Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, heureux les affligés, heureux les
doux, les affamés et assoiffés de la justice, les miséricordieux, heureux les
cœurs purs, heureux les artisans de paix, heureux les persécutés pour la
justice, heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu'on vous persécutera, et
qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
Même s’il est de ces béatitudes qui passent moins mal que les autres, que fait-on
à réciter des inepties pareilles ? 2000 ans que l’évangile est
intempestif. On se demande comment il a pu être la religion de toute une
société pendant tant de siècles.
On est encore tous assez vite d’accord pour se reconnaitre chrétien ou de
culture chrétienne quand il s’agit de ce qu’on appelle les valeurs. Mais
là ! Nos valeurs, ce qui nous spécifierait, le pardon, la tolérance, la
paix, l’amour, c’est ce que tout le monde partage, au moins en parole, dans les
déclarations, chrétiens ou non, athées ou fidèles d’une autre religion. Ces
valeurs c’est ce qu’il y a de plus commun ! Est-ce vraiment ce que nous
aurions en propre ?
Jésus n’aime pas les valeurs. D’abord, c’est comme la bourse ; les
valeurs, ça monte ou ça descend selon des indices, des rumeurs ou la folie d’un
moment. Rien de solide, Ensuite, Jésus n’a que faire des valeurs, il aime les
gens. Et d’abord ceux qui ne valent rien, les pas-rentables, les méprisés, les
immigrés. Il va aussi chercher ceux qui ne respectent pas les valeurs, nous
soit dit en passant. Une histoire de brebis perdue, de prostituées et de
publicains qui sont les premiers, d’ouvriers de la dernière heure. Jésus n’aime
pas les valeurs, les trucs que tout le monde a à la bouche, au nom de quoi on
juge les autres, et pas soi, ce qui se fait dans le monde, nos principes.
Jésus n’a pas de principe. Il est venu pour que les hommes aient la vie et
qu’ils l’aient en abondance. Il ne lâche personne. C’est, de nouveau, la brebis
perdue, le fils perdu, tous ceux qu’il guérit et délivre de leurs maux, de la
mort même. Il n’arrête pas de rattraper les pertes de vie.
Parfois, on est comme cela, en perte de vie. Parfois, tout est bouché, il
ne reste que les yeux pour pleurer, il ne reste que le ventre vide des affamés
et assoiffés de justice, il ne reste que la douceur ou la pauvreté de cœur,
loin de toute force, puissance, astuce pour s’en sortir. Parfois on n’est pas
du côté des gagnants. Non, parfois, on n’en sort pas.
J’imagine que chacun peut trouver dans son expérience un de ces moments où
il n’en sort pas. La mort, le deuil, la perte d’autonomie, le handicap, fin de
vie, la souffrance, l’amour impossible, les échecs, ce que nous avons raté,
notre mal, notre mauvaise conscience qui nous ronge, ce que nous regrettons
d’avoir fait ou non. On n’en sort pas.
Alors voilà, une heureuse annonce, une bonne nouvelle. Heureux êtes-vous !
L’impasse n’est pas une impasse, ça passe, il est passé, il a ouvert le
passage. Il est passé, passus et sepultus
est. Il souffrit sa passion et fut
mis au tombeau. Il a été persécuté pour le nom de Dieu, au nom de Dieu, il a
souffert la faim et la soif de justice, il a choisi la douceur et la
miséricorde. Il rejette les victoires par la violence et la force qui préparent
des lendemains qui tuent.
Comment de sa mort trouver une issue, une sortie ? C’est aussi inepte
que les béatitudes !
Et pourtant… Déjà, aujourd’hui, il fait la vie plus grande, et nous sommes
de ceux qui ont découvert ce secret. Déjà aujourd’hui, il rassasie les affamés
de justice. Faut-il n’avoir besoin de rien et avoir une vie sans grande
difficulté pour penser pouvoir, ou croire s’en sortir toujours tout seul ?
Déjà, aujourd’hui, il sèche les larmes. C’est parce que déjà aujourd’hui, il
fait la vie plus grande que la pierre du tombeau, si lourde soit-elle, est
renversée et l’issue ouverte.
Bien sûr si, aujourd’hui, on ne sait pas qu’il fait vivre, cela reste du
grand n’importe quoi, au mieux un mythe. Que le mythe soit encore raconté !
Qui sait si certains, le jour où tout sera fermé pour eux n’y découvriront pas l’heureuse
annonce. (Evidemment, ce n’est pas seulement quand ça va mal que Jésus fait la
vie plus grande, c’est juste que ça se voit alors un peu mieux.)
Et puisqu’il est pour nous aujourd’hui celui qui fait notre vie plus grande,
avec et pour les autres, alors nous le savons, l’heureuse annonce se révèle
juste, évidente. Déjà, quoi qu’il en soit de la séparation et du plus jamais,
c’en est fini de la mort. Déjà, quoi qu’il en soit des injustices, des souffrances,
guerres, violences, haines, viols, nous le savons, le mal n’a pas le dernier
mot, et c’est pourquoi, notre lutte contre le mal n’est pas vaine, et c’est
pourquoi nous prenons soin de la vie. Déjà, quoi qu’il en soit de notre péché,
c’est la sainteté. La vie vaut mieux, la vie est toujours plus grande.
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