George Grosz, Explosion, 1917 |
Avec les guerres, peut-être pas plus nombreuses ni proches qu’hier, mais vécues comme telles, avec les inégalités que l’on éprouve aussi comme plus importantes, avec le mensonge des contre-vérités et des complotismes, avec la menace comme une épée de Damoclès du réchauffement climatique, avec l’élection de gouvernements prêts à s’affranchir de l’état de droit et favorisant la loi de la jungle d’un libéralisme sans morale, avec la maladie et les souffrances qui frappent comme hier, les descriptions apocalyptiques des Ecritures n’apparaissent pas comme des prédictions ni la révélation d’un avenir de catastrophe. Elles sont la description, assez exacte, de ce que nous vivons. « Cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. » Nous ne savons ni le jour ni l’heure, mais nous y sommes.
Les habitants d’Ukraine, de Gaza ou du Liban, et de tant d’autres endroits ; les femmes en Afghanistan ou en Iran ; les migrants aux portes des pays riches ; ceux à qui l’on annonce un cancer en phase terminale, la mort sur la route de leur enfant, etc. Cela s’abat sur eux telle la fin du monde. C’est la fin du monde.
Alors même que les discriminations en raison de l’origine sociale, ethnique, ou de sexe sont contraires à la loi, il n’apparaît pas anormal de tenir des propos racistes, anti-pauvres ; c’est une opinion parmi les autres et la liberté d’opinion doit être respectée. On est en démocratie, oui ou non ? Des chefs d’états ou des ministres, ce qui est contraire non seulement au droit mais à la réalité même de civilisation, assènent des contre-vérités et tiennent des propos discriminatoires en toute impunité. Le fascisme n’est plus tant une idéologie que le libéralisme débridé plébiscité par ses victimes, des moutons qui se plaignent des chèvres et demande au loup de veiller sur eux !
On sait que cela mène dans le mur, et l’on y va, comme en 14, la fleur au fusil. On se suicide par haine non de la vie mais de l’autre, par ressentiment. Qu’il crève ! J’en réchapperai puisque je suis dans mon droit. Il n’y a pas besoin d’être savant pour savoir que l’hiver sera remplacé par le printemps. Les branches tendres du figuier annoncent le printemps. Sauf que là, c’est un hiver de mort, sans printemps.
Le Dieu de Jésus, certes non exclusivement, met en crise ces discours et pratiques. Il inscrit au cœur du mal et de la terreur qu’ils n’ont pas lieu d’être. La loi du plus fort ne relève pas du droit. Les pauvres ont les mêmes droits que les nantis, ou plutôt, le droit du plus fort n’est pas différent de celui du paria. La dignité humaine n’est pas affaire de mérite mais de vie. Disons les choses à l’extrême, de façon outrancière. La vie d’un criminel vaut autant que celle d’un saint. Or ni les parias ne sont criminels, ni les puissants des saints.
Le Dieu de Jésus par sa simple obstination, sa simple fidélité ‑ « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » ‑ est dénonciation de ce que nous vivons. Il appelle un chat un chat parce que mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur de ce monde. Nous vivons apocalyptiquement. Le déchaînement du mal fait espérer que la parole de Jésus ne passe pas. C’est une nécessité pour tous ceux qui agonisent. C’est, avant la gloire de Dieu, la dignité des humiliés qui est en jeu. Avec le Dieu de Jésus, la gloire de Dieu est exactement la même chose que la dignité des humiliés, l’homme vivant, dit Irénée.
Le mal et son déferlement n’annoncent pas la venue de Jésus, son retour et la fin du monde. Ils sont cette fin et la venue de Jésus dénonce ce que nous vivons pour ce que c’est ‑ la fin ‑ quoi qu’on dise. Plusieurs, croyants ou non, vivent en rupture, parce que préparer demain, prévoir une retraite pour dans trente ans ne fait tout simplement pas sens. Ils n’ont pas d’enfant, non par égoïsme, mais parce que la terre n’est d’ores et déjà plus habitable pour trop d’entre nous. La vie monastique ne s’y prend pas autrement pour dire le monde nouveau, ici et maintenant.
On veut croire autre chose, on ne veut pas voir la fin, d’où la nécessité d’une apocalypse, révélation. On passe son temps à se divertir, un peu d’aspirine pour soigner le cancer, une prière pour renverser le mal ! « Il faut encore, coûte que coûte, divertir le peuple, substituer à notre regard, un monde qui s’accorde à nos désirs, même et surtout lorsque tout craque, tout flambe, lorsque l’inquiétude règne, que l’ennemi menace, que les boys sont au loin sous la mitraille et qu’il se prépare – notre regard – à s’effarer d’horreur, à ne plus savoir où se poser pour l’éviter. » (M. Larnaudie, Notre désir est sans remède, roman)
Les puissants promettent un autre monde, le paradis, bientôt mais après. Ils ne sont pas magiciens et ne peuvent changer les choses puisqu’ils ne veulent surtout rien changer mais continuer à se régaler et à s’engraisser de ce qu’ils s’approprient par le sang des autres. On commue l’altermondialisme, l’universalisme, le village-monde tant décriés en haine de ce qui n’est pas moi et pour moi. Jésus convoque ici et maintenant un nouveau monde. C’est au cœur du mal, la dignité imprescriptible par le seul fait d’être de l’humanité. Ce n’est pas qu’une question de partage ou de confort, ce qui ne serait déjà pas rien. Cela concerne l’humain de et en l’humain, le divin dans l’humain si l’on veut.
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