« Y a-t-il une pertinence possible d’un questionnement issu du théologique [distinct des doctrines…],
celui d’une interrogation touchant ce qui est en excès et qui échappe à
toute vie humaine tout en y étant
sourdement en travail, un motif aujourd’hui le plus souvent dénié, ou alors
idéologisé quand, sorti de l’ombre, il est proclamé dans l’ordre, frauduleux,
d’une affirmation directe et de premier niveau ? »
Du religieux, du théologique et du social,
traversées et déplacements, Cerf, Paris 2012, p. 88
Les chrétiens comme les autres croyants, dans nos sociétés
occidentales sécularisées, sont-ils condamnés à vivre dans les marges, dissimulant
toute appartenance religieuse ? Doivent-ils au contraire se serrer les
coudes, contempteurs des ruptures de civilisation, intransigeants et
nostalgiques ? Le repli sectaire, pacifique ou arrogant voire fanatique,
est-il leur avenir ? Comment l’évangile pourra et devra-t-il interroger
les hommes aujourd’hui ? Que dit de nos sociétés la prolifération d’un
religieux sauvage (nouveaux mouvements religieux, attrait pour un Orient
aseptisé ou culte du développement personnel) ?
Pierre Gisel, théologien suisse francophone et réformé, né
en 1947, développe depuis plus de quarante ans une réflexion sur les conditions
d’expression et de sens de l’évangile dans la culture contemporaine, en
théologie fondamentale. Pour cela, il cherche à comprendre au mieux les
sociétés contemporaines et est attentif à l’évangile tel qu’il se montre et
prend forme dans l’histoire de ceux qui le vivent (ou le récusent). L’évangile
n’est pas anhistorique, il est inscrit dans les institutions, les politiques et
les pratiques sociales auxquels il est mêlé.
Le ministère pastoral, et les nombreuses années de
responsabilité à l’Université de Lausanne, ont offert à Gisel des lieux où ses
interrogations ne demeuraient pas une théorie mais l’obligeaient à prendre des
décisions, parfois violemment contestées. Le dynamisme issu de l’évangile déborde
facultés et confessions chrétiennes ; il provoque au débat avec les
religions et les sociétés, et c’est ainsi qu’il se donne à connaître, en ses
effets. Il témoigne d’un excès : le réel (l’humain, la social, la
religion, etc.) n’est pas ce qu’on en comprend et ne peut être réduit à notre
mesure. Il convoque à un décalage, à un décentrement, une conversion, comme un
abandon des biens, le bien-connu, évident, des savoirs et des pratiques.
La société, préoccupée par l’économie et l’efficacité, technocratique,
doit être déplacée, dérangée quand bien même elle s’organise pour ne pas
entendre, hier comme aujourd’hui, la primauté de l’humain. Le déni de l’excès signifie l’homogénéisation
sociale et l’oubli des personnes.
Mais la transcendance ou le divin ne sont pas à appréhender
comme les réponses, des solutions toutes-faites ; Dieu n’est pas le bouche-trou
du savoir ou de la vie. Il n’est pas non plus l’inconnaissable qui condamnerait
à rester silencieux ; il est « déjà-là », dans la contingence,
qui oblige : que fais-tu de ton frère ? Ainsi, la foi est-elle moins
un contenu (la théologie) qu’un exode, une position institutionnelle (telle ou
telle Eglise) qu’une force critique, une option ou une opinion personnelle (engagement
individuel) qu’une façon d’interroger et de vivre en société.
Le théologien (et le chrétien et les Eglises) n’ont pas à rechristianiser
le monde ; la relecture de l’histoire jusque dans les divisions entre
Eglises, manifeste assez que la chrétienté n’a pas été un modèle social plus
fidèle à l’évangile que d’autres. Sa visée totalisante l’a souvent conduite à
être violente voire totalitaire. Or la crédibilité des religions passe par leur
positionnement décidément en faveur de la paix et du débat. Pour cela,
l’accueil de l’autre, l’autre culture, l’autre religion, est requis et interdit
par le fait toute prétention à la totalisation.
