07/11/2014

Le Pape et la fin des certitudes (Dédicace du Latran)


Nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire de l’une des plus anciennes églises du monde, qui plus est cathédrale de l’évêque de Rome, la basilique saint Jean de Latran. Je ne suis pas parvenu à retrouver à partir de quand cette fête a été célébrée dans toute l’Eglise. Cela ne semble pas être avant le 11ème siècle, moment de la réforme grégorienne où le Pape se démène pour gagner son autonomie par rapport aux princes, mais où il revendique sa liberté en affirmant une autorité temporelle, pas très évangélique.
Notre théologie catholique a été longtemps déterminée par la polémique antiprotestante. Si vous tapez sur internet « trois blancheurs » vous ne trouvez pour ainsi dire que des résultats d’officines intégristes ou traditionalistes. La Pape, le saint Sacrement et la Vierge Marie. Voilà le tiercé gagnant d’une identité catholique de combat. Pris dans un tel dispositif défensif voire offensif, la théologie du ministère du Pape ne peut qu’être déformée.
« Déjà au début du deuxième siècle, saint Ignace d’Antioche attribuait à l’Eglise qui est à Rome une primauté singulière, la saluant, dans sa lettre aux Romains, comme celle qui «préside dans la charité». Ce devoir particulier de service revient à la communauté romaine et à son Evêque, du fait qu’en cette Ville, les apôtres Pierre et Paul ont versé leur sang, aux côtés de nombreux autres martyrs. Nous revenons, ainsi, au témoignage du sang et de la charité. » (Benoît XVI en 2012)
Pour être exact, la présidence dans la charité dont parle Ignace vers 110 vise l’Eglise de Rome seule et non son évêque, pour la bonne et simple raison que l’on ne sait pas à Rome ce qu’est un évêque. L’Eglise de Rome, depuis 1900 ans, se voit reconnaître un rôle de présidence, de communion dans la charité des Eglises.
Mais la théologie n’est pas archéologie ; elle n’est pas histoire non plus que de toute façon quelques minutes ne suffisent pas à parcourir. On notera que Vatican II s’exprime d’après Ignace et parle de l’Eglise « qui préside au rassemblement universel de la charité ».
Avec François, il semble que le ministère du Pape connaisse une inflexion. Ce n’est un scoop pour personne, nos institutions, et l’Eglise parmi elles, connaissent une crise de l’autorité. Aujourd’hui, chacun peut donner son avis et les avis sont légion à moins que des modes ou des idéologies ne suscitent quelques unanimités. Ainsi, la cuisine s’internationalise et dans le même temps, on mange les mêmes hamburgers sur toute la planète. Il y a à la fois prolifération des différences culinaires à portée de main et dictature économique.
De même les opinions, encore plus variées que la cuisine et encore plus susceptibles de manipulations. Il y a de quoi être perdu, ne plus savoir comment s’orienter dans la vie. Soit l’on se réfugie dans de pseudo-vérités, et c’est le phénomène intégriste, soit l’on accepte la fin des certitudes, alors que les sociétés démocratiques ont désacralisé l’autorité du chef et que la mondialisation impose le pluralisme.
Plus jamais la vérité ne sortira de la bouche du chef parce qu’il est le chef. Nous sommes livrés à un inévitable conflit des interprétations. Le conflit peut n’être pas violent, mais la certitude n’est plus de ce monde, si jamais elle l’a un jour été. Le fondement est indisponible. On comprend qu’on ait voulu faire jouer au Pape le rôle de garantie dernière. Il l’a même revendiqué depuis le début du XIXe siècle jusqu’à Benoît XVI en passant par la définition du dogme de l’infaillibilité pontificale.
Cela ne peut que mener dans le mur, et certains interprètent la renonciation de Benoît XVI comme aveu d’erreur. Ce dont nos sociétés ont besoin, tout comme l’Eglise, c’est d’une culture du débat, non de directives venues d’en haut ni d’invectives entre pairs, une culture de la recherche de consensus, au moins pratiques, pour que l’on puisse vivre ensemble sur terre.
François essaie d’instituer une Eglise non plus pyramidale mais dialogale. « L’Eglise se fait conversation » avait écrit Paul VI en 1964. L’évêque de Rome est le premier mais entre égaux, le premier parmi des évêques tout comme lui. Et ce dialogue épiscopal n’est encore qu’une faible conversion. Quelle sera la place des femmes dans le gouvernement de l’Eglise ? Quelle sera la reconnaissance de la diversité des charismes dans l’Eglise ?
« Ni le Pape ni l’Église ne possèdent le monopole de l’interprétation de la réalité sociale ou de la proposition de solutions aux problèmes contemporains. Je peux répéter ici ce que Paul VI indiquait avec lucidité : "Face à des situations aussi variées, il nous est difficile de prononcer une parole unique, comme de proposer une solution qui ait une valeur universelle. Telle n’est pas notre ambition, ni même notre mission. Il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays." » (Evangelii Gaudium 184)
Plus jamais nous ne connaîtrons la certitude. Plus jamais, nous ne devrions croire connaître la certitude. Plus jamais nous ne devrions confondre ce que nous pensons avec la vérité. La suite du Christ, comme le départ d’Abraham et la marche dans le désert, n’est pas conditionnée par la possession d’un sol ferme, seulement par une promesse, que toujours Dieu sera à nos côtés. Que celui dont l’Eglise préside à la charité des Eglises nous entraîne sur la route de la dépossession et de la liberté, pour avancer sans bâton ni tunique de rechange sur les routes humaines et proclamer la proximité du Royaume.

