Augmente en nous la foi ! » (Lc 17, 5-10) Est-ce une demande ou un ordre ? Il n’y a pas le moindre s’il te plaît, la moindre trace d’une supplication remplie de confiance. Et pour cause, de foi, ils n’en ont pas, prétendent ne pas en avoir, ou si peu qu’il faudrait l’augmenter.
Il faut dire que la question est stupide. Et à question stupide, réponse stupide. « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi. »
Je suis désolé pour ceux qui trouvent la demande ou l’ordre des apôtres très juste, édifiant. Jésus a le droit de répondre au deuxième degré ! Mais nous prenons Jésus tellement au sérieux ‑ preuve du sérieux de notre foi ‑ que nous ne voyons pas l’ironie de la réponse. C’est pernicieux, pour ne pas dire pervers. Car sous prétexte d’écouter radicalement Jésus, nous avons trouvé un bon stratagème pour ne pas l’écouter. Sous prétexte d’interroger pieusement sur la foi, nous avons trouvé un bon moyen de ne pas croire.
Jésus parlait aux disciples, et les apôtres interviennent, peut-être péremptoirement, semble-t-il en interrompant la conversation, avec leur drôle de question. Le cercle rapproché ne comprend rien. C’est ainsi chez Marc, et chez Luc aussi. Plus la passion approche, plus les très proches sont déconnectés, à côté de la plaque, jusqu’à la trahison. Le cercle rapproché ne comprend jamais rien, hier comme aujourd’hui ! Nous devrions retenir l’avertissement…
La foi n’est pas une histoire de plus ou moins, d’augmentation ou de diminution, de compte. Dieu ne sait pas compter, écrit joliment, et justement, Jean-Noël Bezançon. Les apôtres confondent plus et mieux. Il ne s’agit pas de croire plus, mais de croire mieux. Et l’expérience des disciples au long des âges, c’est qu’on ne sait pas ce qu’est croire, que cela change selon les âges de la vie et selon chacun. Croire mieux, c’est souvent ne plus rien savoir si l’on croit, « il ne savait pas où il allait » dit la lettre aux Hébreux du croyant-type qu’est Abraham. La foi n’est pas affaire d’accumulation ; elle creuse, elle enlève, elle appauvrit, vide les mains pour qu’elles puissent recevoir. « Il renvoie les riches les mains vides. »
Si Jésus a chassé les vendeurs du temple, ce n’est pas pour qu’on vienne marchander dans la foi. La foi ne sert à rien. Le texte le dit, cette fois au premier degré, nous sommes des serviteurs inutiles.
Revenons à cette affaire, immense affaire, de croire mieux, c’est-à-dire croire moins plutôt que plus, quoi qu’il en soit, pas plus. Croire mieux, c’est vouloir croire. Relisons Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face tant c’est intempestif, décisif :
« Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a des âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment… Cette épreuve ne devait pas durer quelques jours, quelques semaines, elle ne devait s’éteindre qu’à l’heure fixée par le Bon Dieu et… cette heure n’est pas encore venue. Je voudrais pouvoir exprimer ce que je sens, mais hélas ! Je crois que c’est impossible. Il faut avoir voyagé sous ce sombre tunnel pour en comprendre l’obscurité. »
Peu importe ici que la nuit de la foi soit transitoire ou mode habituel, normal de la foi. Je veux souligner que si l’on avait la moindre raison de croire, ce ne serait pas la foi. C’est la foi qui justifie et non je ne sais quoi qui justifie que l’on croie. Credo quia absurdum, non pas renoncement à l’intelligence ‑ plus c’est stupide, plus on y croit, comme le sérieux avec lequel on prend la demande-ordre des apôtres. Bien sûr que c’est intelligent ce que nous croyons. Dans l’Eglise on demande parfois le sacrifice de l’intelligence, violence de tyran
Ce n’est pas parce que nous saisirions, parce que cela réconforterait, ou autre encore, que nous croyons. Ce ne serait pas la foi. Nous n’avons pas à croire des trucs impossibles ; nous apprenons à apprendre que nous ne sommes pas bien placés pour conduire notre vie : nous voulons remettre cette conduite à Jésus.
« Il partit sans savoir où il allait. » (He 11, 8) La foi ne se planifie pas plus qu’elle n’est susceptible d’être augmentée. Il n’y a pas d’échéancier et d’objectifs à atteindre, seulement un but vers lequel nous courrons sans le saisir (Ph 3). Lorsque viennent les ultimatum, dont la demande-ordre des apôtres, comme en amour, c’est le début de la fin. On ne part pas un peu ou beaucoup, plus ou moins. On part ou on ne part pas.
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