L’épisode des marchands chassés du temple (Jn 2,13-25) manifeste
l’allergie de Jésus au culte. Jésus n’est pas connu pour être un violent ni un
sanguin. Que s’est-il passé pour qu’il soit ainsi hors de lui ?
D’après l’évangile, Jésus n’a jamais offert le moindre
sacrifice. Du moins les évangiles ne rapportent rien de ce genre. On est
renseigné sur sa prière, mais, dans la lignée prophétique, son jugement sur les
sacrifices est sans appel : « Allez apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que
je veux, et non le sacrifice. » (Mt 9,13)
Plus
radicalement encore, il renverse, ne serait-ce que symboliquement, ce qui est
nécessaire au culte. La petite unité littéraire est construite pour insister :
au centre : « il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du
Temple », encadré par la double mention de la série des animaux (bœufs,
brebis, colombes) et le couple des marchands et changeurs.
Bien sûr, l’opposition entre l’ancien culte et un nouveau
culte pourrait limiter ce renversement des sacrifices au culte sacrificiel
d’Israël, voire aux sacrifices païens, pour inviter à d’autres sacrifices,
chrétiens par exemple. Cette lecture ne tient évidemment pas : il aurait
fallu que Jésus ait idée de séparer les chrétiens des Juifs. Or il ignorait
tout des chrétiens, et d’après l’école paulinienne, loin de diviser, renversant la barrière de la haine qui
séparait les Juifs et les païens, des deux peuples il n’en a fait qu’un.
(Ep 2,13ss.)
Ainsi donc, il n’y a pas, comme on l’a souvent pensé, de
dénonciation des cultes anciens au profit de l’eucharistie. Il aurait
d’ailleurs fallu que la fraction du pain ait été pensée comme un culte, un
sacrifice, ce qui est nulle part attesté dans le nouveau testament.
Si culte nouveau il y a, c’est le service des frères, la charité.
Notre vocabulaire et celui des sociologues refuse de l’entendre. Les pratiquants, disons-nous, sont ceux qui
viennent à la messe le dimanche. D’après l’évangile, il s’agit de mettre la
parole en pratique, laquelle parole, résumé de toute la loi et les prophètes,
commandement nouveau, s’énonce ainsi : « Tu aimeras le Seigneur ton
Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et ton prochain,
comme toi-même. »
Voudrais-je insinuer que la messe du dimanche est de peu
d’importance ? Non, évidemment. Je veux dire deux choses. La première,
c’est que notre rassemblement dominical est très mal défini quand on en parle
comme d’un culte ou d’un sacrifice ; la seconde, que l’amour du frère a
autant d’importance que l’amour de Dieu, que l’amour du prochain a autant
d’importance que notre prière, et qu’à ne pas l’exprimer par toute notre vie,
notre cœur ressemble au temple de Jérusalem, un vaste abattoir, une boucherie,
dans lequel il est urgent que le Seigneur vienne mettre bon ordre, qu’il en chasse
nos marchés et marchandages, notre foi comptable. Ce sera avec un fouet…
Qu’est alors notre célébration du dimanche ? Un acte de
mémoire qui donne sa direction à chaque instant de notre vie, un mémorial de la
mort et la résurrection du Seigneur. Vous avez remarqué, Jésus chasse les
marchands du temple mais ce n’est que lorsqu’il se sera réveillé d’entre les
morts que les disciples se souviendront et croiront.
« Faisant
ici mémoire de la mort et de la résurrection de ton fils, nous t’offrons
Seigneur le pain de la vie et la coupe du salut, et nous te rendons grâce car
tu nous a choisis pour servir en ta présence. » La mémoire de la mort et
de la résurrection est ce qui permet de servir en présence du Seigneur, de lui
rendre un culte. Mais ce culte n’est pas le pain et le vin offerts, mais nos
vies offertes, pour les hommes, pour Dieu, à la suite de Jésus, homme pour les
hommes et pour son Dieu. « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de
Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu :
c’est là le culte rationnel que vous avez à rendre. Et ne vous modelez pas sur
le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme
et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui
lui plaît, ce qui est parfait. » (Rm 12,1-2)
Nous rendons grâce (nous faisons eucharistie) non d’avoir
communié, pris part à un soi-disant culte, mais, faisant mémoire, de ce que notre
vie est le temple du Seigneur, le lieu de sa présence. C’est dans le pain et le
vin reçus en nourriture que notre vie se révèle être le lieu de la présence
réelle.
