1. La mission
2. Qu’est-ce qu’être prêtre ?
3. Pour aujourd’hui
Le décret Presbyterorum ordinis sur le ministère et la vie des prêtres (7 décembre 1965) parle toujours des
prêtres au pluriel[1]. Le ministère n’est pas un pouvoir
conféré individuellement mais l’appartenance à un collège (§ 8) dont le
but est de seconder l’évêque dans le service de la communauté. Il n’y a
pas d’ordination (ni de vocation) sans mission. Toujours le décret tient ces
mots ensemble. Les rédacteurs (dont Mgr Marty, Mgr Vilnet, H. Denis) le
structurent autour de la mission. C’est pourquoi le rapport à l’évêque, qui est
si manifeste dans la concélébration, est capital (§ 7).
La mission
n’appartient pas en propre aux prêtres, mais à l’Eglise qui la reçoit du Christ ;
elle consiste dans l’annonce de l’évangile (§ 2). Même si leur nombre est
suffisant, les prêtres ont moins à faire eux-mêmes qu’à faire en sorte que
l’Eglise remplisse sa mission, par l’enseignement (catéchèse, homélie, groupes
de préparation au baptême, groupes de réflexion sur la foi et la vie, etc.),
par l’engagement dans la cité, prioritairement au service des plus pauvres (souci
de la cellule familiale, actions caritatives, éducatives, etc.), par son
organisation (collaboration entre prêtres et laïcs). Le prêtre n’est plus
d’abord défini par l’eucharistie ; la charité pastorale caractérise son
attitude (§ 14). Les
prêtres sont ordonnés à la fraternité et à la mission pour que l’Eglise soit
ferment et promesse de fraternité (§ 9).
Le ministère est la source de la vie des prêtres et non
l’inverse. De même que les chrétiens sont sanctifiés dans leurs engagements familiaux,
sociaux, associatifs, ecclésiaux, etc., de même les prêtres trouvent leur sanctification dans le
ministère (§ 12, 13)[2].
De cette source découle l’identité des prêtres. Le ministère ne peut être épuisant
au point qu’il faudrait recharger les batteries dans des exercices spirituels.
On ne saurait opposer ni distinguer spiritualité et ministère à l’unification
duquel la relecture de vie est nécessaire (§ 14).
2. Qu’est-ce qu’être prêtre ?
Penser
l’Eglise comme peuple de Dieu, toujours à convertir, ne pouvait pas ne pas avoir
des conséquences sur la conception des ministères. La vocation universelle à la
sainteté par la consécration baptismale concerne tout baptisé quel que soit son
état de vie. Lumen Gentium confesse
la dignité et la mission du peuple de Dieu avant d’envisager les ministères qui
sont à son service en le structurant. Certes, le décret, étudié qu’à la
troisième session, bénéficie du travail sur la liturgie, l’Eglise (Cf. LG 10, 28 et 41) et les évêques. Mais son
élaboration tardive et trop rapide se repère dans le manque de concision et
d’unité du texte final qui ne peut apparaître comme un grand texte[3].
Les prêtres chrétiens ne sont pas
des médiateurs ou des intermédiaires entre Dieu et les hommes, chargés d’offrir
les sacrifices ; ils n’ont rien à voir avec ce que l’on rencontre
dans les religions. L’Eglise, peuple sacerdotal, (1 P 2,9 ; Ap 1,6) ne peut
avoir d’autre médiateur que le Christ. Le sacrifice des chrétiens est spirituel
(Cf. Rm 12,1 cité § 2), don qu’ils font d’eux-mêmes pour le service de
leurs frères et la gloire de Dieu par l’annonce de l’évangile.
Les
différents schémas qui aboutirent au décret se sont intitulés : de clericiis, de sacerdotibus, de vita et
ministerio sacerdotali, de ministerio et vita presbyterorum. On
abandonne le terme juridique de clerc, donc la distinction qui paraissait si
fondamentale entre clercs et laïcs. Puis on relègue le vocabulaire du sacerdoce
pour parler de presbytérat.
En français,
le mot prêtre traduit deux mots grecs ou latins repérables dans les adjectifs
sacerdotal et presbytéral. Le
Nouveau Testament n’emploie jamais le vocabulaire sacerdotal pour les ministres
chrétiens comme si on avait voulu rompre avec les religions, tant le
judaïsme que les cultes païens. On parle d’anciens (presbyteros), mais aussi
d’épiscopes, de prophètes, de docteurs, d’apôtres, etc. Le décret conciliaire reprend
cet usage réservant, avec l’épître aux Hébreux, le sacerdoce à Jésus et
appelant certains ministres des prêtres (anciens). Il s’agit d’une véritable
conversion lexicale et théologique[4]
d’autant que le traité du sacrement de l’ordre insistait sur le prêtre (sacerdote)
qui a le pouvoir d’offrir le sacrifice de la messe.
A la manière
des premiers chrétiens, le concile appelle ministère[5],
c’est-à-dire service (en grec diakonia
qui donne diacre), la charge des prêtres, des évêques et des diacres. Les ministres sont des serveurs de
la Parole, ceux qui font passer la Parole du Seigneur comme on passe les plats
au restaurant, ou comme un serveur internet qui organise les communications.