7 commentaires:

  1. dominique bargiarelli8/11/14 08:56

    Quelle flamme monsieur l'Abbé quelle flamme ! et on sent ô combien vous êtes attaché à cette Eglise dans laquelle ,hélas! on ne peut pas encore discuter de tout ,mais cela va venir ,aucun doute la-dessus et alors l'Evangile dans sa pureté sera reconnu par le monde entier.
    Bon,de mauvaises langues dont je fais incontestablement partie vous feront observer que votre idée géniale n'est que la copie de ce que font depuis 500 ans nos frères protestants lesquels ne se portent pas mieux que nous.
    A ce sujet je vous conseille de vous reporter à l'excellent hebdomadaire Réforme (plusieurs articles remarquables dans le numéro de cette semaine)

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    1. En une page et demie, je me range derrière (et non pas seulement fais allusion ou cite pour contester)
      St Ignace d'Antioche, si apprécié par la théologie catholique pour son ecclésiologie, sa théologie des ministères et celle de l’eucharistie
      Lumen Gentium 13
      Paul VI deux fois, dans Ecclesiam suam et Octogesima adveniens (à travers la citation de François)
      Benoît XVI dans l'angelus du 22 février 2012
      François, par deux fois, dans Evangelii Gaudium.
      Vous avez raison, tout cela est typiquement protestant...
      S'il vous plaît, des arguments, pas d'invectives.
      Et si vous en voulez des arguments, je vous donne, voyez la magnanimité !
      1. Je corrige Benoît XVI, excusez du peu, qui de la citation de Justin en tire des conclusions pour l'Eglise de Rome et son évêque. Or Justin ne parle que de l'Eglise. Et la place de l'Eglise du Rome devrait être remise en avant pour parler du ministère du Pape. Ce n'est pas lui qui préside à la communion des Eglises, mais son Eglise, celle qu'il sert et préside. On peut comprendre l'extrapolation de Benoît XVI à condition précisément de la considérer comme extrapolation.
      2. La citation de François reprenant Paul VI concerne non pas toute la vie de l'Eglise mais seulement les "questions sociales" et "l'interprétation du monde contemporain". On pourrait contester que j'étende la citation à l'ensemble de l'attitude du Pape par rapport à la vérité. C'est ce que je fais effectivement, et, je le prétends, non indûment.
      3. Si un auteur protestant est cité, c'est Paul Ricoeur et son "conflit des interprétations"