S’agira-t-il alors de se résigner à un effacement du
christianisme ? Mais l’évangile de celui qui s’est fait esclave peut-il
prétendre dominer ? Le monde pluraliste, démocratique (au moins dans les intentions),
non-religieux (autonome) et libéral, décale à son tour la pratique évangélique qui
se redéfinit comme service de l’excès. L’évangile met en crise les savoirs, les
sociétés autant que les religions et les Eglises, au point de paraître
« hérétique ». C’est déjà le geste de Jésus qui meurt à refuser de
confondre l’amour de son père avec quelque modèle social, politique, économique,
de théorie explicative et de système religieux que ce soit.
Le travail de Gisel est de démythologisation de l’ensemble
de la foi, du christianisme, ou si l’on préfère du messianisme (c’est
étymologiquement synonyme). C’est en assumant son particularisme, son
immanence, que l’on parvient à indiquer un universel, non comme englobant
totalisant, mais capacité de déplacement.
Une
question : ce que l’on appelle, encore de façon mythologique, la vie avec
Dieu ici et maintenant (qu’il s’agisse du service des frères, du cœur à cœur de
la prière, de la quête intellectuelle de Dieu ou du transport esthétique)
est-il dit de bout en bout par le décalage et l’excès ? Confesser Dieu
comme l’autre qui se fait prochain équivaut-il exactement à pratiquer l’écart
et l’excès ? Ou bien y a-t-il un reste ? Et ce reste,
qu’est-ce ? Est-ce appréhendable ? Et comment ? Ou bien, quelle
différence y a-t-il entre l’affirmation chrétienne par Gisel de l’excès au
service de l’humain et les analyses, elles aussi ordonnées à une pratique, de
philosophes athées avec lesquels Gisel comprend la société et le destin du
christianisme, Nancy, ou Zizek, voire Nietzsche ? Peut-être répondrait-il
que ce « reste » est précisément la particularité chrétienne à partir
de laquelle se pratique un universel de l’humain en société ; ainsi
l’Eglise et sa doctrine seraient-elles délogées de la place frauduleuse de
surplomb qui l’autoriserait à juger de tout.
Heu … Comment dire….
RépondreSupprimerj’ai rien compris !!
Votre texte, indépendamment des messages que je ne pige pas, me semble emblématique d’une problématique forte de l'église d'aujourd'hui : le discours réifié, abscons pour l'homme de la rue qui cherche un sens à sa vie. Sauf à avoir baigné dans un monde ecclésiastique, l’homme ordinaire, le trentenaire, qui n'est pas allé au catéchisme, ne comprend strictement rien à tout ce discours de spécialistes.
Cela me fait penser à un de mes proches agrégé de mathématiques. Il m'avait montré l'énoncé de l'épreuve de l’agrég. Je n'avais compris le sens d’aucun, mais alors aucun des mots écrits…
Les discours de l'église ressemble à ça…
Vous croyez peut-être qu’on vous comprend. Il n'en est rien pour le béotien.
Alors les gens vont ailleurs, rechercher une spiritualité que la chrétienté n'offre plus.
Finalement c'est peut-être pas plus mal…
Vous voilà bien critique, et artificiellement. Je ne vous savais pas un trentenaire, homme ordinaire qui n'est pas allé au catéchisme. Qu'en savez-vous s'il ne comprend rien celui-là.
SupprimerParlez donc de vous, comme vous me le demandez parfois.
Et pourquoi vous ne comprenez rien alors que ce texte n'est pas si compliqué et s'attaque justement à la question que vous posez, celle de la pertinence du discours théologique dans la société, en particulier auprès de ceux qui ne partagent pas la foi ?
Puis-je vous inviter à relire tranquillement le texte. Vous verrez, il ne sera pas aussi abscons, et peut-être même, vous en partagerez tel ou tel point au moins.
c'est une manière de parler de moi..... Moi je n'ai pas compris grand chose à votre billet, malgré l'avoir relu 2 fois....
