.

De chacun d’entre nous, nous ne perçons jamais totalement le mystère. De Jésus pas plus que des autres, et, si une affirmation, fût-elle de foi, venait colmater la béance de l’ignorance, nous serions les plus à plaindre, de ceux qui ont stigmatisé le fils de l’homme, l’on réduit, assigné à une case. Dans l’évangile, ce sont les esprits mauvais qui savent qui est Jésus : « je sais très bien qui tu es. » Une hymne de la prièredes heures chante et nous fait reconnaître : « Nous ne savons pas ton mystère, Amour infini ».

C’est ce que raconte l’évangile de la transfiguration : nous ne savons pas le mystère infini de l’amour qui nous a touchés, qui nous précède, vivant au milieu des hommes en Jésus.

Repérons-nous un minimum. Jésus, fils d’Israël, est entouré de Moïse et Elie. Voilà qui permet un peu de le connaître, qui raconte un minimum qui il est, encadré par l’enseignement et la prophétie, la parole de bénédiction originaire et celle de son actualité au long des âges. Il y a celui que l’on comprend comme ai commencement et celui qui doit revenir, dilatant le temps du passé inaugural au futur eschatologique. Jésus résume et incarne non seulement le peuple élu, mais l’humanité entière qu’il a pour mère, ainsi que chacun. Nous devons chercher qui, dans notre humanité, avec Moïse et Elie permet de comprendre l’homme de Nazareth, d’en saisir ne fût-ce qu’une infime part. Les gentils, les gens dont nous sommes, l’ont donné à voir depuis des siècles. Et c’est encore notre raison d’être, disciples.

Nous flanquons Jésus, non que nous ayons la grandeur d’Elie et Moïse, mais que s’il s’agit pour Jésus d’apparaître, ce sera toujours par le truchement d’hommes et de femmes. « Nous ne voyons pas ton visage, Amour infini », poursuit la même hymne, mais tu as le visages de tous ceux qui te quêtent.

Il est plus convenant, et convenu, de placer les disciples que nous sommes avec Pierre, Jacques et Jean, qu’avec Elie et Moïse. En effet, lorsque nous parlons à Jésus, comme lorsque nous parlons de lui, nous ne savons pas ce que nous disons. Ce n’est pas circonstanciel mais structurel. Comment pourrions-nous tenir un discours de vérité sans être débordés par ce dont il s’agit ? Débordés, parce que nous ne comprenons pas, débordés, surtout, parce que nous ne sommes pas à la hauteur.

Qui peut parler de Jésus sans lui faire de l’ombre, sans être par le fait même de sa confession un faux-témoin ? Moïse et Elie, figures tutélaires, échappent du moins à notre inconstance, nous qui ne cessons de « clocher des deux jarrets ? » Abîme du mystère de Jésus, vertige d’en être les témoins. Ne vaudrait-il pas mieux se taire comme les femmes au vide du tombeau ? La peur qui les saisit n’est autre que celle des trois disciples sur la montagne. Qui sommes-nous pour que tu nous charges de ton nom ? Ce n’est plus seulement ton mystère qui effraie, mais la mission que tu confies.

L’évangile ne s’arrête pas à la transfiguration. Pierre, Jacques et Jean ont été relevés de leur bassesse. Ou plutôt, malgré leur bassesse, avec elle, ils ont, réveillés par l’amour et maîtres de leurs moyens, annoncé le vivant qui fait vivre. Pas plus qu’eux, nous ne savons son langage, nous ne voyons son ouvrage. Mais…

Il a un cœur, et tient contre lui cet enfant difficile qu’est le monde des humains.
Il a des yeux et pleure dans l’opprimé, posant sur nous un regard de lumière.
Il a des mains qui allègent notre labeur pour tracer sur la terre un chemin vers son repos.
Il est le cri que nos frères lancent vers nous et l’appel du pécheur s’élevant de l'abîme.

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