Il faudrait lire d’un seul tenant le chapitre 18 de Luc dont nous n’avons entendu que les huit premiers versets. Après la parabole du juge inique vient celle que nous lirons dimanche prochain, les prières du pharisien et du publicain au temple. Luc enchaîne ce double propos sur la prière avec un certain nombre de rencontres, les enfants que les disciples rabrouent, l’homme riche, avec les disciples un échange sur le salut et l’abandon de tout, enfin la guérison de l’aveugle de Jéricho, lui aussi rabroué.
Il y a des indices manifeste d’un enchaînement travaillé, les deux paraboles encadrent, avec les deux rencontres, les échanges avec les disciples sur la passion à venir, la possibilité d’être sauvé, l’accueil des enfants. La veuve qui casse les oreilles du juge demande, implore, au début du chapitre, comme l’aveugle à la fin qui crie et répète sa demande.
Le publicain implore la pitié comme l’aveugle. L’homme riche, alors même qu’il rencontre Jésus pour la vie éternelle, ne parvient pas à devenir disciple, comme le pharisien, qui pourtant rend grâce, littéralement fait eucharistie, ne peut être justifié en retournant chez lui. Au centre, les disciples « ne saisirent rien de tout cela ; cette parole leur demeurait cachée, et ils ne comprenaient pas ce qu'il disait ».
Nous pouvions croire que les deux paraboles parlent de la prière ; elles ouvrent plutôt une réflexion sur le salut : « Pour les hommes, c’est impossible ». Le salut n’est pas ce que l’on obtient, en faisant en sorte d’hériter : « que dois-je faire pour hériter de la vie à jamais ? » Le salut n’est pas la récompense après que l’on a tout quitté pour suivre Jésus. La belle préoccupation de l’homme riche pour la « vie à jamais » n’est pas une demande. La stratégie des Douze qui attendent récompense à avoir suivi Jésus se fracasse sur la mort : la croix.
Le salut ne s’obtient d’aucune manière. « Pour les hommes, c’est impossible. » Et si pour Dieu l’impossible n’existe pas, ce n’est pas parce que Dieu pourrait faire des miracles, échapper aux lois de la nature, octroyer quelque avantage, ainsi le roi dans son bon plaisir. Si pour Dieu, le salut est possible, c’est qu’il est pour tous, comme son dessein ; même un publicain ou un mendiant aveugle y ont droit, même les enfants, alors non-sujets de droit comme les esclaves, y ont droit. Mieux, les enfants sont le type-même des destinataires de la vie à jamais, « le royaume appartient à ceux qui leur sont semblables ».
C’est que la vie, cela se reçoit. Prendre la vie, c’est tuer. La vie est don ou n’est pas. Jusqu’à présent, jamais personne ne s’est donné à lui-même sa vie et, à gagner sa vie, on la perd. Juste à la fin du chapitre précédent le nôtre, nous lisions : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera. »
N’est-ce pas ce qui arrive, prophétiquement, dès le chapitre trois de la Genèse. La femme prit du fruit de l’arbre et en mangea avec son mari. Et ils connurent qu'ils étaient nus, fragilité et mort. Ils ont pris la vie et en sont, évidemment, morts. Alors que le tout dernier livre des Ecritures nous dit tranquillement, comme une évidence, que le fruit n’est nullement interdit, qu’est heureux celui qui aura part à ce fruit. « Au vainqueur, je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu. » Au tout dernier chapitre, la Jérusalem céleste, autrement dit le salut, est décrite : « Au milieu de la place de part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de vie qui fructifient douze fois, une fois chaque mois ; et leurs feuilles peuvent guérir les païens. De malédiction, il n’y en aura plus ; le trône de Dieu et de l’Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l’adoreront ; ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. De nuit, il n’y en aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles. » Vie éternelle, vie à jamais.
On comprend ce qu’est la prière avec ce chapitre 18, disposition pour la vie. Demander sans cesse non pour fléchir un juge inique. Dieu n’est tout de même pas un fonctionnaire tatillon qui refuserait la demande parce le formulaire serait mal rempli ! Demander sans cesse pour accueillir ce que Dieu de toujours, à jamais, donne. « Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager. »
« Notre Seigneur et notre Dieu veut non pas que lui soit manifestée notre volonté ‑ qu’il ne peut ignorer ‑ mais que s’exerce dans les prières notre désir, pour que nous puissions accueillir ce qu’il s’apprête à donner. Car ce don est grand et nous sommes petits et étroits à le recevoir. [...] Désirez sans relâche la vie bienheureuse, qui ne peut être qu’éternelle, de celui qui seul peut la donner. […] Des mots nous sont donc nécessaires à nous, pour nous rappeler et mettre sous notre regard ce que nous devons demander, non point ‑ n’allons pas le croire ‑ pour instruire ou fléchir le Seigneur. » (Augustin, Lettre à Proba)
Demander sans se décourager, pour s’apprêter à recevoir, et désapprendre à prendre.
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