Une nouvelle fois dans l’évangile de Marc, si court, c’est
le chemin du service, de l’esclave, qui est indiqué comme unique route pour le
disciple et le renoncement à tous les pouvoirs. Il faut croire qu’il y avait
quelques chefs, petits ou grands, qui confisquaient la parole évangélique et
s’en servaient de piédestal. Pas sûr que cela ait beaucoup changé.
Que voulons-nous ? Lorsqu’on est disciple de l’homme
défiguré, on fait le deuil de la réussite. « Broyé par la souffrance, le
Serviteur a plu au Seigneur. » Pourquoi les prostituées et les voleurs sont
les premiers dans le royaume, si ce n’est parce qu’en elles, en eux, ne peut se
dissimuler que l’humanité a morflé, que l’homme est défiguré ? Images du
Seigneur, ou plutôt, pour qu’ils ne soient exclus, le Seigneur se fait leur icone,
broyé, amoché.
Et certains parlent de laxisme quand l’Eglise veut accueillir
les pécheurs ; on ferrait entrer le loup dans la bergerie, on changerait
l’éternel dogme. Le dogme éternel, c’est Jésus que Dieu a fait péché (2 Co 5,21), broyé, amoché, condamné. Dans la
mort du Christ, le mal est mort, la mort est morte. Craindre le laxisme, c’est
ne pas croire en la victoire de Jésus sur le mal et la mort. Oui ou non Christ
est-il ressuscité ? Il n’y a pas à se préoccuper de la réussite de
l’Eglise et de sa doctrine.
Certes, la mort frappe encore, certes, le péché nous habite.
Si nous les combattons c’est pour être les esclaves des frères, les serviteurs
de la vie. Jacques et Jean qui veulent des honneurs, les autres qui
s’offusquent qu’on leur vole du pouvoir sont, hier comme aujourd’hui, attachés
à la réussite, au pouvoir, pour que, disons-nous, l’évangile réussisse. Il n’y
a rien à craindre pour l’évangile puisque c’est Jésus qui choisit des pécheurs comme
missionnaires de cet évangile. Une seule règle, nous ne pouvons pas fanfaronner
comme des justes sous prétexte que nous sommes chrétiens. Hypocrisie de celui
qui se dit pur, qu’il n’est pas comme les publicains et les pécheurs, qu’il
n’est pas divorcé remarié, pas PD, pas touchés par les soi-disant maux de la
société contemporaine.
Nous autres, disciples de Jésus, n’avons rien à défendre :
nous buvons la coupe à laquelle il a bu. Si nous disons communier au sang, si
nous avons été plongés dans sa mort par le baptême, le martyre est notre
destin, non qu’il faille stupidement aller chercher les coups et la
persécution, mais que nous ne pouvons souhaiter emprunter d’autres chemins que
ceux de la faiblesse. A cause de cela, certains de nos frères meurent en
Orient.
Que disons-nous à nos enfants ? Quelle vie voulons-nous
les voir choisir ? Qu’ils réussissent leur vie, mais qu’est-ce que cela
signifie ? « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs
des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur
pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand
parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera
l’esclave de tous. »
Il n’y a de saints, d’authentiques disciples de Jésus, qui
ne se soient fait esclave, ou alors c’est le mensonge qui les aura portés sur
les autels. Les plus humbles, si peu canonisés, parents dévoués à leurs enfants,
pauvres qui donnent à plus pauvres encore, hommes et femmes de la marge, à
l’opposé du conformisme. Au point qu’il faut la mythologie, l’hagiographie pour
faire avaler le morceau. Parler au loup ou aux oiseaux gomme la marginalité de
François, qui met en crise la société marchande, par l’excentricité qui
magnifie autant qu’elle disqualifie. Les phénomènes extraordinaires de
lévitation et extases de Thérèse la marginalisent en l’exaltant pour que sa
critique de la prière communément enseignée et pratiquée ne soit pas vraiment entendue.
Si nous suivons Jésus, nous mettons le monde en crise. Et
lorsque la culture occidentale est celle qui opprime la planète, elle ne peut
être fidèle à Jésus, quand bien même elle se targue de judéo-christianisme. Je
ne crois pas en un évangile révolutionnaire, car la révolution n’est qu’une
idéologie de plus. Je crois que l’évangile met tout en crise. « c’est
maintenant le jugement de ce monde » (Jn 12,31). Crise, jugement, c’est le
même mot. Le monde, tout monde, est crucifié
pour nous et nous pour le monde (Ga
6,14). Le jugement de ce monde est déjà prononcé. Une vie qui n’est pas d’abord
mise en crise par l’évangile et ne met pas le monde en crise n’est pas
chrétienne…
La réussite de la vie selon l’évangile, c’est la critique de
tout mode de vie, parce que nous ne savons jamais ce que nous faisons. Comme
philosophes, nous pouvons savoir que nous ne savons pas. Comme disciples de
Jésus, nous savons une chose seulement, qu’il nous aime. « Dieu a tant
aimé le monde. » (Jn 3,16) Rien d’autre ne compte, réussite, pouvoir, reconnaissance,
argent, épanouissement personnel, joie, vérité. Sólo Dios basta.
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