« Il est assis à la droite du Père. » Nous disons cela dans la profession de foi. Nous le confessons à la fin d’une série de moments de la vie de Jésus. « Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme. Crucifié sous Ponce Pilate, il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Écritures, et il monta au ciel ; il est assis à la droite du Père. »
Si l’existence humaine, la croix sous Ponce Pilate, la passion et l’ensevelissement relèvent assurément de la description, il n’en va pas de même de venue en la chair par l’Esprit, de l’ascension et de la présence à la droite du Père. Certes, l’historique déteint sur l’ensemble de la confession de foi, mais le « mythique », en retour, contamine cette même profession dans sa totalité.
Mythique, ai-je dit, parce qu’il s’agit d’un dit qui prétend à la pertinence alors même qu’il ne s’encombre pas de la possibilité de sa vérification. Ce dit s’impose par autre chose que la logique, par exemple par l’autorité d’un dieu qui l’enseigne. Et vouloir le prouver serait sacrilège, impie, profession de non-foi.
Lisons Tertullien (vers 190) : « Quoi de commun entre Athènes et Jérusalem ? Entre l’Académie et l’Eglise ? Entre les hérétiques [par rapport aux platoniciens] et les chrétiens ? Notre doctrine vient du portique de Salomon qui avait lui-même enseigné qu’il faut chercher Dieu en toute simplicité de cœur. Tant pis pour ceux qui ont mis au jour un christianisme stoïcien, platonicien, dialecticien ! Nous n’avons pas besoin de curiosité après Jésus Christ, ni de recherche après l’Evangile. Dès que nous croyons, nous ne désirons rien croire au-delà. Car ce que nous croyons en premier lieu, c’est que nous ne devons rien croire au-delà. »
Tertullien comme les autres, mieux que bien d’autres, sait que le muthos appelle le logos. Il confesse le Verbe logos fait chair et combat les élucubrations de ceux qui se prétendent philosophes. Il ne peut admettre que la vérité vienne de raisonnements. Elle advient gracieusement en Jésus, sans pourquoi, sans motif, sinon la gratuité qu’est Dieu.
Nous ne savons parler de ce que nous n’observons pas autrement qu’à recourir à l’image, au mythe, au comme si. Déjà pour ce que nous observons mais qui dépasse l’entendement, l’amour et la haine, la confiance et la peur, nous avons besoin de métaphores et de paraboles. Combien plus pour l’origine et la fin, pour ce qui excède ou sature le monde.
Siéger à la droite du Père n’est évidemment pas une localisation. Comme si Dieu avait une droite et une gauche. Un personnage d’un roman de Saramago demande ainsi si Dieu n’est pas manchot, puisque l’on ne parle jamais que de sa droite ! Cette imperfection serait preuve de son inexistence. Heureusement, Jésus prie qu’entre les mains du Père, il remet son esprit !
Siéger à la droite du Père dit la grandeur et la proximité, la première place, tout près. Avec Jésus, comme le dit la préface de ce jour, l’humanité siège à la première place, est unie au Père, s’il est vrai que la droite du Père est une métonymie (une manière de désigner le Père par un de ses membres). L’enchaînement dans le symbole de foi de l’attestation de la mort et de la session à la droite du Père exprime littéralement ce qu’on lit ailleurs : « Il est le premier né de toute créature » (Col 1, 15), « le premier né d’entre les morts » (Ap 1, 5).
Siéger à la droite du Père, c’est accéder à sa royauté, car siègent ceux qui gouvernent ou jugent. La nature, faite de croissance, est aussi ce qui meurt ‑ génération et corruption ; la dignité humaine est confessée à partir de Jésus, par lui, avec lui et en lui, plus forte que la mort. L’ascension ne dit que la résurrection, celle de Jésus et, en la sienne, la nôtre.
Le logos est, comme dit Paul, le logos de la croix, folie et scandale ; il passe aussi au crible le muthos royal. La royauté est celle du don jusqu’au dépouillement, comme celui qui régale, royal ! Jésus, et l’humanité avec lui, ne siègent à la droite du père, partagent sa royauté que dans le dépouillement, loin de ce par quoi l’imaginaire des princesses et rois nous fascinent jusqu’à nous aimanter.
Nous n’avons rien perdu de la vérité de la confession de foi en parlant de muthos. Mais nous ne pouvons la lire au premier degré. Nous ne la rejetons pas pour autant. Nous l’appréhendons dans une naïveté seconde, naïveté parce que nous l’écoutons à la lettre, seconde, parce que nous l’écoutons au crible du logos, de la raison, de la reprise réflexive ‑ pléonasme. Jésus ne serait pas vraiment homme si la grandeur du logos n’était lui-même. Et c’est bien ainsi que Jean le désigne, Logos de Dieu.
Hans Süss von Kulmbach (1513) |
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