« Dans la cité, je n’ai pas vu de temple, car son temple,
c’est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, et l'Agneau. » (Ap 21,22) Le
texte de l’Apocalypse est pour le moins déconcertant. Décrivant la cité sainte,
la Jérusalem céleste, l’humanité sauvée partageant la vie de Dieu, il précise
qu’il n’y voit aucun temple. La ville de Dieu est sans lieu de culte, la vie
avec Dieu n’a pas d’espace pour la prière.
Pareillement, il n’y a pas de soleil. Comment la vision du
paradis pourrait-elle ne pas montrer de soleil ? Comment, sans soleil,
pourrait-on voir quoique ce soit ? Comment la vie avec Dieu pourrait-elle
être ténèbres. Mais justement, « de nuit, il n’y aura plus » (Ap
22,5). Il n’y a pas besoin de l’astre qui réchauffe et éclaire notre monde. Quand
Dieu habite au milieu de son peuple, c’est à sa lumière que tous marchent, c’est
à sa chaleur que tous vivent.
Le monde nouveau est dit en des termes que nous connaissons
bien, repris de notre monde. Il ne s’agit cependant pas d’un monde en plus, en
mieux. Il s’agit dans le langage de ce monde d’introduire l’insolite, la pierre
qui fait trébucher, le scandale, l’étrange. La cité céleste n’a ni temple ni lumière.
Si le texte n’avait comporté que cela, nous aurions sursauté. Et nous devons
sursauter tellement cela est étrange : la cité céleste n’a ni temple ni lumière.
Cette cité céleste est comme notre vie, mais complètement
différente. Il faudrait savoir, c’est pareil ou complètement différent ? C’est
pareil, parce que la vie dans la cité céleste, c’est maintenant, dès lors que
nous vivons du ressuscité, que nous sommes déjà vivants de sa vie. Ce que dit
notre baptême, la préface le dit aussi : « sa mort nous affranchit de
la mort, et dans le mystère de sa résurrection chacun de nous est déjà
ressuscité. » La cité céleste, c’est comme ici, parce que c’est ici que
nous vivons de la vie du ressuscité. Mais cela change tout de l’ici, en faisant
déjà un autre, ou plutôt, transfiguration de l’ici en temps et en espace de
Dieu.
Alors si le soleil brille encore ici, ce n’est pas lui qui
nous éclaire et réchauffe, ou, dans sa clarté, c’est une autre clarté qui se donne
de voir. S’il y a encore des lieux de culte comme nos églises, ce ne sont
pourtant plus des lieux de culte, car il n’y a plus de temple dans la Jérusalem
céleste.
Il n’y a plus de temple parce qu’il n’y a plus de culte. Le
culte, comme dit Paul est spirituel ou encore selon le Logos. « Je vous
exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie
vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à
rendre. » (Rm 12,1)
Ce que nous célébrons en nos églises n’est pas un culte, car
le culte, nous le célébrons jour après jour, heure après heure s’il est vrai
que Dieu vit avec nous, au milieu de nous. Si ce monde est transfiguré par sa
présence, à quoi bon des temples pour le visiter ? C’est chaque instant de
l’existence qui devient action de grâce, eucharistie, dans le lavement des
pieds, le service du frère, la pratique de la charité.
Une cité sainte sans temple, voilà qui interdit qu’il y ait
d’un côté notre vie privée et de l’autre la vie religieuse, le profane et le
sacré, ce qui concerne le monde et ce qui concerne Dieu. C’est le monde qui
concerne Dieu depuis que Dieu est créateur, amant de ce monde qu’il a tant aimé. La cité sainte, c’est la cité sans
religion, aussi curieux que cela paraisse, parce que plus rien n’est réservé au
religieux et qu’en toutes choses, Dieu est à trouver, à louer, en toutes choses
Dieu est vie, donne sa vie, se donne.
Une cité sainte sans religion, c’est le scandale de l’évangile.