Un schéma vertical, où le prêtre est un homme séparé que l’on
définit par son pouvoir indépendant de la communauté (Dieu ↔ Apôtres ↔ sacerdote
↔ peuple) est remplacé par un schéma communautaire : l’Eglise unifiée par la Trinité
est une communion de vie organisée ; certains en son sein sont à son
service et n’ont pas plus de dignité que les autres (§ 9). « Pour
vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien. Le premier titre est celui
d’un office, le second d’une grâce. L’un est source de danger, l’autre de
salut. » (St Augustin cité en LG
32)
3. Pour aujourd’hui
Deux théologies cohabitent dans le
décret quand elles ne s’affrontent pas. Malgré la perspective missionnaire,
le prêtre demeure l’homme du sacré ou l’homme de Dieu. Le concile n’a pas voulu
rejeter une théologie qui définit profondément l’identité catholique depuis le 11ème
siècle et a mal su la réorienter. Il s’est contenté, prix du compromis, d’intro-duire
une perspective néotestamentaire et patristique. A côté de cette théologie,
confirmée par l’enseignement de st Thomas (+ 1274), canonisée par le concile de
Trente (sessions de 1562-63), dont la figure ascétique et pastorale du curé
d’Ars (1786-1859) constitue un véritable étendard, on perçoit l’esprit du
concile, le sens dans lequel le concile avait souhaité aller.
Trente s’était
contenté de contester Luther et n’avait pas proposé pas de théologie systématique.
Vatican II corrige cet anti-protestantisme, faisant sien ce qui dans la
protesta-tion luthérienne est aussi catholique, valorisant par exemple la
prédication de l’évangile (dont on parle avant de parler des sacrements). Même
bien posée, l’articulation du corps eucharistique et du corps ecclésial du
Christ ne suffit pas à comprendre l’Eglise au service de l’humanité (Cf. Lumen gentium) ; or les prêtres comme l’Eglise ne peuvent
pas être compris en soi ; la mission des prêtres est seconde, dérivée,
leur ministère est relation.
Une crise
couvait et peu comprirent qu’on avait besoin d’exprimer le sens du ministère,
une théologie des ministères, tant était évident qu’on savait ce qu’est un
prêtre. Les problèmes auxquels le clergé était confronté seraient résolus par
des prescriptions et conseils, réclamés dès la période préparatoire et jusqu’au
vote final. Souvent lénifiants bien que non sans fondement, ils ne répondaient
nullement aux défis de la
crise de société (mai 68, fin des Trente glorieuses, fin d’une Europe rurale
dont le clergé était majoritairement issu, etc.) qui secoua violemment l’Eglise et notamment les prêtres[6],
ni au changement de théologie dont le concile lui-même était responsable. La déchristianisation,
la crise de l’autorité (y compris ecclésiastique) et les affaires de pédophilie
ont aggravé les choses depuis.
Si l’on n’est
pas meilleur chrétien à être prêtre, le ministère s’inscrit dans l’ordre de la
gratuité, à la limite de l’inutilité. Les prêtres alors sont, fort
traditionnellement, au service (Cf. Mt 20,28 cité § 9) de l’Eglise pour
qu’elle s’attache à sa mission. Ils
inscrivent par le service, par leur ministère, que l’Eglise est la convocation
du Seigneur. L’annonce de l’évangile prend aujourd’hui dans les sociétés
opulentes la forme d’une contestation de l’efficacité et d’une promotion de la
gratuité, de la grâce, c’est-à-dire de Dieu lui-même. Par leur ministère et
leur vie, les prêtres s’effacent derrière la mission de l’Eglise. Ils sont chargés de rappeler à l’Eglise,
et de vivre, l’attitude du Baptiste : il
faut qu’il croisse et que je diminue (Jn 3,30).
[1]
Il y a des exceptions à cet usage qui laissent percevoir que le concile n’est
pas parvenu à une expression homogène. Lorsque l’on parle de la présidence de
l’eucharistie, alors le prêtre agit
en place du Christ. Dans l’Eglise ancienne, à part peut-être chez Ambroise, on
n’oppose jamais in persona Christi et in
persona ecclesiæ.
[2]
« C’est l’exercice loyal, inlassable de leurs fonctions dans l’Esprit du
Christ qui est, pour les prêtres, le moyen authentique de la sainteté. »
[3]
Cf. l’analyse rigoureuse et sans appel de P. Hünnerman
dans le dernier volume de Alberigo en 2005.
[4]
Curieusement, cette conversion n’empêche pas le concile d’employer pour les
prêtres des termes réservés au Christ par la lettre aux Hébreux modifiant voire
déformant la citation par l’usage du pluriel (§ 3). Benoît XVI a organisé
en 2009 une année sacerdotale et non presbytérale.
[5]
Minis signifie petit et s’oppose à magis, dont dérive magistère qui désigne
les charges importantes.
[6]
Les évêques ont été incapables de se mettre d’accord au synode sur les prêtres
(1971), notamment sur le célibat, dont Paul VI avait demandé que l’on n’en
parlât pas dans la discussion publique du décret en 1965.
"Ils ne sont pas des médiateurs ou des intermédiaires entre Dieu et les hommes, chargés d’offrir les sacrifices."
RépondreSupprimerDans les textes peut-être.... Dans la pratique... ceux que j'ai rencontrés (et au moins dans l'exercice de leur ministère) se considèrent bien comme des intermédiaires, seuls détenteurs de l'enseignement "vrai" reçu de Dieu pour le distribuer au commun des mortels....
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La crise actuelle est peut être votre seule chance de vous en sortir en redevenant des "ordinaires", semblables aux autres humains (hommes et femmes) qui donnent leur vie pour d'autres qu'eux-mêmes, dans la quotidienneté, sans besoin de reconnaissance d'un titre et d'une fonction hiérarchique d'eglise.