Depuis plusieurs dimanches, nous lisons la lettre aux
Hébreux. Comme le texte ne nous est pas spontanément intelligible, nous ne nous
y arrêtons guère. Qu’ont à nous dire ces histoires de sacrifice, d’ancienne
alliance, de grand prêtre ?
Le culte du temple sert de modèle, de type, pour comprendre
qui est Jésus. Le Premier Testament est lu allégoriquement (typologiquement
disent les spécialistes, spirituellement disent les premiers chrétiens) pour
annoncer Jésus. Les premiers chrétiens avaient pour seules Ecritures celles de
la première alliance, et c’est en elles qu’ils se mettent à l’écoute de la
Parole de Dieu, l’évangile. Ils lisent le Premier Testament comme une prophétie
dont la réalisation, loin de le rendre désuet et superflu, le canonise en
l’ouvrant à sa signification confessée comme plénière. Ce qui depuis constitue désormais
le Nouveau Testament le montre à l’envi. Il n’a jamais prétendu supprimer un
point de la loi, seulement révéler son accomplissement.
Qu’apprend-on de Jésus quand on en parle avec les termes du
culte et du temple ? Qu’il n’y a plus à répéter sans cesse les gestes du
culte, les sacrifices puisque Jésus, une fois pour toutes, nous a libérés de la
mort, du péché. Ainsi le vocabulaire sacrificiel, paradoxalement, dit la fin
des sacrifices. L’identification de Jésus au grand-prêtre est ce qui permet de
comprendre la fin de la pratique cultuelle. D’ailleurs, la pratique, dans
l’évangile, ce n’est jamais le culte, mais l’amour du prochain. Le culte
véritable, c’est l’amour des frères.
Lorsque la théologie se met à parler de la messe comme
sacrifice, elle n’a pas bien lu l’épitre aux Hébreux. Elle reprend l’épitre
littéralement, sans tenir compte de sa composition typologique que l’on
retrouve jusque dans nos prières eucharistiques. Qui s’étonnera que l’on fasse
de la mauvaise théologie à être fondamentaliste alors que le culte est
spirituel, en esprit et en vérité ?
Si les sacrifices ont disparu, ce que l’on ne peut que
constater et dans le judaïsme et dans le christianisme, c’est que le culte pour
les Juifs et les chrétiens n’est pas un truc qu’on offre à Dieu pour qu’il nous
soit propice. Comment imaginer que Dieu ait besoin de cela ? N’est-il pas
toujours pour nous ? Comment
penser que puissent plaire à Dieu des bestioles égorgées, des privations de
chocolat ou de tabac (pendant qu’on ne partage que si peu son salaire), voire les
tueries des fanatiques qui s’imaginent rendre un culte à Dieu en supprimant les
infidèles ou en s’immolant en kamikazes ?
L’épitre aux Hébreux le dit en citant, à sa manière, le
psaume 40 : « Il est impossible que du sang de taureaux et de boucs
enlève les péchés. Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit : De
sacrifice et d’offrande, tu n’as pas voulu, mais tu m’as façonné un corps. Holocaustes et sacrifices pour le
péché ne t’ont pas plu. Alors j’ai dit : Me voici, car c’est bien de moi
qu’il est écrit dans le rouleau du livre : Je suis venu, ô Dieu, pour
faire ta volonté. Il déclare tout d’abord : Sacrifices, offrandes,
holocaustes, sacrifices pour le péché, tu n’en as pas voulu, ils ne t’ont pas
plu. Il s’agit là, notons-le, des offrandes prescrites par la loi. Il dit alors :
Voici, je suis venu pour faire ta volonté. »
En conséquence, à part Jésus, il n’y a plus de prêtres. C’est
pour cela que son sacerdoce n’est pas celui d’Aaron, transmissible, mais selon
l’ordre de Melkisedek. On ne sait à peu près rien de ce personnage, si ce n’est
qu’il n’a ni parents ni de descendance, qu’il est précisément seul de son
genre, et qu’il offrit à Abraham du pain et du vin.
A strictement parler, les prêtres et les évêques n’ont donc
pas de rôle sacerdotal, mais presbytéral, celui d’anciens. La prière
eucharistique espagnole III est plus juste que le texte latin et la traduction
française, à ne pas mélanger les clercs, les prêtres, le sacerdoce et le
presbytérat : « Confirma en la fe y en la caridad a tu Iglesia, peregrina
en la tierra: a tu servidor, el Papa, a nuestro Obispo, al orden episcopal, a
los presbíteros y diáconos, y a todo el pueblo redimido por ti. »
Lors du baptême nous avons été marqués du chrême. « Toi
qui fais maintenant partie de son peuple, il te marque de l’huile sainte pour
que tu demeures éternellement [comme Melkisedek] membre de Jésus Christ,
prêtre, prophète et roi. » (Le rituel latin ne dit rien de cela.) Nous ne sommes pas, individuellement, chacun pour
notre part, prêtre, prophète et roi. C’est le Christ qui est prêtre. C’est le
peuple qui est sacerdotal, son corps, dont nous sommes les membres.
Voilà
notre mission, à nous baptisés, nous tenir devant le Père, sacrement du Christ
seul prêtre, selon l’ordre de Melkisedek. L’Eglise est chargée, par la vie de
tous ses membres, « d'être un officiant [littéralement un liturge] de
Jésus Christ auprès [des hommes], consacré au ministère de l’Évangile de
Dieu, afin que [tous] deviennent une offrande qui, sanctifiée par l’Esprit
Saint, soit agréable à Dieu. » (Rm 15) La mission sacerdotale de l’Eglise est
d’être prémices de l’humanité vouée à Dieu c’est-à-dire de travailler à la
consécration plénière de l’humanité à Dieu.
« Le culte véritable, c’est l’homme vivant devenu
tout entier réponse à Dieu, façonné par sa parole qui guérit et
transforme. » (Benoît XVI) C’est un culte selon le logos, dit Paul (Rm 12, 1), une recherche de ce qui est
bien et un renouvellement de notre façon de penser.
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