Comment n’y aurait-il pas hypocrisie, transformation de la
maison de prière en caverne de brigands ou en bourse du commerce, si notre vie
n’était pas toute entière dévouée à l’amour des frères ? Nous implorons le
Seigneur de chasser les marchands du temple en nos cœurs, pour être disposés à
lui rendre le culte véritable et nouveau, l’amour des frères.
Quel est le nombre de chrétiens qui tiennent des propos comme les vôtres (que personnellement j'apprécie) lorsqu'il est question du« sacrifice de la messe». On y voit un rituel sacralisé au mot et à la virgule près, avec toute la froideur concrète qui s'y attache. On est très loin d'un concept de« repas partagé », Et, comme disent cinq de mes petits-fils (4 à 13 ans) élevés dans la sainte église catholique :
RépondreSupprimer— À la messe on s’ennuie un peu…
Ce qui, compte tenu de la bonne éducation qu'ils reçoivent, peut se traduire par :
— Qu'est-ce qu'on se fait chier !
J'ai dit à ma fille : rien n'est donc changé ?…
Il est probable qu'ils quitteront « tout ça » lorsqu'ils seront en âge de décisions personnelles…
Je n'ose ajouter : ce que je leur souhaite… mais je le pense.
Mais ma fille prétend qu'il faut « faire son devoir » et aller à la messe… je ne sais pas où elle a été chercher ça… étant donné que je ne l'ai jamais obligée à ce genre de pratiques… Elle a trouvé grâce aux yeux de certains curés, qui l’ont remise « dans le droit chemin » à l’aide d’un discours officiel mais tellement théologiquement correct !… et tellement bien ritualisé froidement, que c’est à faire peur !…
Comme chante cet auteur inspiré : — Chacun sa route, chacun son chemin…
Mais bref !
Mieux vaudrait s'en tenir à ce que vous appelez l'amour des frères. Je préfère dire l'amour des hommes et des femmes, l'attention à ce qui peut les aider à vivre une vie meilleure sur cette planète, puisqu'ils n'auront que celle-ci. Ainsi se fait l’expérience que le don de soi dilate nos pores et nous élargit.
Que cette vie profonde soit habitée de divin, c’est une expérience accessible, sinon c’est un discours. Que ce lieu intérieur, soit source de « bonnes actions » comme on disait dans le temps, c’est le réel observable.
Cependant, que « notre cœur ressemble au temple de Jérusalem, un vaste abattoir, une boucherie, dans lequel il est urgent que le Seigneur vienne mettre bon ordre… » pour reprendre vos propos, permettez moi de penser que cela relève en premier de mon nettoyage personnel à base d’efforts et de « travail sur soi » et non pas par je ne sais quelle « intervention divine » venue manu-militari pour établir en mon coeur un ordre quasi-dictatorial à coup de schlague.
Je ne conçois pas ainsi la Divinité.
Il est vrai que je suis voué à l’Enfer !
Que vous dire ?
SupprimerUne seule. Que je partage votre avis sur ma phrase un peu lyrique, sur le Seigneur qui vient nettoyer l'abattoir ou la boucherie que peuvent être nos cœurs.
Oui, ce n'est pas une intervention divine qui fera le travail. Mais...
Car, évidemment, il y a un mais.
Mais je sais aussi que la conversion, c'est à lui que je la dois. Je la crois pleine de "tendresse et de pitié" comme disent les Ecritures. Il se trouve que ce dimanche, avec les marchands du temple, elle était un peu plus violente.
Merci pour votre réponse. J'aime bien quand vous êtes comme ça.
SupprimerLa conversion ? Vous voulez dire se tourner vers Jésus ? Alors si vous le trouvez tendresse et pitié, cela me rejoint. Cela n'empêche pas de se faire remonter les bretelles à l'occasion. Mais si on doit se faire taper sur les doigts à cause de nos comportements injustes, je ne peux concevoir que Jésus frapperait au cœur. Car son cœur c'est le nôtre, et notre cœur c’est le sien… On ne frappe pas un enfant au cœur, on l’éduque au chemin de sa liberté d'homme, sinon comment pourrait-il un jour devenir un fils libre, heureux de donner le meilleur de sa vie.