Les textes de ce jour paraissent ne pas nécessiter
absolument un commentaire, non que l’on ne pourrait pas les faire parler, les
laisser nous provoquer à la conversion. En outre, la deuxième lecture
correspond au texte qui nous a accompagnés, toute cette semaine, dans la prière
pour l’unité des chrétiens. J’en profite pour prêcher sur l’eucharistie, dans
la suite d’ailleurs de mon homélie de dimanche dernier.
Je suis frappé de ce que cinquante ans après le vote de la
constitution conciliaire sur la liturgie, le 4 décembre 1963, nous soyons
encore si mal à l’aise avec le déroulement de la messe, ne sachant quand a lieu
la première lecture ou la prière universelle. Plusieurs d’entre vous demandent
régulièrement à ce que soit présentée de nouveau notre liturgie eucharistique.
La catéchèse depuis des décennies s’inspire du récit des pèlerins
d’Emmaüs pour mettre en évidence les quatre temps de la célébration
eucharistie, l’accueil qui permet de constituer la communauté, du chant d’entrée
à la prière d’ouverture ; la liturgie de la parole de la première lecture
à la prière universelle ; la liturgie de la communion, de l’offertoire à
la prière après la communion ; la liturgie de l’envoi avec les annonces et
la bénédiction. Les deux disciples d’Emmaüs sont rejoints par Jésus qui prend
le temps de la rencontre, les interrogeant sur leur vie : vient la grande
relecture des Ecritures et la prédication de la résurrection ; suit la
fraction du pain ; enfin les disciples se remettent en marche pour
annoncer ce qu’ils viennent de vivre.
Vous aurez remarqué que par quatre fois le président fait
reconnaître la présence du Seigneur à l’assemblée qui lui renvoie cette
reconnaissance. Au début de la messe, il salue « le Seigneur soit avec
vous », comme lors de la lecture de l’évangile, au début de la préface et
avant la bénédiction finale. Voilà les quatre temps bien marqués.
Notons que l’utilisation eucharistique de Lc 24 est… nouvelle.
Pendant plus d’un millénaire, la fraction du pain était comprise comme le
partage de la parole qui se multiple à être écoutée, commentée, comprise. Ceci
dit, on aurait tort d’opposer ou même de distinguer le temps de la parole et le
temps de la table eucharistique. C’est le même geste que nous faisons quand
nous ouvrons l’oreille de notre cœur et tendons les mains pour recevoir le
pain. Dans les deux cas, le Seigneur se donne à nous. Le pain et la parole sont
sacrement de ce don. Qu’est le pain, sinon la parole donnée en nourriture ?
Qu’est la parole, sinon une nourriture à écouter ; l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole que sort de
la bouche du Seigneur. Le sacrement est une parole visible comme dit
Augustin.
Le vocabulaire même montre cette identité des deux tables de
la parole et du pain, puisque liturgie eucharistique désigne aussi bien l’ensemble
de la messe que le moment de cette liturgie avec la prière eucharistique et la
communion. Je vous l’accorde, la perspective a bien changé depuis le concile.
On parlait alors d’avant-messe pour désigner ce qui est pour nous la liturgie
de la parole, comme si cela ne faisait pas vraiment partie de la célébration.
Importait d’arriver à la messe avant l’offertoire pour pouvoir communier.
La liturgie conciliaire fait de notre célébration un tout
autour de la parole et du pain. Il devient insultant pour la communauté d’arriver
en retard et de partir en avance, venant chercher sa pastille, comme disent les
enfants, mais n’attachant finalement pas d’importance au corps du Christ
rassemblé. L’eucharistie pourtant construit ce corps ecclésial, lui-même prémices
d’une humanité réconciliée.
Le chant d’entrée n’est pas là pour faire joli ni pour
accueillir le célébrant comme on le dit parfois. Il unit bien plutôt les corps,
les fait respirer ensemble et s’accorder, pour qu’à l’unisson chaque voix se mêle
aux autres. Ainsi se constitue l’assemblée célébrante, se rassemble l’épouse du
Seigneur.
A l’autel, aujourd’hui, normalement, on ne fait plus les lectures
ni ne préside ; on ne fait qu’y rompre le pain. Le centre de gravité de la
liturgie eucharistique au sens étroit s’est déplacé depuis que les fidèles
communient de nouveau habituellement à la messe. Importe moins la consécration
que la communion. Ce n’est pas que l’on croie moins à l’eucharistie, c’est qu’on
la sort d’un en soi pour en faire de
nouveau un pour nous. « Pour
nous les hommes et pour notre salut » ; « Voici mon corps pour
vous ».
Ainsi par deux fois, l’assemblée reconnaît son Seigneur ;
après la lecture de l’évangile, nous répondons à l’invitation à acclamer la
parole de Dieu : « louange à toi Seigneur Jésus ». L’assemblée
ensuite partage le pain. Là encore le Seigneur est reconnu, non seulement dans
les espèces eucharistiques mais dans l’assemblée de son corps qui devient ce qu’il
reçoit, lorsque chacun répond « Amen ! » à l'invitation « le corps du Christ ».
Voilà assurément le double moment de l’action de grâce. Pour dire merci au Seigneur, pour faire eucharistie, il nous faut consentir à ce qu’il s’offre encore, dans le pain et la parole. Nous ne le remercions pas de nous donner la parole et le pain, nous le remercions en accueillant la parole et le pain. L’action de grâce ne vient pas après la communion. Elle est la célébration elle-même où le Dieu très saint nous donne de pouvoir le chanter, lui dire notre joie d’être à lui, aimés.
Voilà assurément le double moment de l’action de grâce. Pour dire merci au Seigneur, pour faire eucharistie, il nous faut consentir à ce qu’il s’offre encore, dans le pain et la parole. Nous ne le remercions pas de nous donner la parole et le pain, nous le remercions en accueillant la parole et le pain. L’action de grâce ne vient pas après la communion. Elle est la célébration elle-même où le Dieu très saint nous donne de pouvoir le chanter, lui dire notre joie d’être à lui, aimés.
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