18/03/2022

Pédocriminalité et fin du christianisme (3ème dimanche de carême)

Journée de prière et de mémoire pour les personnes victimes de violences, d’agressions sexuelle et d’abus de pouvoir et de conscience au sein de l’Eglise.


Est-il possible de ne pas parler, une fois encore, des victimes de violences sexuelles, tout particulièrement les enfants, tout particulièrement dans l’Eglise ? Mais va-t-on, une nouvelle fois, remuer le couteau dans la plaie ? N’est-elle pas assez sale l’Eglise qui, par ses clercs surtout, a souillé des enfants, qui, par ses hiérarques et plus largement par nombre de baptisés, a préféré le silence, voire a organisé le silence ?

Revenir sur le sujet, c’est d’abord une mesure de compassion avec les victimes. Quand bien même on aurait réparé, quand bien même on aurait éclairé, révélé tous les crimes, le mal demeure, actif. Les victimes vivent avec ce mal, jusqu’à leur mort. Il n’est pas possible de les laisser seules porter le poids de ce qui les a broyées, de ce qui les broie. Revenir sur le sujet, c’est « porter les fardeaux les uns les autres » et « accomplir ainsi la loi du Christ » (Ga 6, 2).

Le viol, spécialement dans l’enfance, atteint la capacité d’aimer, la capacité de faire confiance, la capacité de vivre en relation, sereinement, de façon apaisée, et laisse une forme de handicap, comme un membre atrophié. Et ce membre, c’est celui de la relation. Non seulement les relations sont difficiles, mais la victime, à son corps défendant, en est la source à cause de son handicap de la relation. Actualité d’un mal autrefois subi, bombe à retardement, déflagrations encore et toujours.

Certains parviennent à se jouer du mal, tapi à la porte comme la bête monstrueuse que l’on peut devenir pour autrui et soi-même ; d’autres en sont la proie. La connaissance de soi et la fatigue d’être mal, l’amour et la bonté surtout, de quelques personnes, permettent de rééduquer à la simplicité bienfaisante des relations.

Revenir sur le sujet, c’est aussi une façon d’exiger un positionnement différent du clergé et dans la réalité, et dans l’imaginaire. Les prêtres ne sont pas les détenteurs du sacré, quoi qu’en disent certains. D’une part, en Jésus, c’est la fin de toute hiérarchie, tous ont accès à Dieu de la même manière, non en raison d’un statut ou de mérites, mais par pur don. Si les hommes et les femmes que nous sommes pouvons nous tenir debout devant Dieu, c’est parce qu’il s’est approché, ne cesse de se faire proche, Emmanuel.

D’autre part, Jésus et l’évangile renversent le sacré des religions. L’évangile n’est pas une religion mais la fin de toute religion. Nous ne sommes pas là pour faire des courbettes à la divinité, ni pour entretenir la tradition sur laquelle seraient fondées la cohésion sociale ou les valeurs, ni pour remplir avec quelque dieu le vide du sens. Dieu, pour être Dieu, ne peut être ni le sens, ni un principe moral et social, ni ce dont le culte nous donnerait l’impression de tutoyer ou caresser le surnaturel.

La vie chrétienne, la vie selon l’évangile, la vie selon Jésus, c’est la vie humaine, seulement et totalement. Il n’y a aucun arrière-monde à chercher. Il y a à faire en sorte que ce monde soit lieu de Dieu, paradis. Il est autrement plus exigeant et nécessaire de faire de notre vie une béatitude pour tous que de cultiver l’espoir d’une vie bienheureuse ailleurs. En Jésus, Dieu se révèle au service de la vie, c’est-à-dire de la joie, la perfection de l’humanité.

Même de nous qui nous rassemblons avec régularité le dimanche, l’évangile n’est toujours pas entendu. Nous venons au sacrifice, chrétien certes, pour nous faire croire que nous sommes disciples de Jésus, sans toutefois vivre le grand passage en quoi réside sa quête : faire de nos vies, avec leurs limites, le paradis pour les autres et pour nous, lieu de Dieu.

Si l’opposition au rapport de la Ciase est si forte, si les résistances des différentes conférences épiscopales contre de telles commissions sont si fortes, c’est non seulement parce que l’on refuse de dénoncer les turpitudes ecclésiales, mais parce que devant l’ampleur du mal, les arrangements mesquins avec le sacré sont dénoncés pour ce qu’ils sont, une idolâtrie que nous nommons christianisme, religion chrétienne. Il nous faut venir à l’évangile, changer de Dieu. Et là, ça résiste encore plus que de reconnaître l’ampleur des crimes. C’est dire.

La crise de la pédocriminalité, les violences et forfaitures dont l’Eglise s’est rendue coupable, structurellement, particulièrement par les clercs et les puissants, obligent à abandonner ce que l’on a trop longtemps pris pour l’évangile et qui n’est que le christianisme.

Des victimes demeurent attachées à l’Eglise. Elles se retrouvent souvent face à une institution maltraitante. Le déni des crimes ou le refus d’enquêter autant que la religion qui s’oppose à l’évangile entretiennent une relation toxique. Pour les victimes, et pour tous, il est temps de passer à la libération de l’évangile.

1 commentaire:

  1. J'ai désappris mon catéchisme, je suis allergique aux sermons, chantait Debruynne il y a déjà bien des années... Faire de Dieu une "aide" pour vivre, le "sens" de nos existences, la "solution" à nos problèmes, c'est en faire une idole. Dieu est Dieu, nom de Dieu! Et je le vois tous les jours dans les délinquants ou les fous que je rencontre dans mon travail. Merci pour ce commentaire lumineux.
    Dominique Rivière

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