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Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. La séparation du
politique et de religieux est un gain pour la liberté de conscience, durement
acquise au cours des siècles. Comme jadis en Occident, la confusion ou
collusion des pouvoirs est aujourd’hui en Islam une des causes de l’athéisme.
La
réponse ad hominem de Jésus à ceux
qui lui tendent un piège ne permet sans doute pas de savoir ce qu’il pensait,
ni de tirer de ce seul verset une théologie du politique. Elle s’inscrit
cependant dans l’action de libération des hommes par Jésus, y compris vis-à-vis
des autorités sociales, politiques et même religieuses.
Cette
séparation ne peut cependant signifier que la foi devrait ignorer les domaines
politique, éthique ou scientifique ou s’abstenir d’y prendre partie.
« Que les curés restent dans leurs sacristies et ne se mêlent pas de
politique » ; « les religions n’ont pas de droit à s’exprimer
officiellement et publiquement sur les questions de société ou à être écoutées par
les autorités de la République ou de la société civile ». A cause de, ou
plutôt grâce à l’incarnation, rien de ce qui est humain ne saurait nous être
étranger à nous, disciples de Jésus. Autrement dit, nous ne pourrons admettre
la confusion du religieux et du politique, du religieux et du scientifique, ni
même de l’évangile et du religieux (le sanctuaire de la conscience éclairée a
plus de poids que la décision d’un Pape ou d’un concile) ; mais nous ne
pourrons pas non plus admettre leur séparation. Sans confusion ni séparation,
sans mélange ni division.
Régulièrement,
certains luttent pour que rien de religieux ne s’exprime dans l’espace public,
comme s’il était plus respectueux d’imposer publiquement l’athéisme ou
l’agnosticisme que la religion. On voudrait même ôter toute allusion à
l’évangile dans la société, au point d’en devenir stupide, et d’imposer à nos
enfants une inculture qui leur rendra une des origines de leur propre culture et
donc leur culture inaccessibles.
Il
n’y a pas de neutralité en ces matières, nous sommes tous engagés avec nos
convictions ; et la loi de 1905 n’est pas là pour interdire l’expression
du religieux ou des convictions religieuses, quelles qu’elles soient, mais pour
assurer la liberté de conscience et d’expression tout en garantissant la paix
civile. Avant que ne soit précisé que la République ne reconnaît ni ne
subventionne aucun culte, l’article premier stipule que « La République
assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes
sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre
public. » Puisqu’on parle de culte, on ne reconnaît pas seulement les
libertés individuelles, dans la sphère privée, mais aussi l’expression commune
et publique de la foi.
De
plus ou moins bonne grâce, nous autres catholiques, avons fini par trouver
cette loi assez juste. Les évêques, en 2005, à l’occasion du centenaire de la
loi, ont reconnu son équilibre démocratique et ne se sont pas montrés pressés de
la voir redéfinie.
Parmi
nous cependant, certains soutiennent une logique qui cantonne le religieux dans
la seule sphère privée. La neutralité interdirait que l’on mentionne la foi, dans
les associations par exemple, ou au travail, tout comme Onfray ou
Mélanchon ! Mais l’on peut sans problème parler de commerce et de
finances. Le dieu argent est socialement ou politiquement plus correct que le
Dieu de Jésus… ou de Mahomet.
Ce
n’est pas seulement une lecture fautive et intransigeante de la loi qui est en
jeu. Il s’agit de l’acceptation de la diversité religieuse en nos pays.
Reconnaître l’expression des religions dans l’espace public, c’est aujourd’hui
faire place à l’Islam. Les musulmans ne sont plus et ne peuvent plus être seulement
des immigrés auxquels on concède le droit de vivre leur foi à condition qu’ils
demeurent dans la réserve exigible d’une population servile, conquise,
colonisée. Ils sont et doivent pouvoir être des citoyens égaux avec tous les
autres en droit et devoir, y compris par l’inscription dans la culture de leurs
convictions, notamment religieuses, dans le respect des autres et de la paix
civile. Révolution culturelle que la loi de 1905 ne pouvait imaginer mais
qu’elle rend possible en donnant un cadre au pluralisme culturel et religieux ;
vol en éclat le mythe de la France catholique, fille aînée de l’Eglise,
baptisée avec Clovis !
Jésus
n’est pas là pour défendre une loi ou son interprétation, pas même un modèle de
société. Mais il proclame, et nous engage à œuvrer pour la liberté des enfants
de Dieu vis-à-vis de tous les pouvoirs et autorités. L’autorité ne peut être
que de service et non de puissance, ce qui autorise au sens de rend possible. César
‑ le pouvoir, les pouvoirs ‑ est un moyen et non une fin, un moyen au
service de la vie bonne, avec et pour les autres, précisément dans des
institutions justes. C’est au nom de ce bien commun qu’il sera possible de
contester César voire de le révoquer. Les autorités n’ont plus leur
justification en elles-mêmes, et ce renversement vient peut-être de Jésus, et
plus anciennement de la Loi, qui interdit qu’un autre que Dieu soit honoré.
« Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. »
L'homélie entendue ce dimanche ouvrait une perspective intéressante au texte. Dans l'évangile de Matthieu, écrit au moment où les premiers chrétiens commencent à être inquiétés par les autorités civiles pour leur non soumission au culte de l'empereur, le fameux "rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" peut être vu comme un moment de conversion : que rendons-nous à chacun ? Et derrière cette question la place de l'empereur et de l'argent, les deux étant confondus, est interrogée au regard de celle de Dieu. L'officiant concluait son homélie en insistant sur la liberté du chrétien face aux pouvoirs politiques, la nécessité de ne pas être soumis à d'autres lois que celles de l'évangile.
RépondreSupprimerAmitiés