15/12/2023

L'Adam des origines (3ème dimanche de l'avent)

La création d'Eve
Venise, basilique Saint Marc, mosaïques XIIIe

 

 « Au milieu de vous, se tient celui que vous ne connaissez pas. » (Jn 1, 6-8.19-28) Ce que le Baptiste déclare à ceux qui viennent le trouver ne s’adresse-t-il qu’à eux, ou bien le propos a-t-il sens pour ceux qui lisent le texte évangélique depuis qu’il est écrit ?

Le Baptiste sait-il lui-même qui est Jésus ? Cinq versets plus loin, et par deux fois, comme pour insister, il dit : « Je ne le connaissais pas ». Faut-il comprendre que désormais, après le baptême, ça y est, Jean connaît Jésus, ou bien Jésus demeure-t-il un inconnu ?

En tout cas, en ouvrant l’évangile, c’est plutôt astucieux de faire de celui qui en est le personnage principal un inconnu. Le lecteur qui lit le texte pour la première fois est dans la même situation que les personnages du texte. Comme eux, il est interrogé par cet homme. Qui est-il ? Les questions posées au Baptiste glissent imperceptiblement vers Jésus. A la fin du texte, vingt chapitres plus tard, saura-t-on ? A moins que ce ne soit à la fin d’une rencontre jamais achevée avec ce Jésus. Tournés vers lui, convertis, savons-nous qui il est ?

« Toi, je sais qui tu es. » Dans l’usage, cette affirmation ressemble à une menace. Finalement, de tous ceux que nous aimons nous savons que nous ne les connaissons pas, que nous n’avons jamais fini de les découvrir. « Tu es mon Seigneur » est un ordre de meurtre ‑ « tuez mon Seigneur » ‑ comme dit Lacan de la femme ou du mari. Toute possession de l’autre est mortelle, une main mise. Il y a des manières de savoir qui est Jésus qui l’enchaîne et le condamne. C’est un thème que l’on trouve précisément en Jean, dans la récurrence des questions : « Que cherchez-vous » posée au disciples, « Qui cherchez-vous » posée à ceux qui viennent l’arrêter. Les premiers ne savent pas, ne peuvent pas répondre. Les seconds au contraire, qui interpellent Jésus.

Au début de l’évangile de Jean, au début de l’année liturgique, au début de la vie de Jésus – temps de l’avent qui prépare à Noël –, il est sans doute urgent de ne pas répondre à la question et de reconnaître, non que nous n’en savons rien, mais, comme Jean, que « nous ne sommes pas dignes de le servir, de dénouer sa sandale. Que celui qui se pense disciple, attaché à Jésus, se méfie de ses certitudes. Il pourrait bien n’être qu’un imposteur sous prétexte de venir à la messe, de connaitre la Bible et le catéchisme. Les démons savent qui est Jésus. Méfions-nous de n’être pas ce ceux-là !

Il est un mot que je n’ai pas exploité dimanche dernier et que l’on retrouve aujourd’hui, aussi important, dans un contexte de désignation, au début d’un évangile, le mot Christ. Que disons-nous à dire Jésus le Christ ? Le terme semble presque vide de signification, devenu comme un nom propre, le nom de famille, Jésus Christ.

Appeler Jésus « Christ » suppose une connaissance de ce que le judaïsme du premier siècle entendait par là. On constate que dans le contexte d’occupation romaine qui installe un roitelet étranger à la descendance davidique, une attente se fait jour, politico-religieuse, d’un envoyé du Seigneur, un roi qui a reçu l’onction pour conduire le peuple comme sur des prés d’herbe fraiche, restauration de l’harmonie du jardin édénique.

Le titre de Christ permit de comprendre la personne de Jésus pour lui-même et ses contemporains. Mais en quoi est-il utile aujourd’hui, en quoi permet-il de nous attacher à lui ? Plus encore, l’annonce de Jésus ne consiste guère à investir demain, car c’est aujourd’hui que se déploie le Royaume, il est proche, il est au milieu de nous ; car celui qui est ce Royaume en personne pour davidique qu’il soit – et encore, non selon la dynastie mais le type, un roi pasteur – est la présence même de Dieu. L’annonce de Jésus destitue l’attente messianique, la renverse ; que Dieu lui-même habite au milieu de l’humanité restaure le véritable Eden, parce que le Dieu se faisant serviteur et paria, ne rend plus nécessaire que l’on s’en sépare, sortant du jardin, postant des chérubins à la porte pour que les domaines soient clairement distincts.

L’humanité de Dieu rend plus impossible que jamais l’identité et de l’homme et de Dieu, et partant de Jésus ou du Baptiste. Toutes les pistes sont brouillées, « sans confusion ni changement » cependant, tout autant que « sans division ni séparation ». La façon de connaître Jésus est de chercher l’Adam de l’Eden en chaque humain. Et cet Adam est bien ce que l’on appelle Christ ou messie. Quant aux disciples de cet Adam, les humains glèbeux que nous sommes, nous saisissons qui nous sommes à désigner l’archè, le principe et commencement de l’humanité. « Il faut qu’il croisse. »

 Venise, basilique Saint Marc, mosaïques XIIIe

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