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    1. Merci de votre commentaire.
      Je ne vais pas me battre sur l'expression "fin des certitudes". J'aurais pu parler aussi de 'fin du savoir absolu". Un mot ne suffit pas à faire sens, mais le contexte. C'est la phrase qui donne sens au mot, autant que l'inverse ! C'est justement parce comme vous je ne veux pas faire de la foi une certitude, que j'emploie l'expression ainsi qu'elle est souvent entendue. On pourra d'ailleurs citer Rm 8 "J'en ai la certitude, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur" Il nous faudrait alors à l'un comme à l'autre répondre à ce qui paraît comme une contradiction de notre affirmation selon laquelle la foi n'est pas certitude.
      La fin des certitudes stigmatise la foi vécue comme telle, à l’instar de l'infaillibilité pontificale par exemple.
      J'ai cité Ignace plutôt qu'Irénée (dont je dois d'ailleurs vérifier la citation) parce que cela se passe au bas mot 70 ans plus tôt.
      Mon propos n'était pas de nous reconnaître ou pas "bien catholiques" mais de présenter une question majeure, le rapport entre le Pape considéré comme rempart des vérités et certitudes et la fin du savoir absolu. Après l''opposition très en vogue avec Benoît XVI, pas tant européen que pré-moderne (au sens de parfaitement hermétique à Nietzsche) je note chez l’actuel Pape, sans doute pas assez philosophe ni théologien, une inflexion du positionnement. Ce n'est pas pour rien si certains ont l'impression de revivre l'esprit du concile Vatican II avec François. On passe d'une opposition condamnation de B XVI, à certains moments proche du syllabus voire de Grégoire XVI, à un regard bienveillant sur le monde. Jean XXIII n'était pas plus théologien ni philosophe que François. Le premier s'est appuyé sur quelques théologiens. Kasper joue manifestement ce rôle auprès de François.
      Mai 68, tant décrié aujourd'hui, a été une irruption de la fin des certitudes, à la suite de Nietzsche enfin reçu (même imparfaitement), Dans l'ambiance anti-soixante-huitarde contemporaine, redire la fin des certitudes, ou plutôt, la fin de l'illusion qu'il pouvait y avoir des certitudes, me paraît opportun, en particulier pour comprendre le rôle de l'évêque de Rome, compte-tenu de ce que les siècles d'infaillibilité ont fait croire.
      Voilà quel est mon but en une page et demie. Merci de tenir compte de la taille du propos.

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    2. Quelques recherches trop rapides à propos de l'expression "préside à la charité. que beaucoup citent comme d'Irénée. Il me semble que c'est une erreur. J'ai l'impression que le texte clé d'Irénée sur ce sujet se trouve en AH III, 3, 2. Je n'y vois pas l'expression. Sous réserve de plus amples recherches. En revanche Irénée parle bien de l'Eglise et non de son évêque.
      "L'Eglise très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome. [...] Avec cette Eglise, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui toujours au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la tradition qui vient des apôtres."

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  3. Il est indéniablement plus facile de penser comme le chef, qui, comme chacun sait, dispose de l'autorité de sa science infuse… Qu'il soit pape ou chef de bande quelconque, il est plus facile de suivre, voire d'obéir, quitte ensuite à critiquer jusqu'à renverser le chef afin de devenir chef soi-même…