Les païens de l’Antiquité accusaient les premiers chrétiens d’athéisme. Et ils
voyaient juste. Sauf à trahir l’évangile, la religion n’est plus possible, le
culte n’est plus possible, si ce n’est à être chrétiens pratiquants, c’est-à-dire,
à vivre le culte logique de la charité. Mettre l’évangile en pratique, c’est
aimer comme Dieu, jusqu’à l’extrême.
Et si l’on se retrouve encore dans les églises, si l’on ne
veut pas que les églises soient les tombeaux de Dieu où Nietzsche chante son Requiem aeternam Deo, c’est parce que ce
que nous sommes ne parait pas encore
pleinement, ou, ce qui revient au même, parce que le corps est le chemin de
Dieu vers l’homme, que la lumière du soleil demeure la parabole de la lumière
divine, tant que l’enfantement du monde nouveau n’est pas achevé.
Dieu est au milieu de son peuple, de ce monde, dans ce qu’il
a de plus charnel, car sans la chair, l’homme est une bête qui se prend pour un
ange. Nous sommes dans cette église pour dompter la bestialité qui nous habite,
y compris la violence religieuse, pour apprendre à vivre comme hommes et
femmes, pour consentir à ce que, parce que l’Agneau habite en nous, tout homme
est une histoire sacrée.
Lorsque vous écrivez : "Quand Dieu habite au milieu de son peuple, c’est à sa lumière que tous marchent, c’est à sa chaleur que tous vivent." , je suppose que vous référez à l'expérience intime de Dieu présent au coeur de chacun et qui se manifeste personnellement à chaque homme qui "sait (désire) percevoir" ?
RépondreSupprimerUn Dieu au milieu de son peuple, ce ne sont pas les hommes assis par terre en rond comme au feu de camp et Dieu "au milieu" comme un chef de patrouille, mais une expérience de Présence au fond de soi.
Parce que comme vous dites aussi : " le corps est le chemin de Dieu vers l’homme". J'ajouterais volontiers l'inverse : Le corps est le chemin de l'homme vers Dieu, notamment parce que le chemin de l'intériorité et de l'intime conduit aux portes du Mystère, ressenties au fond de soi, dans le corps, et non dans la cervelle. (même si l'intelligence a son rôle à jouer, notamment dans le discernement).
Seul ce chemin ouvre la porte du "Monde nouveau", offrant à ceux qui s'y reconnaissent une sorte de nouvel "ilot culturel" où les perpectives se renversent. Où l'amour humain cherche son Absolu.
Bien des hommes, chrétiens ou pas, accèdent à cette expérience spirituelle, avec ce qu'elle comporte de joies, de souffrances et de doutes parfois.
Alors, il me semble, nul besoin de culte formalisé (voire réifié), de formules toutes faites, de cérémonies pour en remontrer aux foules, de grands prêtres, de prélats déguisés, de récipients sacrés en or, et toute cette extériorité qui a fini par s'enfermer sur elle-même, avec les querelles intestines pour savoir si le Pape a ou non dévié de 3 cm tel geste plutôt que tel autre…
Je suis dans une "impossibilité physique réelle " de participer à ce genre de choses. J'en ressens un dégout profond et des nausées, lorsque je m'y rends par solidarité envers des personnes qui me sont chères et des familles (je pense ici aux obséques religieuses que j'avais évoquées une fois ici, non sans aigreur je le reconnais…)
alors ?
Ai-je tord sur toute la ligne ?
Je dirais que c'est justement parce que le corps est le chemin de Dieu que le culte est rendu à sa nécessité. Le corps et les autres, le soi comme corps et comme relation aux autres, c'est ce qui rend le culte possible.
SupprimerPour de purs spirituels, cartésiens qui peuvent oublier, fût-ce le temps de cinq méditations, qu'ils ont un corps et que les autres existent, le culte est insensé. C'est je crois pourquoi notre Occident des quatre derniers siècles ne peut être intéressé par le culte qu'ethnologiquement ou dans la dévotion populaire et anti-intellectuelle.
Voilà plusieurs fois que je me dis que je devrais vous recommander la lecture de Raimon Panikkar, par exemple, "La plénitude de l'homme" publié chez Actes Sud en 2007.
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