Peut-être que pour entendre correctement les propos de Jésus
sur le couple (Mc 10, 2-16), il faut chercher ce qu’ils pourraient avoir d’étonnant. On a
tellement cité ces versets, ils servent à justifier tant d’idéologies, que leur
pertinence en est empêchée.
Dire l’union de l’homme et de la femme, c’est dire l’égalité
de l’un et l’autre, dans un monde qui n’accordait à la femme guère plus de
droits qu’à une esclave. C’est encore le cas de nombre de pays. En France, il a
fallu notamment la révolution sexuelle des Trente Glorieuses, depuis le scandale
du Deuxième sexe de Simone de
Beauvoir jusqu’à 68, pour que la situation change. Et encore, à compétences
égales, on continue à moins payer les femmes. C’est en 2015, tout le monde le
sait, mais rien ne change !
L’union de l’homme et de la femme, c’est pour Jésus, comme
la suite de cette page d’évangile le confirme, le choix de Jésus pour le plus
faible, toujours, en l’occurrence la plus faible, l’option préférentielle pour
les petits, dans l’Antiquité, femmes et enfants d’abord.
Choisir de lire l’évangile, cet évangile, ces versets comme
le choix de ceux, de celles qui ne comptent pas, change grandement le sens du
texte par rapport à sa réception commune. Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie
du mariage indissoluble, mais comme toujours dans l’évangile, de voir Jésus se
ranger du côté de ceux, de celles, qui n’ont pas de droits. Si l’on pense que
la gent masculine confisque les ministères dans l’Eglise, on comprend que cette
lecture, en parfaite cohérence avec l’enseignement constant de Jésus, ne soit
jamais pratiquée.
Vous l’aurez noté, Jésus imagine qu’une femme répudie son
mari. Cas d’école à l’époque. Alors, évidemment, Jésus se portera du côté de
celui qui a été méprisé, répudié. Et dans les histoires de couples où les tords
ne sont pas partagés, où l’un abandonne l’autre qui l’aime pour aller voir
ailleurs, on sait la blessure de celui qui est abandonné. On ne s’étonne pas
voir Jésus à ses côtés.
Ainsi la morale conjugale et sexuelle trouve peu d’appui en
ces versets au profit du choix de Jésus pour les pauvres, perspective
théologique (qui est Jésus ?) et morale (aux côtés de qui les disciples
doivent-ils se tenir ?) C’est au moins cohérent avec les Ecritures qui comparent
Israël à la femme infidèle que Dieu continue d’aimer. Le prophète Osée avait dû
épouser une prostituée pour être parabole vivante de l’amour de Dieu pour son
peuple. Leçon théologique, plus que morale : Dieu aime toujours son peuple,
toujours infidèle. Faire de ces propos de Jésus une leçon sur la fidélité
conjugale me paraît ici bien anachronique.
Pareillement, la question de la soi-disant complémentarité
de l’homme et de la femme qui ne font plus qu’un paraît anachronique. Il n’est pas bon que l’homme soit seul
dit la Genèse juste au début du passage cité par Jésus. Or Jésus lui, reste
seul, sans épouse. Là encore, source d’étonnement et d’incompréhension hier
comme aujourd’hui, dans à peu près toutes les sociétés, où le célibat continent
demeure incompris voire méprisable. Mais si l’on pense que, comme toujours
Jésus fait corps avec les humiliés, ceux dont personne ne s’occupera dans la
vieillesse et après leur mort (et même pendant leur vie, la solitude des
prêtres n’est pas une découverte !) puisqu’ils n’ont pas de descendance,
la question du couple homme femme comme paradigme exclusif est hors sujet.
Si vous voulez voir ici un enseignement sur le mariage,
alors, assumons le saut argumentatif. Résistons au fondamentalisme. Pourquoi le
mariage serait-il si important aux yeux de Jésus ? Parce que Jésus
défendrait la famille comme on veut le faire croire ? Ce serait manquer
terriblement de sens historique et théologique.
Jésus s’oppose à la famille comme liens du sang. Le Père qu’il
nous révèle ne nous a pas engendrés mais adoptés. Les frères que nous recevons
de sa paternité ne le sont pas en raison du sang. Le plus différent est autant
mon frère que celui qu’ont façonné les mêmes entrailles. Débrouille-toi à faire
en sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain, enseigne la parabole
du bon samaritain. Et les frères et les sœurs de Jésus, sa mère même sont ceux
qui écoutent sa parole et la mettent en pratique. C’est la fin de la famille,
du clan, du sang, de la race. Le sang et le clan dont des familles toujours
trop petites, et l’on est « petit homme », comme dirait Nietzsche, à s’y
cramponner. La famille de Jésus c’est l’humanité.
Si l’on veut parler du mariage, il faut en dire ce qu’en dit
l’enseignement constant de l’Eglise puisé aux Ecritures. L’alliance de l’homme
et de la femme est un moyen privilégié pour dire Dieu, pour approcher de Dieu. C’est
une parabole. Le couple est théophanie. Rien à voir avec une loi, morale ou
sociale. L’homme et la femme dans l’union de jubilation et de fécondité qui est
leur vocation, dans la réciprocité et le souci de l’autre jusque dans la
maladie, dans la radicalité d’un choix exclusif, disent l’union de Dieu avec l’homme.
Dieu s’est toujours uni avec le plus vulnérable, le méprisé,
pour le relever. Et alors, ce sont des noces. Etonnement hier comme pour
aujourd’hui : la foi, c’est une histoire d’amour, de conjugalité.
Je vous l’accorde, de façon intempestive, inactuelle, je me
suis évertué à lire notre texte en dehors du sens que lui imposent les carcans idéologiques.
Option préférentielle pour la femme en tant qu’elle est dans l’histoire la
méprisée du couple. (On pourra se demander si aujourd’hui comme hier, les
méprisés en matière sexuelle ne sont pas les homos et ceux dont l’identité
génitale n’est pas claire.) Relégation de la famille nucléaire, du clan, des
liens du sang, trop étroits pour le frère universel qui révèle que le Père a
adopté tous les hommes. (On pourra se demander si les parias de la félicité
conjugale et de la fierté du lignage ne sont pas ceux que Jésus choisit, au
moment précis où il semble parler du couple.) Affirmation parabolique et
théologique, aux antipodes de l’univocité d’une loi morale et sociale sur la
vie de couple. (On pourra se demander si le célibat de Jésus, intempestif, sa
liberté dans les relations avec les femmes en outre, ne relègue pas la morale
familiale et sexuelle à un codicille du testament de l’alliance nouvelle, l’amour
des plus pauvres, réfugiés, femmes et enfants battus ou violentés, etc.)
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