Cela devient rare que l’on se déchire dans une famille àcause de la religion. Certes cela existe, mais ce n’est pas tous les jours. Ce qui n’est pas nouveau mais durable et violent, c’est la déchirure à l’intérieur de l’Eglise. Je ne pense pas d’abord aux guerres de religion et aux séparations traumatisantes entre Eglises des siècles passés, encore que. Je pense à la haine ordinaire, par exemple imprimée dans les journaux, entre catholiques, de différentes opinions.
A-t-on connu pareille haine exprimée publiquement et sans vergogne que celle qu’on a vu se déchaîner contre François ? D’aucuns rêvent, espèrent la paix, avoir la paix, qu’on leur fiche la paix. Mais « pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. »
Le baptême de feu est là, entre catholiques. On parle d’une Eglise clivée, dont les membres ne communiquent pas entre eux tant leurs positions sont incompatibles, contradictoires. Beaucoup, en responsabilité pastorale, parce que c’est leur boulot, parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de se couper de tels ou tels, prônent l’unité et parlent avec tous. Il se pourrait que cela les empêche d’annoncer l’Evangile. Comment être prophète, avoir une parole de feu, comme le glaive à deux tranchants de la Parole ?
Le pontificat de François s’est affronté à la stérilisation de la Parole en remettant les pauvres et les parias au centre du discours. Il a rendu de nouveau cette Parole inattendue, et donc susceptible d’être écoutée. L’option préférentielle pour les pauvres avait fini par être abandonnée. Est-ce que la donne en est changée dans les diocèses et paroisses, pas sûr. Sont un peu moins marginaux et plus légitimes ceux qui dans la communauté sont pauvres et parias, et ceux qui tâchent de les accompagner, de marcher avec eux.
La prédication de François, par ses paroles, gestes et attitudes, sa manière aussi de rompre avec le décorum a mis le feu. Cela donne une idée de ce dont parle Jésus avec les divisions entre membres d’une même famille.
Jésus a apporté le feu par le recadrage qu’il impose aux interprétations de la Loi. ‑ Il « nous change la religion ». Nous n’allons pas abandonner la foi de nos pères ! ‑ C’est déjà fait : « vous annulez la parole de Dieu par la tradition que vous vous êtes transmise. » Il s’agit d’interpréter les Ecritures selon la miséricorde. Tiens revoilà François et son année sainte ! Dieu est inconditionnellement tourné vers ceux qui n’en peuvent plus. L’option préférentielle pour les pauvres n’est pas un truc pastoral des années soixante, c’est la geste même de Dieu : « J’ai vu la misère de mon peuple. »
Le recadrage de la Loi, non abolie mais accomplie, dans la logique des prophètes, dénonce la religion comme cohésion sociale et identité (qui excluent, la cohésion se fait sur le dos de l’autre dont on ne veut pas, hier et aujourd’hui) et comme culte, car Dieu réclame en premier la justice envers les frères. Amos a une parole de feu à dénoncer la triche et l’exploitation du faible, tout comme Isaïe. Elie a une parole de feu, passée au creuset, quand Dieu n’est pas le garant du sens, mais ce qui renverse tout ce que l’on pense de lui. Il n’est qu’une voix de fin silence, et non le tout puissant. Et pour rien, comme Job, il est rempli d’un zèle jaloux pour celui devant qui il a décidé de se tenir.
Aujourd’hui c’est la même haine. Les fidèles des fidèles tuent leur Seigneur : L’’évangile est réduit à de l’humanitaire. Il faut une annonce décomplexée, comme la droite et désormais l’extrême droite. ‑ Avec Jésus, pas d’identité puisque la vie est transformée, convertie pour libérer. Il ne s’agit pas de convertir, d’agréger à une religion. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! »
Il faut des disciples, assurément, juste ce qu’il faut pour montrer l’urgence de rendre la vie, hommes, femmes, enfants vivants. Quand l’évangile est chrétienté, c’est sa fin. Quatre religieuses en un village musulman du Sénégal, ai-je lu dernièrement. Elles font ce qu’elles peuvent avec les enfants. Et c’est tout, à tous les sens de l’expression. Le feu du glaive tranchant ne fait pas de bruit, ou alors seulement dans les réactions qui s’opposent à lui.
Jésus impatient du baptême de feu, ou fatigué, désirant comme Elie, en finir, et que soit mis un dernier mot, celui de sa fidélité, au Oui qu’il est tout entier, oui à la vie, à la vie des frères et sœurs, et ainsi, oui à son Dieu et Père.
J. Bosch, Jardin des délices, détail enfer
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