Peut-on dire quelque chose de neuf sur Zachée (Lc 19, 1-10) ? Non qu’il faudrait à tout prix être original, mais l’on ne commente pas la Parole pour dire ce que tous savent déjà mais pour aider à entendre l’inouï de Dieu. L’Evangile demeure une bonne nouvelle, demeure nouveau parce qu’ainsi il est bon, heureuse annonce.
Une des manières de lire à neuf, c’est de lire aujourd’hui ces vieux mots. Certes aujourd’hui comme hier « nihil sub sole novum » ; cependant l’aujourd’hui est toujours et à chaque génération nouveau, « on ne descend jamais deux fois dans le même fleuve ». Parmi les quelques mots récurrents en ces dix versets, il y a précisément le mot aujourd’hui. Aujourd’hui il me faut demeurer chez toi, aujourd’hui le salut est entré dans cette maison.
La rumeur, dans la parabole du fils prodigue, divulguait ce que le cadet avait fait ; ici, par la rumeur, on apprend que Zachée est un pécheur. Chaque fois, le narrateur laisse dire. Le parallélisme entre les deux péricopes s’impose : dénonciation du pécheur, festin ou repas de réconciliation, un fils perdu et retrouvé, Jésus qui vient chercher et sauver ce qui était perdu. Avec Zachée cependant, c’est Jésus qui est vilipendé et non le pécheur. Zachée semble être le personnage principal, et pourtant, les gens n’ont rien à faire de lui. C’est Jésus qui surprend et suscite la réprobation en allant manger chez un pécheur. Celui qui « passait en faisant le bien » est la cible de la médisance. La passion approche !
La petite taille de Zachée, visiblement ‑ c’est le cas de la dire ! ‑ tellement importante qu’on la souligne avec le sycomore, est-elle la représentation de son péché ou bien celle du regard que les autres portent sur lui, le regardant de haut. Un exégète fait remarquer qu’au lieu de monter sur un arbre, Zachée aurait pu demander à passer devant, il n’aurait gêné la vue de personne ! Il y a une autre solution ; les gens grands auraient pu le laisser passer devant. Mais les grands, les gens importants, n’ont rien de commun avec Zachée, ne veulent rien avoir en commun avec lui, n’ont rien à faire de lui.
Et s’il était là, le péché. Non dans les soi-disant vols de Zachée, dont lui-même parle comme au conditionnel, « si j’ai… ». Il ne croit pas avoir mal fait, mais humblement, au cas où il n’aurait pas vu sa faute ; on ne voit pas toujours qu’on écrase le petit. Le péché n’est pas celui de Zachée mais celui de ceux qui se séparent ‑ une histoire, au moins étymologiquement, de pharisaïsme ‑ de la commune humanité. C’est une thématique de tous ces chapitres depuis au moins le chapitre du fils prodigue, l’affrontement de Jésus avec les pharisiens. Et il faut croire que le pharisaïsme est affaire des disciples de Jésus, et non une école juive, pour que l’on en parle autant dans les Evangiles.
Nous n’existerions qu’à nous convaincre de ne pas être comme les autres. Ce qu’une équipe d’aumônerie ou des visiteurs de prison vivent sans cesse avec les détenus, c’est au contraire notre commune humanité. (Parmi les détenus, il y a aussi ceux qui trouvent toujours pires qu’eux ; stratégie pour survivre à la honte de la faute, stratégie commune.) Se rencontrer c’est vivre que nous sommes de la même pâte.
L’histoire de Zachée me paraît de moins en moins celle d’une conversion réussie, magnifique pour nos fantasmes de sainteté. Comme les chapitres précédents, elle est le mode d’emploi de la vie, ce qu’on appelle salut. « Pour les hommes, c’est impossible. » On vit dans et de la rencontre avec l’autre. L’altérité au sein de la commune humanité nous semble s’opposer à l’identité. Or l’altérité est constitutive de l’identité. Le chemin de soi à soi passe par autrui. Zachée est la chance des pharisiens, leur altérité. Les Juifs sont la chance même des chrétiens, altérité inassimilable. Les homos le sont pour les hétéronormés hégémoniques. La minorité irréductible, comme altérité, est la chance du groupe qui fait de sa grande taille une terrifiante puissance et menace. Nous ferions bien de le laisser passer devant, l’homme de petite taille. Il ne nous gêne nullement pour voir Jésus qui passe par là. Il nous fait plutôt échapper à la simple curiosité ou pire aux paroles de condamnation ; grâce à l’autre, nous pouvons voir Jésus pour ce qu’il est, le salut de Dieu, aujourd’hui. Ça évite de le conduire à la croix !
L’histoire de Zachée est un exercice de conversion pour le lecteur. Nous sommes invités à passer de l’admiration illusoire d’un modèle de salut à imiter‑ ce ne sont pas les œuvres qui sauvent ; et que nous importe le salut de Zachée mort il y a deux milles ans ‑ à la reconnaissance du salut pour tous aujourd’hui ; la commune humanité est le chemin de Dieu vers nous. Et homo factus est. Jésus passe, nous le regardons passer et nous le ratons : nous ne sommes pas comme les autres, nous ! Pourtant, à notre table à nous aussi il s’invite. Nous lisons cet évangile devant la table que nous avons préparée. « Le fils de l’homme est venu et chercher ce qui était perdu. » Le salut, évidemment, c’est aujourd’hui. C’est dit deux fois. Le salut est l’évidence, et non l’exception dont Zachée serait l’heureux bénéficiaire. C’est le nom de Jésus, Dieu sauve !, Le salut c’est évident puisque c’est le dessein de Dieu, puisque c’est Dieu.
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