Extrait du discours de M. B. Cazeneuve, Ministre de l'intérieur
Etats généraux du christianisme (La Vie), Strasbourg, 3 octobre 2015
Etats généraux du christianisme (La Vie), Strasbourg, 3 octobre 2015
Années après années, vous réfléchissez à la juste place des chrétiens dans
la société, à leurs engagements dans le monde d’aujourd’hui.
Permettez-moi de commencer par vous dire à mon tour que je crois que les
chrétiens ont en effet un rôle essentiel à jouer, aux côtés des croyants
d’autres confessions, dans le traitement des maux que connaît notre société
anxieuse, éreintée par le chômage, inquiète des mutations du monde qui
l’entoure, profondément en quête de sens. A mes yeux, les valeurs qu’ils
défendent contribuent tout particulièrement à la cohésion sociale, car elles
rejoignent celles du pacte républicain.
Cette proximité spirituelle entre la République et l’Eglise, paradoxale au
premier abord, avait bien été soulignée par le pape Jean-Paul II dans sa
célèbre homélie au Bourget en 1980 : «On sait la place que l’idée de
liberté, d’égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre
histoire. Au fond, observait Jean-Paul II, ce sont-là des idées chrétiennes. Je
le dis tout en ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les
premiers, cet idéal, ne se référaient pas à l’alliance de l’homme avec la
sagesse éternelle. Mais ils voulaient agir pour l’homme. »
Certes, notre histoire contemporaine, tout au long du 19ème siècle
notamment, a pu témoigner des difficultés éprouvées par les catholiques
français à embrasser sans réserve l’héritage révolutionnaire, tant les
séquelles de la constitution civile du clergé et le souvenir des années qui ont
suivi restèrent vivaces. La République elle-même ne fit pas toujours preuve de
tolérance à l’égard d’une Eglise perçue comme un redoutable adversaire, plutôt
que comme une source d’inspiration dans la recherche du bien public.
L’histoire politique ne doit cependant pas nous dissimuler la réalité
de certaines filiations. Certes, notre devise républicaine s’adresse à ceux qui
croient au ciel, comme ceux à qui n’y croient pas. Pour autant, comme le
relevait Jean-Paul II, notre devise nationale, « liberté, égalité,
fraternité » rejoint bien à certains égards le message évangélique.
Pour prendre le premier membre de notre devise nationale, il est bon de
rappeler que sous la Révolution française on pouvait lire à Strasbourg sur le
pont qui enjambe le Rhin : « Ici commence le pays de la
liberté ». Or la grande tradition chrétienne, avec St Thomas d’Aquin
notamment, avait décliné l’idée de la liberté des enfants de Dieu, de
l’émancipation des tyrannies, de la primauté de la loi d’amour du Christ sur
les pesanteurs passées. Des figures telles que celle du Pasteur Dietrich
BONHOEFFER ont magnifiquement témoigné de cet amour chrétien de la liberté,
acceptant de subir le martyre plutôt que d’abdiquer face à la barbarie nazie.
De même, quand Saint Paul écrit aux Galates : « Il n’y a plus ni
juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et
la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un », comment ne pas y voir la
racine première de l’égalité républicaine de tous devant la loi ?
Quant à la fraternité républicaine, elle est l’expression politique de la
grande question biblique “Qu’as-tu fait de ton frère?”.
Cette fraternité, les chrétiens de tous les âges ne la vivent pas de façon
abstraite. Ils constituent une communauté au service de leur prochain. Leur
action, celle des Eglises et des associations qu’elles inspirent, est animée
depuis toujours par le souci de secourir les déshérités. Je veux rendre à ce
titre un hommage sincère à l’action qu’ils mènent au service des sans-abri, à
l’aide matérielle et spirituelle qu’ils apportent aux handicapés, aux malades,
aux personnes âgées remisés aux périphéries de nos sociétés. S’il revient avant
tout à l’Etat de lutter contre la misère, les chrétiens s’emploient au
quotidien à prendre leur part de cette mission.
Je pense également, bien entendu, à l’engagement qu’ont manifesté
catholiques et protestants dans l’accueil des migrants depuis plusieurs mois.
Ils se sont situés dans la tradition du christianisme social, défenseur des
plus pauvres et des plus faibles et ont répondu aux exhortations du pape
FRANCOIS, appelant l’Eglise et les chrétiens à se rapprocher des
« périphéries existentielles ».
Faire vivre les valeurs républicaines, qui sont aussi largement celles de
l’évangile, constitue pour moi l’une des clés de ce renouveau que vous appelez
de vos vœux. Même si elle est marquée par la sécularisation comme tous les pays
occidentaux, même si elle a accueilli sur son sol les croyants de toutes
confessions, qui contribuent eux aussi à sa richesse culturelle, la France est
historiquement un pays de tradition chrétienne. Comment donc les Français
pourraient-ils faire société en négligeant cet engagement des chrétiens ?
