12/07/2024

La conversion du missionnaire (15ème dimanche du temps)

 

 Christ enseignant les Douze, art éthiopien fin XVIIe-XVIIIe, Walters Art Museum, Baltimore (Détail d’un triptyque)

 

Sommes-nous tous envoyés en mission, ou bien est-ce réservé à quelques spécialistes – appelés apôtres dans les Ecritures ? Apôtre veut dire envoyé et, par définition, seuls et tous les envoyés sont envoyés. Dans l’évangile de ce jour (Mc 6, 7-13), ceux qui sont envoyés, ce sont les Douze, ceux qui sont agrégés à ce groupe. Or Douze, c’est la totalité. Les disciples de Jésus ne sont jamais ni plus ni moins que douze, quel que soit leur nombre. C’est bien pour cela qu’il faut remplacer Judas de toute urgence, au début des Actes.

Le baptême, dont la théologie est largement réexplorée depuis Vatican II, charge (munus) tout disciple de la mission. Disciple-missionnaires, ainsi chaque baptisé expose François depuis le début de son pontificat. La mission n’est pas un domaine réservé. Conversion et de la pratique ecclésiale et de chaque baptisé.

Lorsque, au tournant des 5ème et 6ème siècle, un moine confie à Guénolé de fonder un monastère, il envoie onze compagnons avec lui. Douze, c’est ce qu’il faut pour être disciples. On n’est pas disciple seul. On n’est pas disciple sans les frères et la fraternité. C’est pourquoi Jésus les envoie deux par deux ; comment autrement pourrait-on comprendre qu’en eux il s’agit de fraternité ?

Jusqu’à une époque assez récente, les moines disaient mener la vie apostolique, alors même qu’ils n’avaient pas d’activité apostolique. Mais ils vivaient à l’école du cloître en collège comme les disciples autour et avec et à la suite de Jésus. Plus osé encore, lorsqu’en milieu du 16ème siècle, Thérèse de Jésus fonde le Carmel san José, elle réunit douze sœurs. Ce collège des douze est composé de femmes, exclusivement, sans un seul clerc !

Les disciples sont toujours des envoyés parce que le Dieu qu’ils aiment est un Dieu en sortie, pour les autres. Le père de la parabole sort à la rencontre du fils aîné comme du fils perdu et retrouvé. Le maître de la vigne sort à toute heure pour embaucher des ouvriers, y compris à la onzième. Le premier missionnaire, c’est Jésus, non pas pour transmettre un message, ce qu’il faut croire, la révélation. Il est l’envoyé du père, l’apôtre du père (Cf. par exemple Jn 6, 57), sa parole. La vie pour Jésus est sortie (Mc 1, 38) ; aussi les disciples témoignent d’une vie en sortie, pour les autres, la fraternité, à commencer par ceux qui ne sont pas du coin, de la maison ‑ c’est bien pour cela qu’ils sortent ! Les disciples n’ont pas de chez eux, ils sont en chemin, pèlerins, gens de passage, paroissiens (ceux qui habitent à côté) ; ils ne peuvent habiter le centre mais seulement les marges, la périphérie comme dit François.

L’envoyé selon l’évangile est désarmé, sans rien. Comme Jésus. Que se passe-t-il quand on n’a rien ? Quand on n’a pas la solution, qu’on a les mains vides ? Je pense à ceux qui accompagnent les proches de malades incurables. Ils n’ont pas de solution et se contente d’être là. Ou encore avec ceux qui viennent en aide aux migrants et se fracassent contre le même mur qu’eux de l’administration du rejet social, de l’expulsion ou de la clandestinité.

Quand on n’a rien, on n’apporte pas le Christ. On est obligé de le découvrir déjà sur place, devant, nous devançant. C’est la conversion du missionnaire qui est évangélisé par ceux vers lesquels il sort. Loin de leur apprendre Dieu, il l’apprend d’eux. Voilà pourquoi, les disciples sont missionnaires, ils rencontrent leur Seigneur chez les autres, pas de chez nous, qui ne pensent pas comme nous, que ceux-ci connaissent Jésus explicitement ou non. Car il en est beaucoup qui le connaissent sans le savoir, s’il est vrai que « celui qui aime connaît le Père » (1 Jn 4, 7).

Être envoyé dès lors c’est la même chose que mettre sa foi en Jésus. C’est toujours sur l’autre rive, devant, là où nous ne sommes pas, que se trouve le Seigneur. La mission transforme les Douze en celui qui les envoie, comme lui, ils guérissent et libèrent du mal ‑ la lutte contre le mal est la grande affaire de la mission de Jésus, ce que l’on appelle le salut. Les disciples sont convertis par la mission. Ils sont comme Jésus, le converti du Père, « (tourné) vers lui » (Jn 1), son visage tourné vers nous.

Faudra-t-il enfin parler de l’annonce explicite de la parole ? Jésus n’en dit rien en Marc ; le devrions-nous ? Il n’y a pas d’évangélisation autre que le renversement du mal, ce qu’on appelle conversion, changement de manière de penser. Rien à propos de Dieu, rien à propos de Jésus, seulement le passage de la bonté, puissance de salut.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire