19/07/2024

La mission, une pâque (16ème dimanche du temps)

Début 11e siècle, Constantinople, BNF, Manuscrits, grec 64 f. 159 

 

Le chapitre 6 de Marc raconte l’envoi en mission et le retour que nous entendons aujourd’hui. Mais il commence avec la famille de Jésus ‑ y compris sa mère ! ‑ qui pense qu’il a perdu la tête. « Nul n’est prophète en son pays. » Et, entre l’envoi et le retour des Douze, l’évangéliste place le meurtre du Baptiste. Une histoire de prophète, pas reçu en son pays.

De suite après l’épisode de ce jour, se situe la première multiplication des pains et la traversée de la mer. Jésus est sur la montagne à prier, comme Moïse ; les disciples sont effrayés comme le peuple pourchassé par les Egyptiens. La mission est tout entière pascale.

Que la mission soit affaire pascale, c’est assez rare qu’on le dise, alors même que c’est le texte de Marc. Si les Douze sont fatigués, ce n’est pas parce la mission serait épuisante et qu’il faudrait recharger les batteries dans un cœur à cœur avec Jésus qui nous a préparé la table. Débarrassé du mal, le pré d’herbe fraiche où il nous fait reposer est figure pascale.

Nous entendions dimanche dernier que la mission ne réside pas en un message hors l’impératif de la conversion, exigence de changer de manière de penser… sans dire quelle serait la nouvelle. La mission est principalement une lutte à bras le corps contre le mal, exorcismes et guérisons, annonce de la paix. Etre confronté au mal est épuisant.

Dans la prière, Antoine et les Pères du désert montrent comment les démons, les figurent du mal, se précipitent. N’allons pas croire que la prière serait repos ! C’est même un combat, une agonie. La conversion, le changement de manière de penser, est épuisante et si les disciples sont fatigués, c’est que, curieusement, ce sont eux qui ont dû se convertir. Jésus les y avait contraints avec un dispositif missionnaire strict. Non pas se présenter nus ‑ cela va sans dire ! ‑ mais dénudés. On sait combien le travail de dénuement est exténuant, combien pour conduire à la liberté, il pompe les énergies. Les envoyés n’ont pas à convertir les autres ; ce n’est pas cela qui les fatiguent ‑ c’est insensé ! ‑ mais de se laisser convertir.

Michel de Certeau parlait de la conversion du missionnaire. Les Douze n’apportent pas le Christ et la bonne nouvelle, ils les trouvent chez ceux à la rencontre desquels ils sortent. Ils doivent se débrouiller à entendre en toute parole des frères, même hostile, celle de Jésus. Entendre chez l’autre la Parole n’est pas spontané, mais s’il faut l’entendre dans les insultes ou railleries, les humiliations voire le martyre…

La mission consiste à entendre la Parole dans les propos de ceux qui n’en savent peut-être rien, voire lui sont opposés. Ça, c’est du boulot. Ça, c’est pascal, parce nous n’apportons pas le Christ au monde, il ne nous a pas attendus, il nous précède. Nous sommes chargés seulement de le voir et de l’écouter. Être disciples n’est peut-être rien autre que la foi en ce que tous portent la Parole, y compris à leur corps-défendant. N’est-ce pas ce que signifie en outre le dogme de l’incarnation ? Il a pris chair de notre chair. Notre chair est sa chaire !

Disciples du Dieu en la chair, nous sommes épuisés à penser et à vivre que le corruptible soit lieu de Dieu. Chaque fois que nous élevons Dieu dans les nuages de l’incorruptible, nous sommes la pourriture qui s’attaque au visage de Dieu. Il n’a d’autre visage que celui des frères et sœurs. (Vouloir) le voir ailleurs est une trahison. C’est l’institution de la pourriture comme dit Certeau. Et nos Eglises en savent quelque chose !

Il y a déjà une institution religieuse en Israël. Et pourtant, les foules sont comme des brebis sans bergers. C’est violent comme vision du travail des autorités juives même si c’est une constante dans les Ecritures… juives. Jésus n’invente rien et pourtant scandalise, prophète en son pays que l’on ne peut recevoir. Il ne s’agit pas de remplacer la synagogue par l’Eglise. Ce sera la même chose, on le voit tous les jours.

Il s’agit de déserter le religieux, bureau ou guichet du céleste en ce monde, pour rejoindre l’humanité au plus près de la chair. (Le plus près de la chair n’a rien d’incestueux ou criminel, n’est-ce pas !) Jésus, et normalement ses disciples après lui, comme lui, sont pris de compassion, parce la chair, lieu de l’épiphanie de Dieu, est trop souvent défigurée. Marc rapporte un peu plus loin que « Jésus fixa sur l’homme son visage et l’aima. » Berger, il guérit, chasse le mal, permet à chacun de refléter le visage divin.

Nous ne savons pas ton mystère,
Amour infini ;
Mais tu as un cœur,
Toi qui cherches le fils perdu,
Et tu tiens contre toi
Cet enfant difficile
Qu'est le monde des humains.

Nous ne voyons pas ton visage,
Amour infini ;
Mais tu as des yeux,
Car tu pleures dans l'opprimé,
Et tu poses sur nous
Ce regard de lumière
Qui révèle ton pardon.


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