Réciproquement, comment les chrétiens français pourraient-ils vivre leur
engagement sans être conscients et fiers de défendre également les valeurs de
la République ?
*
Je n’ignore pas qu’en tenant de tels propos, je m’expose aux critiques de
ceux qui estiment que la laïcité consiste pour l’Etat et ses représentants à
ignorer l’existence du fait religieux, à redouter ses effets ou même à
restreindre son expression dans l’espace public.
Telle n’est pas ma conception. Telle n’était pas non plus la conception des
inspirateurs de la loi de 1905, je pense à Aristide BRIAND ou à Jean JAURES,
qui désiraient une loi d’apaisement. A leur suite, je suis convaincu que la
laïcité est avant tout un principe juridique de neutralité religieuse, qui
s’impose à l’Etat et à ses représentants. Ce principe a ainsi pour finalité de
garantir à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, ainsi que, pour le
croyant, le droit d’exercer son culte dans des conditions dignes et paisibles.
« La Laïcité, comme l’a très bien dit Emile POULAT, c’est une société qui
donne place à tous. »
Je suis donc également convaincu que l’Etat n’a pas à ériger la laïcité en
hostilité contre la religion. Pour ne citer que quelques exemples récents, je
suis préoccupé par l’attitude de certains élus locaux qui s’efforcent
d’empêcher l’ouverture des lieux de culte, lorsque la religion que l’on y professe
n’est pas de leur goût, et qui multiplient les manœuvres dilatoires pour
faire obstacle à l’exercice d’un droit protégé par la constitution : la
liberté de culte. Je n’ai pas non plus de bienveillance pour les élus qui
invoquent la laïcité pour pénaliser certains Français en raison de leur
religion, qui voudraient interdire à des femmes portant un simple foulard
l’accès à des plages publiques, ou à des enfants de pouvoir bénéficier de menus
de substitution dans les cantines scolaires. Enfin, je me suis bien entendu
indigné lorsque le principe de laïcité a été invoqué, de façon inepte, pour
interdire une campagne faisant la publicité d’un concert au profit des
Chrétiens d’Orient en danger.
Je ne vous surprendrai donc pas en vous disant que la laïcité républicaine,
telle qu’elle figure dans nos textes, telle qu’elle est déclinée concrètement
par nos juridictions, n’est pas à mes yeux très éloignée de la définition qu’en
donnait Jean-Paul II, en parlant de la France : « La laïcité laisse à
chaque institution, dans la sphère qui est la sienne, la place qui lui revient,
dans un dialogue loyal en vue d’une collaboration fructueuse pour le service de
tous les hommes. Une séparation bien comprise entre l’Église et l’État conduit
au respect de la vie religieuse et de ses symboles les plus profonds, et à une
juste considération de la démarche et de la pensée religieuse ».
La laïcité n’interdit ni le dialogue, ni le respect mutuel entre l’Etat et
les responsables des cultes. Je suis personnellement très attaché à ce
dialogue, dont la forme la plus simple réside dans les visites qu’un ministre
de la République peut rendre aux fidèles des diverses confessions dans des
moments de fête ou de recueillement. C’est ainsi que je me suis rendu la
semaine passée à la synagogue, à l’occasion de Yom Kippour, et le lendemain à
la Moquée de Cherbourg pour la fête de l’Aïd-El-Kebir. Tout comme j’ai pu
assister à l’office protestant qui est célébré chaque été sous les châtaigniers
lors de l’Assemblée du désert à Mialet, dans le Gard ; et à la messe de
Noël de la paroisse syro-chaldéenne de Saint-Thomas l’Apôtre, à Sarcelles, au
moment où notre pays exprimait sa solidarité à l’égard des chrétiens d’Irak
victimes de terribles persécutions. L’évocation des camisards, qui fait aujourd’hui
écho à d’autres persécutions, nous rappelle que le combat pour la liberté de
conscience et la liberté religieuse doit être mené de manière inlassable.
Naturellement, ce dialogue peut aussi prendre des formes plus
institutionnelles. Une instance de dialogue très utile existe ainsi entre
l’Etat et l’Eglise de France, depuis 2000, et j’ai souhaité plus récemment
créer, sous une forme un peu différente, un forum d’échange régulier avec
l’Islam de France. Ces rencontres sont l’occasion d’examiner les problèmes très
concrets que peut poser aujourd’hui l’exercice du culte dans le cadre de la
laïcité, mais aussi d’échanger sur des sujets philosophiques ou sociaux.
Chacun, je crois, en retire un réel bénéfice.
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