Il y a un mois et demi, je commençais une homélie ainsi : « Où est le problème avec l’argent ? ». Je réfléchissais sur une vie comprise comme reçue, comme don, ce que l’on appelle action de la Providence. Croire c’est former sa vie comme reçue et en remercier
Ce dimanche, les textes invitent à revenir sur le sujet. La première lecture interroge le rapport de l’argent et de la justice, ou plutôt de l’injustice. Le prophète Amos, daté du VIIIe avant Jésus, écrit il y a donc plus de vingt-huit siècles. Et ses mots sont d’une actualité qui n’a nul besoin de contextualisation ou d’adaptation. Marx n’a qu’à bien se tenir après pareille dénonciation : le travail désormais dit dominical, le primat du marché et de l’économie contre principe social, l’appât du gain, la malhonnêteté et la réduction en esclavage économique de ceux qui produisent de leurs mains et fatigue la richesse.
« Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! »
« On n’est pas là pour se faire engueuler » comme le chantait Boris Vian. Mais force est de reconnaître qu’on en prend plein la figure. Ce n’est pas le prêtre qui sermonne aujourd’hui les paroissiens, si cela lui est arrivé. La parole biblique s’en charge elle-même.
Que l’argent soit moyen de solidarité, de lutter contre la misère voire la violence ‑ que l’on pense au milliards de dollars dépensés pour soutenir l’Ukraine ‑ reste qu’il est aussi un maître qui asservit, non seulement ceux qu’il contraint à la misère mais aussi ceux qui lui vouent leur vie. L’argent est un dieu, Moloch qui gouverne nos vies et réclame le sacrifice des enfants, Sacrifices humains mode 2.0, high-tech : nous ne sommes pas des primitifs !
Nous sacrifions nos enfants par le mépris, l’humiliation et la destruction de la nature. Pour faire du fric, on rase des forêts, on fabrique et vend des armes, on développe une agriculture intensive polluant les sols au point de contaminer durablement l’eau dite potable, on se fout des diverses émissions qui bouleversent le climat, etc. Il n’est plus aujourd’hui possible de ne pas le voir. Avec le Patriarcat de Constantinople, l’Eglise Catholique propose de faire de septembre le « mois de la création ». Pas sûr que cela modifie ne fût-ce qu’en une occasion nos comportements, occupe ne serait-ce qu’un instant notre pensée.
Alors, si ce n’est pour nous faire engueuler que nous sommes ici, que ce soit au moins pour démasquer et dénoncer l’idole. Quel est notre Dieu ? Il n’y a pas d’un côté les faux dieux, idoles faites de mains d’hommes qui ont une bouche et ne parlent pas mais mangent cependant les enfants, et d’un autre le Bon Dieu. Il y ce que nous pensons de Dieu. Et c’est cela qu’il faut convertir, car même du Dieu de Jésus, on peut faire une idole. Il n’y a qu’à voir, exemple aussi hallucinant que récent, la justification par le Patriarche de Moscou de ce que son Président appelle une « opération spéciale », guerre qui tue ses propres enfants, ou plutôt ceux des nations alliées, car il y a peu de jeunes russes à vouloir s’engager à assassiner des cousins du même âge !
L’argent dit en négatif qui est le Dieu de Jésus. Non pas le concurrent, car précisément, ils ne sont pas comparables, parce que le Dieu de Jésus dénonce qu’il faudrait pour gagner parier sur le meilleur des deux. Dieu est l’anti-dieu faut-il oser croire. Il n’est pas le gagnant : voyez la croix. Il n’est pas le plus fort : le Fils meurt comme un criminel. Il n’est pas le garant du happy end, il se coltine avec le non-sens, « mon Dieu pourquoi ? ».
Dieu est proximité des perdants. Non qu’il encourage la médiocrité ou promeuve un misérabilisme qui légitimerait tous les laxismes, fainéantises et autres je-m’en-foutismes. Il est le Dieu de la proximité avec les perdants pour qu’un non définif soit prononcé contre nos esclavages. Or on ne libère pas les autres par des paroles, seulement, mais par la présence, humble et humiliée, mais effective ; c’est Jésus. Paul le dit dans un drôle de pléonasme : « C’est en vue de notre liberté que le Christ nous a libérés. » (Ga 5, 1) Ce n’est pas pour retourner « sous le joug de l’esclavage » de quoi que ce soit, loi, argent, dieu. En premier, les disciples de Jésus sont « sans dieu ni maître », parce que Dieu n’est pas de ce bois-là !
Au contraire du Baal « argent » et de tous les maîtres ‑ c’est le sens du mot baal ‑ le Dieu de Jésus, ne recherche pas son intérêt ou sa puissance, mais notre vie. Sa joie, c’est notre vie. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. » Le Dieu de Jésus n’est pas maître, il est ‑ folie, blasphème ! ‑ malédiction et péché. « Dieu l’a fait péché pour nous. » (2 Co 5, 21) « Le Christ […] est devenu lui-même malédiction pour nous, car il est écrit : Maudit quiconque pend au gibet. » (Ga 3, 13) C’est incompréhensible non seulement pour les dévots. C’est pourtant le chemin de la vie et donc de la gloire de Dieu. Il ne suffit pas d’être dévot pour être disciple. Il faut mettre le monde à l’envers. C’est pourquoi, « entre Dieu et l’argent, il faut choisir. »
Complément :
Une parabole qui nous prend à rebrousse-poil. Jésus se moquerait-il de nous ? L’évangile peut-il être invitation à la malhonnêteté ?
Rien ne valent les vrais amis. Je suis prêt à tout pour mes amis. L’amitié, c’est comme la famille, la seule valeur. Etc. Genre de déclarations d’autant plus émouvantes qu’elles sont tonitruantes, importantes que dans les faits, on ne les respecte guère. Dans la famille comme en amitié, nous sommes capables de nous en vouloir à mort.
On comprend que ce chapitre fasse suite à celui sur l’hypocrisie dite des pharisiens.
Comme si Jésus nous disait : tes belles déclarations, qu’elle fumisterie. Tant qu’à faire, mieux vaudrait se faire des amis malhonnêtement ! Car l’emploi de l’argent malhonnête dans notre parabole a pour but l’amitié. C’est curieux cette affaire, mettre l’argent et l’amitié ensemble. Mais c’est exactement ce que nous faisons lorsque nous parlons des « valeurs ».
On comprend que la parabole s’achève sur l’incompatibilité entre Dieu et l’argent.
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