22/12/2023

« Peuples qui marchez dans la longue nuit. » (Nativité du Seigneur, messe de la nuit)

 

 Greco, Adoration des bergers (1613, Prado Madrid)

« Peuples qui marchez dans la longue nuit. »

En ce solstice d’hiver, elle n’en finit pas la nuit. Dans le fracas de toutes les guerres et conflits, Ukraine, Gaza ‑ et l’on n’ose pas poursuivre la liste, pour ne pas mourir de désespoir, pour être assurés de n’en pas oublier, la nuit n’a pas de fin. Dans les cellules de prison, les maisons où femmes et enfants sont maltraités, violés ; dans l’enfer de la dépression et des insomnies : dans les couloirs des hôpitaux et des maisons de retraite ; dans la solitude de l’abandon, la mer qui noie les migrants, les écarts colossaux de richesses qui piétinent tant de notre humanité, la nuit n’en finit pas. Dans la tyrannie en Iran ou en Afghanistan, Babel contemporaines où l’on tue si une oreille dépasse, une mèche de cheveux, un pas de danse.

Le peuple qui marchait dans les ténèbres, hier, aujourd’hui. La nuit n’en finira donc pas ? Et si elle dure ne serait-ce que quelques instants de plus, ne signe-t-elle pas le mensonge de la prophétie, la fausseté du Messie, l’échec de Jésus et de son Dieu ? Nuit du divin, en conséquence, congédié non parce que nous serions une humanité décadente, mais parce que nulle part la parole de salut ne se voit.

Le Baptiste avait envoyé ses disciples à Jésus. « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » Et d’ajouter, comme si Jésus savait que voir n’était quasi pas possible : « et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi ! ».

Jésus a passé son temps à relever les hommes, les femmes, les enfants, les rendre à la vie, goutte d’eau dans la mer nocturne, de quoi trébucher, ne rien voir. Si nous, disciples, ne passons notre temps à en faire autant, qui pourra ne pas désespérer ? Qui pourra croire que « le jour va bientôt se lever », qu’un enfant nous est né, nommé Emmanuel, Dieu avec nous, appelé Jésus, Dieu sauve ?

C’est pour la possibilité même de notre foi que notre engagement au relèvement, résurrection autant qu’insurrection, n’est pas optionnel. C’est pour la possibilité même de la joie de Dieu, la gloire de Dieu. Ne voient la paix que les artisans de paix, ne voient les lépreux guéris et les boiteux bondir que les soignants, ne voient la bonne nouvelle annoncée aux pauvres que ceux qui prennent le temps de demeurer chez eux, avec eux.

Il n’y a aucune épreuve voulue par le Dieu du relèvement. Rien n’est écrit sinon sa volonté de toujours de faire vivre, création autant que vie éternellement renouvelée. Il n’y a aucune magie, aucun rituel religieux ou sacrifice qui causerait le miracle. Rien n’advient de bon sinon notre engagement à la bonté, « sur les pas de celui qui s’est agenouillé / S’abaissant au plus bas pour prendre soin de l’homme / Sur les pas de celui qui s’est abandonné / Se livrant sans mesure pour nous mener au Père ». « Marcher comme Jésus. » 1 Jn 2, 6

La longueur de la nuit sera paix pour le cœur à cœur avec Jésus quand le jour trop court aura été épuisé de notre charité, de notre amour, « peuple ardent à faire le bien ». « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix » : ces mots sont-ils buée évanescente dans la froidure de l’indifférence ou astre d’en-haut qui vient nous visiter dans la chaleur tout humaine de la fraternité.

« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », aime-t-on à répéter depuis saint Irénée. Parce que, comme dit encore l’évêque de Lyon, « la vie de l’homme, c’est de voir Dieu ». Et nous avons dit comment il est possible au Baptiste et à tous les autres de voir, « sur les pas de celui qui a ouvert la loi / Ordonnant le sabbat au service de l’homme, / Sur les pas de celui qui ployait sous la Croix, / Invitant les pécheur à devenir ses frères. » « Marcher comme Jésus. »

L’hymne entonnée par les anges ne dit pas autre chose. La gloire de Dieu dans le ciel est la paix sur la terre pour les hommes qu’il aime (pour tous, puisqu’il les aime tous).

Dieu se fait une joie
de susciter des êtres libres,
de rendre heureux tous les humains,
de leur apprendre à rendre grâce,
Bénissons-le ! Exultons de sa joie !

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