    Quelqu'un m'a rapporté le fait suivant : une personne malade, alitée, n'a pu aller à la sacro-sainte messe du dimanche. Elle désespère de ne pas avoir entendu le prêche du curé, afin de savoir ce qu'il faut penser de l'Évangile du jour… Voilà, là est le plus important, quelle est la pensée du chef ! Peu importe ce que dit Jésus, qu'en pense le curé, l'évêque, le pape ? Voilà qui est primordial ! Penser et agir comme la hiérarchie dit qu'il faut penser et agir.
    Quant à la conscience personnelle, l'intériorité, la méditation, la démarche spirituelle, voire mystique, l'intimité cultivée avec le divin, il est bien évident que tout cela n'a rien à faire là.
    Obéir à la hiérarchie, voilà le salut !
    Tout cela est terminé, bien terminé, probablement son retour arrière. Heureusement !
    Alors il n'y a pas « crise de l'autorité », la crise supposant le retour à l'autorité ancienne, si possible dès demain matin… Il y a totalement bouleversement partout sur la planète. Le développement exponentiel d'Internet favorise grandement cette nouvelle manière de voir un peu tout.
    Une religion qui continuera à estimer qu'elle détient la vérité des vérités sur tout (et même sur son contraire), et que l'essentiel qui compte consiste à enseigner tout cela dans des catéchismes formatés, numérotés, est forcément appelée, si ce n'est à disparaître, tout du moins à devenir largement minoritaire, pour ne pas dire sans plus aucune consistance. Tout le monde s'en tapera le coquillard d'une pensée papale infaillible, dogmatique, condamnant sans charité, me traitant d'apostat, et autres joyeusetés. D'ailleurs, c'est déjà fait !… Sauf bien sûr pour les quelques adeptes retardataires qui se détestent entre eux (les commentaires de ce blog en sont parfois l'illustration), et dont je me demande si je dois m'esclaffer de rire, devant tant de débats internes stériles, ou désespérer définitivement, moi qui m'estime proche, si ce n'est disciple de Jésus, mais parfaitement a-religieux.

    D'une certaine manière, vous, église, me forcez à la solitude, puisqu'en votre sein je n'ai trouvé que la désolation dans le triomphalisme permanent, bien loin des valeurs que Jésus développe. Ou alors, c'est que je n'ai rien compris, et dans ce cas veuillez m'excuser, si la vérité réside dans la richesse, les privilèges, les honneurs, les croix pectorales, les décorum, les déguisements brodés d'or, les croix du Christ bourrés de diamants, les ciboires en or, et surtout les paroles ignobles entendues par certains fonctionnaires du culte. Je reconnais que vous faites exception. L'exception qui confirme la règle…

    Que le nouveau pape commence à voir quelque peu les choses autrement. Tant mieux. Seulement, comme disent les bons vieux cathos, qui regrettent les prie-Dieu gravés à leur nom, les papes passent, la curie romaine demeure… Autrement dit, d'ici quelques années, fort heureusement tout rentrera dans l'ordre et le pape sera toujours infaillible (quand j'y pense… L'infaillibilité… Quel monstrueux sommet de l'orgueil !…), continuera à détenir la vérité des vérités, peut-être même, referont-ils la guerre pour défendre ces bêtises-là !
    Triste ! Très triste !
    Je sais, vous allez encore dire que j'ai des propos outrés.
    L'outrance n'est-elle pas à la mesure de la révolte souffrante et douloureuse qui anime ceux qui croient que Jésus est venu pour autre chose qu'une religion, laquelle rend son message totalement inaudible à la jeune génération que je vois autour de moi…

    (Mon emportement n'est évidemment pas contre votre personne, vous le savez bien.)

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    1. dominique bargiarelli13/11/14 09:06

      Puisque de toute façon mon message ne sera pas publié...,mais Monsieur l'Abbé puisque vous êtes en désaccord complet avec l'Eglise Catholique Romaine qu'y faites-vous encore,?
      Vous l'accablez de tous les péchés ,vous l'accusez de dire qu'elle détient LA vérité
      Vous refusez tout de cette Eglise,absolument tout.C'est votre droit le plus strict bien sûr,mais allez donc au bout de votre logique et quittez votre état


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