18/07/2024

L’abbé Pierre aussi !

Qui cela étonnera-t-il ? Seulement ceux qui croient au monde des Bisounours. Chacun de nous a sa part d’ombre.

On dira, part d’ombre, c’est un peu court. Il s’agit de comportements délictuels (pour le moment, on ne parle pas de viol, de crime sexuel). Dans les années passées, nombre d’entre nous ont des choses, y compris délictuelles, à se reprocher. Je ne dis pas cela pour banaliser le mal, mais pour dénoncer les idolâtres, y compris les journalistes cathos, intéressés par les figures qui font vendre du papier.

Encore dans La Croix ce jour. « Des accusations qui mettent à mal l’icône. » Non, ! Le problème n’est pas de mettre à mal ; et encore moins l’icône. Il faudrait parler d'idole. Qui fabrique des idoles ne peut s’étonner que cela finisse mal. Comme si le problème concernait le statut d’icône alors qu’il s’agit de victimes, comme si la chute des idoles était un problème. Il y a les victimes qui prennent la parole. Merci à elles. Il y a les délits de l’abbé, ils ne peuvent plus être punis. Il y a aujourd’hui le fait que l’affaire est publique, la dénonciation du comportement idolâtrique. La Croix aurait mieux fait de parler d’accusations qui interdisent que l’on prenne l’idole pour une icône, que quiconque soit perçu comme saint, homme ou femme d’exception, homme ou femme providentiel. Les journalistes n’ont pas fait leur boulot à aller dans le sens de l’icône : en grande partie, ils l’ont façonnée. La Croix, et autre bonne presse, c’est Gala ou Ici Paris version catho !

Je suis en colère, contre cette bonne presse, si fière que le personnage préféré des Français soit un prêtre, journaliste si fier d'avoir connu telle célébrité. Outre l’idolâtrie, c’est le cléricalisme. Jésus a-t-il été le personnage préféré de ceux qui avaient entendu parler de lui ? C’est insensé. C’est avec cela que l’on a fait de l’argent, c’est cela que la presse nous a vendu, et maintenant fait la sainte-nitouche. Soit les journalistes ne connaissent rien à l’humain, soit ils sont complices à ne pas laisser imaginer l’ombre en ceux à propos desquels ils écrivent. Cela tourne la tête d'interviewer l'abbé Pierre, de manger avec lui, d'avoir son 06 !

J’en ai souvent pris plein la figure de n’être pas bon public, de ne pas chanter avec tous, de soupçonner, ou plutôt de ne pas croire que ce qu’on nous disait était juste. Je ne soupçonnais rien de répréhensible, mais suis épidermiquement prévenu contre ce qui laisse penser qu’il n’y a pas d’ombre en nos vies. Depuis quarante, la pastorale et le journalisme catho, c'est des témoignages. Foutaises, c'est la machine à fabriquer des idoles. Raconter sa vie ou celle d’autrui, c’est toujours mentir, parce que l’on ne dit jamais tout. Ou du moins, c’est si rare. Si l’on n’a certes pas à tout dire, on n’a pas à faire croire au personnage formidable

L’abbé avait lui-même dit qu’il avait eu des relations sexuelles. Il avait déjà essayé de ne pas se montrer meilleur qu’il n’était. Il n’avait pas laissé entendre, si j’ai bonne mémoire, que c’était délictuel, que cela avait duré tant d'années, que ce n'était pas une fois ou l'autre, qu'il était incapable ou ne voulait pas prendre les moyens de corriger son égotisme malade. Il était dans l’horrible logique cléricale, pour qui ce qui est grave c’est d’avoir des relations sexuelles quand on est célibataire engagé au célibat, et non de ne pas respecter autrui, pour qui la chasteté concerne ce que l’on fait de son corps, et non du corps d’autrui. Le code de droit canonique, au moins jusqu'à une période récente, je ne sais si cela a changé, classe les crimes sexuels, y compris pédocriminels, comme non respect du commandement de l'adultère et non comme un assassinat. Ce n'est pas de s'envoyer en l'air le problème, mais de tuer au moyen du sexe la victime, de la meurtrir à jamais.

Les faits délictuels rapportés sont la preuve, si besoin en était, de ce que les mâles, les vrais, se permettent avec les femmes (voire avec les homos, même si ces derniers peuvent aussi être agresseurs). Ils sont la preuve que l’on ne pense plus cela normal et que l’on a changé d’époque. Ils sont la preuve que tout pouvoir, y compris celui que donne la notoriété et la cléricature, est une drogue redoutable qui exige des contre-pouvoirs et une supervision. S'en dispenser est aujourd'hui non seulement une faute morale, mais une manière de prendre la vie à la légère totalement irresponsable, c'est se moquer de la tête des gens, ce n'est pas assez dire, c'est se foutre de leur gueule. Ils sont la preuve de ce que l’on se met, un peu, enfin, à penser à partir des victimes.

Est-ce que cette énième chute de l’idole nous guérira des idoles ? Excusez la légèreté avec laquelle je finis eu égard aux prix que paye les victimes ; mais cette chute pourrait au moins aider les prédateurs à ne pas pouvoir passer à l'acte.




PS, on en apprend tous les jours un peu plus.

Le problème n'est pas que l'abbé Pierre ait eu des relations sexuelles avec des femmes (cela aurait même pu être avec des hommes.). Le problème n'est pas son non respect du célibat continent. Qui cela regarde-t-il, la sexualité ou la génitalité des consacrés ?
Le problème est sa compulsivité qui le fait agresser des personnes, en l'occurrence des femmes, son incapacité ou son refus de travailler sur cette compulsivité délictuelle. Le problème est sa perversité, manifestement pas considérée comme telle par ceux qui étaient au courant. Dès 1957, il est envoyé en centre pour prêtres déviants. Pendant des années, Emmaüs aux dires de M. Hirsch par exemple, tâche de l'écarter et de prévenir les collaboratrices de l'organisation.
Ce que l'on sait aujourd'hui de sa vie, pas seulement par les victimes, mais par les informations émanant tant de l'Eglise que d'Emmaüs, c'est que le triste sieur était un délinquant sexuel s'étant à de multiples reprises rendu coupable au minimum de délits, peut-être de crime (viol). Dénoncer des actes délinquants, cela regarde tout le monde.

1 commentaire:

  1. C’est bouleversant ce que tu nous relais ici. Mais ces journalistes, cette presse, ne sont même pas attachés à leurs idoles mais au sensationnalisme qu’ils provoquent. Au moins ceux qui courent après les idoles ont un minimum d’implication avec eux. Les autres en revanche , c’est de la curiosité malsaine et la course au gain qui résulte de ces formules en guise de premières pages des journaux. Cela ne fait qu’afficher doublement un mépris pour l’Eglise : pour les victimes d’un côté, pour le ministère ordonné d’un autre. Encore que l’Eglise est davantage les petits dont parle Jésus et moins le clerc.
    Or, nous assistons vraiment à un changement non d’époque mais de territoire : nous changeons de cité : c’est la cité perverse dont parle D. Dufour: cité d’une obscénité qui n’a rien à voir avec la libération sexuelle mais avec la pulsion égoïste érigée en règle sociale. Et ici on voit bien une forme de libido qui continue à instrumentaliser la souffrance, à la capitaliser. C’est d’un côté comme de l’autre le religieux et le prophane, l’installation de la cité perverse.

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