Supprimersi un de vos lecteurs peut me résumer en 10 lignes, je suis preneur....
Les trentenaires que j'évoque sont ceux de mon entourage direct et familial Je reprends ce qu'il en disent et pensent.
Mais ne prenez pas tout ça de mauvaise part.....
J'ai en effet extrapolé ensuite sur "le mode d'expression" habituel des gens d'église qui pensent que ceux à qui ils parlent on une culture chrétienne. Sans doute les vieux comme moi (vous, je ne connais pas votre âge...), mais pas les "jeunes adultes" sauf une petite minorité...
alors s'il s'agit de " la pertinence du discours théologique dans la société"....
Mon sentiment personnel est que ce discours est réifié, obsolète, et contreproductif..... (il fait fuir....)
Il me semble que les faits (toujours têtus) montrent que les églises sont vides, sauf quelques vieilles personnes en attente de départ.... quelques enfants amenés là (pour ne pas dire trainés là....) et qui s'ennuient et quelques jeunes survivants .... :-)
Le discours chrétien qui présente la foi chrétienne ne fait plus sens pour nombre des personnes, y compris chrétiennes.
SupprimerOn peut lire cela comme un effacement aussi inéluctable que salutaire. Mais la disparition du christianisme n'est peut être pas une chance, y compris pour les non chrétiens.
Comment alors devront réagir les chrétiens ? Evidemment la réaffirmation identitaire n'est pas une solution, sauf à transformer l'Eglise en secte.
Et si cet effacement était motivé par le véhémence évangélique même : le nom de Jésus disparaît derrière ceux des frères (Cf le jugement dernier Mt 25). Cela change beaucoup le rôle des chrétiens et de l'annonce de l'évangile, non pas convertir le monde, mais tenir dans le monde une place de contestation, de dénonciation d'un autre qui fait vivre mais qui ne peut se désigner comme un objet disponible, sous la main, ou dans la pensée.
Mais alors, si Jésus disparaît ou s'épuise dans le service des frères, est-ce qu'il y a encore une relation avec lui ? Le culte a-t-il encore un sens ?
Voilà, je crois, quelques unes des lignes-force de ce petit texte. Que des choses que je pressens que vous partagez.
Là c'est franchement plus clair..... et je vous rejoins sur l'essentiel....
SupprimerIl n'y a qu'une voie (enfin une qu'il faut peut-être privilégier), c'est la transformation personnelle lente pour s'humaniser et même se diviniser... Non pour un "petit moi", mais pour faire un peu de bien autour de soi, avec "un sens" à ses actions.
Le mien est "participer à un monde plus humain pour une avancée lente mais certaine" à ma petite mesure et limité par mes failles (comme celle de vous critiquer "trop" parfois.... :-) )
La relation à Jésus ? Elle suppose une attirance, qui passe par des personnes dans un "un à un".
Quelqu'un un jour qui parle ce que qu'il vit avec ce type ! Comme on parle d'un ami à un ami.... et qu'on finit par dire : mince j'aimerais bien le connaitre celui dont tu parles.... parce qu'on ressent que c'est pas du "pipeau" pas de la théologie, des idées sur dieu... mais UNE RELATION....
Ça s'est pas passé comme ça pour vous ?
moi, si !
Le service des frères ? oui bien sûr, mais pas uniquement les trucs caritatifs (même si c'est TRES bien ça...) mais le Service de les aimer un à un.... d'aller les (re)chercher dans leur humanité enfouie, dans leur être profond....
J'ai vaguement cru comprendre que c'est ça que faisait Jésus....
C'est très humble et quotidien, ça passe par des petits groupes ou communautés enfouies dans la vie ordinaire.... Rien d'autres n'est nécessaire.... Surtout pas des religions hiérarchisées et vaticanes..... qui s'occupent de l'inutile ou de l'accessoire confondu avec le principal...