10/05/2024

Une union avec Dieu ? La prière de Jésus Jn 17 (7ème dimanche de Pâques)

 

Est-il possible de savoir ce que Jésus a compris et vécu de son rapport au Père et partant de son identité de fils, de reconstituer sur ce point quelque chose de sa biographie, de connaître l’intimité du Jésus historique ? Pourquoi le faudrait-il puisque le dogme enseigne ce qu’il faut croire ? Quelle pertinence cela aurait-il et historiquement et dogmatiquement ?

Le Nouveau Testament est tout entier la relecture post-pascale, par les disciples, de ce qu’ils ont vécu et compris de leur rabbi. Remonter à Jésus indépendamment du témoignage des disciples est voué à l’échec. Cependant, pendant quelques siècles, convaincus dogmatiquement de la vision béatifique dont bénéficiait Jésus, on en avait oublié qu’il était un homme de foi et de prière. Jésus croit en Dieu, Jésus prie son Dieu, et ce d’une manière si originale qu’il met en crise le judaïsme et les religions, cause de sa mort.

Des affirmations, qu’elles soient de Jésus ou de ce que les disciples lui mettent sur les lèvres, expriment des éléments du lien entre Jésus et son Dieu. Jean offre même un chapitre entier constitué d’une prière de Jésus. Pour lui au moins, il n’est pas sans importance d’entendre Jésus prier, quand bien même ces paroles seraient sa propre reconstruction ou une reconstitution déjà reçue de la tradition.

Personne ne doute de ce que Jésus appelle ce Dieu Père, abba. Et l’on sait l’originalité scripturaire de ce qui s’impose dès la littérature paulinienne comme une évidence dans la pratique des disciples.

Qu’en est-il du lien entre le père, donc, et Jésus ? S’agit-il de filiation ? Curieusement, le mot fils est utilisé deux fois seulement pour désigner Jésus dans ce chapitre où, avant cette évidente filiation de la part d’un père, il semble que l’unité soit plus décisive.

Dans l’histoire, l’union de l’homme à Dieu, l’unité de l’homme avec la divinité, parfois appelée père, se rencontre ici où là. Les textes qui rapportent cela ne diminuent en rien l’originalité de ce que Jésus vit et saisit ; il ne les connaît pas. En revanche ils ont soufflé au long des âges aux disciples un vocabulaire et des tropes qui font que l’on ne peut les ignorer.

Des hommes et des femmes, à la suite de Jésus, ont aussi parlé d’unité avec le père et le fils, expression de leur destinée. Ils reprenaient explicitement ou retrouvaient seulement une expérience rapportée par des textes qui ignorent tout de Jésus. Cette union prend la forme de celle des amants en leur accouplement, se fondant l’un en l’autre ; et c’est ainsi qu’a souvent été lue le Cantique des cantiques. Mais son érotisme, son aspect charnel, a sans doute invité à penser, à tort ou à raison une union, supérieure, des esprits.

Nombre de disciples disent l’union avec Dieu, avec le Père ou Jésus, de telle sorte qu’il leur paraît ne faire plus qu’un avec lui, au point de ne plus exister par eux-mêmes mais seulement en lui. Certes, l’union avec l’absent crée une situation qui oblige à parler analogiquement ou plutôt elle est re(con)duite à un désir, elle se dit comme désir.

Cela n’a rien de surnaturel, de magique, d’exceptionnel. C’est la vie dans l’Esprit, c’est la vie de l’Esprit dans les disciples qui tentent de se laisser enflammer par l’amour de celui qui donne sa vie pour ses amis. « Il faut insister sur le fait que l’objet de l’expérience n’est pas Dieu, car il ne saurait être contenu à l’intérieur des limites humaines. Tout l’émoi et tous les effets ‑ ces scories de la rencontre ‑ sont de notre côté, ils sont l’empreinte du visiteur une fois celui-ci parti. » (R. Burrows)

Ce que nous pensons aujourd’hui de l’inconscient interdit de faire une motion divine d’un état émotionnel original. Les grands spirituels de la tradition se méfiaient finement de ces états. Jésus existe dans le retrait de la préoccupation de soi, pour exister pour l’autre, Dieu et les frères, le père par les frères et sœurs. Tout l’évangile en témoigne. Sa vie est unité, union, unification à tel point que ses rencontres sont la fraternité avec tous qui en devient comme tangible et qu’il comprend comme don reçu. Ainsi il dépose sa personne en l’amour, il s’expose à l’amour du Père ; il tutoie l’indicible et se tient là, persévère dans l’existence, « tient bon comme s’il voyait l’invisible ». La sainteté de Dieu le sanctifie : il est « saint comme le père est saint »

Son unité avec le père est comme toute son existence, pour les autres. Si nous autres vivons, que nous le sachions ou non, comme lui dans le retrait de la préoccupation de soi pour exister pour l’autre, nous touchons la fraternité avec lui, avec les autres quand bien même ce n’est que dans une douloureuse fugacité, déchirure comme une éclaircie dans le ciel, désir de (l’union avec) lui.



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