24/05/2024

« L’union dans la différence » (Trinité)

Triangle de Penrose

« Dieu, nul ne l’a jamais vu. » Tout ce qu’on en dit devra toujours se rappeler l’affirmation de l’évangile de Jean. La vision n’est pas seulement une affaire ophtalmologique mais tout ce qui permet d’apercevoir, notamment par la pensée, quelque chose de Dieu.

Nous autres, disciples de Jésus, faisons confiance à ce que Jésus dit de Dieu. Il fait l’exégèse du Père, comme dit le même évangile, c’est lui qui conduit à le connaître. Mais d’où Jésus tient-il sa connaissance de Dieu ? On répondra qu’en tant que deuxième personne de la Trinité, en tant qu’il bénéficie de la vision béatifique, il est au courant. Tout cela, historiquement ne tient pas. Et théologiquement non plus, s’il est vrai que l’incarnation, est kénose, vide de soi. C’est un humain qui parcourt les chemins de Palestine, un croyant.

Ce que Jésus dit de Dieu, il le dit comme toutes les cultures, à partir de ce qu’il a reçu de perception du monde de la tradition, pour lui, tout particulièrement les Ecritures et la foi juives. Ce n’est pas un catéchisme, mais une pratique, celle des commandements. Sa compréhension de la tradition d’Israël à propos de Dieu n’est cependant pas que répétition. Elle est aussi invention. Elle n’est pas que réception, elle est aussi rupture.

Parler de Dieu créateur et sauveur, qui voit la misère de son peuple, qui exige la rectitude du cœur comme vérité du culte et de l’observance des commandements, constitue à l’époque de Jésus ce que l’on entend par Dieu lorsque l’on est fils d’Israël. Là où Jésus fait rupture et instaure de la nouveauté, c’est dans la proximité de Dieu avec les pécheurs. Qui donc pourrait se penser sans péché ? Et si Dieu habite avec les pécheurs, sa sainteté côtoie le mal et l’impur. Dieu n’est pas séparé, pharisien, mais entraîné par l’humanité dans le mal. Le saint ne répugne pas à être traîné dans la boue par ceux qui le louent, le cherchent, le prient et qui sont tous des pécheurs.

On trouve certes cela dans le Premier Testament mais cela devient avec Jésus la clef de compréhension de qui est Dieu, de telle sorte que c’est à la fois pleinement traditionnel et pleinement nouveau. « Ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, c’est un commandement ancien, que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c’est un commandement nouveau que je vous écris » (1 Jn 2, 7-8)

L’habitation du saint dans le mal est ce que Jésus appelle salut ou mieux vit comme salut. « Passer en faisant le bien » (Ac 10, 38) le définit mieux que sa prière, son identité, sa religion. Il entraîne Dieu dans sa kénose, le faisant disparaître derrière et au profit des frères et sœurs. Le chapitre 25 de Matthieu raconte qu’on peut tout ignorer de Dieu, ne jamais l’avoir vu, ne pas savoir le reconnaître et pourtant l’avoir servi s’étant mis au service des petits surtout.

La disparition de Dieu en rajoute au fait que « nul n’a jamais vu Dieu et ouvre l’exégèse de celui que Jésus appelle Dieu. Dieu n’est pas un en soi, un pour soi, subsistant par lui, et en lui ; Dieu est relation ‑ évidemment non de haine ni de mal. « Dieu est amour », écrit Jean. Penser Dieu comme relation c’est le penser affecté. Que voudrait dire aimer si l’on n’est pas changé par l’autre ? « Dieu aime tant le monde » qu’il s’unit à ce monde, se livre, comme l’homme et la femme, modèle biblique de l’amour, qui ne sont plus qu’un seul chair.

Penser Dieu à la suite de Jésus, c’est faire entrer l’humanité, le créé en Dieu, non dans l’identique, Deus sive natura, mais dans la relation. La relation, c’est la différence. L’unité est union, unification et non uniformité. Penser et vivre Dieu à la suite de Jésus c’est le penser et le vivre comme unification du multiple, de la différence sans quoi il n’y a pas de relation.

Avec Dieu, c’est la relation avec le plus différent. Dieu, un homme, un esprit qui anime, fait vivre le créé. Ce que les concepts métaphysiques ont essayé de dire et que l’on a trop enfermé dans une vulgate réductrice, c’est quelque chose comme ceci : Dieu qui jouit de la différence, qui la recherche, la consacre l’unité. Il ne veut ni ne peut la supprimer sans se supprimer. « Union dans la différence » non uniformité mais action d’unité, unification.

Jésus n’a pas théorisé cela, mais il se présente dans la différence vivifiante avec le Père avec lequel il est un ; et parce que cela ne suffit pas, l’Esprit qui habite en nos cœurs fait entrer dans l’unité du Père et du Fils tout le créé. Il est tout entier « vers le Père » et « un avec le Père ». Expérience poussée à son paroxysme que la différence est source débordante d’une richesse insoupçonnée, dévoilée dans le mouvement d’unification. Ainsi de tous ceux qui aiment.

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