Il
y a plusieurs manières de lire ce texte (Mt 21, 33-46). On peut faire
correspondre à chacun des envois du maître des moments de l’histoire de Dieu se
donnant aux hommes ou à Israël, et autant d’échecs, de refus d’accueillir les
messagers et prophètes. La lecture alors aboutit à, ou constate, le rejet par
Dieu d’Israël, ou une condamnation sans appel par Dieu des cultures qui
refusent l’alliance que ce même Dieu ne cesse de vouloir nouer avec l’humanité.
Quand arrive Jésus, la vigne passe à d’autres qui lui font enfin rendre du
fruit.
C’est
un peu embêtant. D’abord parce que ce type de lecture ne convient pas vraiment
à ce que l’on appelle une parabole, ensuite, parce que l’on fait du rejet
d’Israël et de sa substitution par l’Eglise un enseignement que la théologie et
la doctrine de l’Eglise depuis cinquante ans refusent. Le grand tournant de la
déclaration conciliaire Nostra Aetate,
les rencontres, depuis, des différents papes avec les responsables du judaïsme
et les amitiés judéo-chrétiennes seraient tout bonnement ignorés, niés.
C’est
embêtant, parce la théologie de la substitution cautionne voire favorise,
jusqu’aux horreurs de la solution finale des nazis, l’antisémitisme, incompatible
avec l’évangile, contraire à l’évangile. Jésus est Juif, ceux qui écrivent le
texte sont Juifs ; pouvaient-ils s’exclure en excluant leur peuple de ceux
que leur action évangélisatrice voulait atteindre ? Nous ferions dire à
l’évangile que Dieu rejette certains, et pas n’importe lesquels, puisqu’il
s’agirait du peuple élu. Bref nous lirions l’évangile comme un contre-évangile.
Alors qu’en son horreur même, le « tuons-le nous aurons l’héritage »
est ce qui arrive. Les hommes tuent le Fils et héritent du royaume ! C’est
la scandaleuse prodigalité du Père.
C’est
grave enfin, parce le rejet d’Israël étant entériné, on ne verrait pas à quoi
servirait de relire régulièrement le texte, si ce n’est à instiller et
maintenir vive la haine des Juifs parmi les disciples de Jésus. Force est de
reconnaître que cela a fonctionné ainsi.
Comment
ce texte est-il pour nous qui le lisons invitation à la conversion, à la suite
de Jésus ? Comment la lecture de l’évangile sera-t-elle chemin de paix et
de concorde et non de haine et de violence ? Comment la lecture de
l’évangile ne prêchera-t-elle pas le contraire de l’évangile ? Comment la
lecture de l’évangile ne sera-t-elle pas sa fin, son échec ?
Depuis
plusieurs chapitres déjà, monte l’opposition de Jésus contre les hommes
religieux, ici sous la forme de la confiscation de la relation à Dieu par un
pouvoir ou un savoir. Ceux qui œuvrent à la vigne veulent rafler la mise. Ils
ont oublié qu’ils n’étaient que les serviteurs. Ils se croient propriétaires de
la vigne. N’est-ce pas ce que l’on pourrait comprendre d’attitudes qui au nom
de la doctrine et de la discipline excluent certains alors même que le fils de
l’homme est venu rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés, alors
que, si brebis égarée il y a, le berger abandonne les autres pour aller la
chercher ? Le pire étant évidemment que les brebis égarées ne sont pas
celles qui se seraient détournées du bon chemin, mais ceux qui engagent,
encouragent et désirent l’Eglise sur un chemin à l’opposé de l’évangile tout en
étant convaincus de mettre l’évangile en pratique.
La
parabole se finit sur une question. La réponse exprime l’avis des
interlocuteurs ; elle n’appartient pas à l’histoire, à l’enseignement de
Jésus. La réponse est exactement le prolongement de l’attitude des
propriétaires exclusifs, à l’opposé de l’évangile. Dans l’évangile, nous
apprenons que les misérables, Dieu ne les fait pas périr misérablement, mais
qu’il meurt pour eux comme un misérable.
Nous
ne sortirons pas du contre-témoignage à l’évangile tant que nous en serons les
propriétaires, tant que, à son service, nous ne nous en ferons pas les premiers
bénéficiaires, ceux qui sans cesse rompent l’alliance et qui sans cesse sont
réconciliés. Le dépouillement, est la condition de l’accueil évangélique,
bienheureux les pauvres. Car précisément, la pierre que nous bâtisseurs avons
rejetée est la pierre de fondation. On ne bénéficie pas de l’évangile à s’en
faire propriétaire, mais à le recevoir, non à prendre sa place pour décider qui
agit bien, qui est digne, mais à bénéficier de ce qu’il est réconciliation des
pécheurs. Dieu est un gaspilleur invétéré, d’une prodigalité scandaleuse ;
c’est cela que nous croyons, c’est cela que nous annonçons, c’est cela qui
sauve.
Bonjour Patrick,
RépondreSupprimerCe que tu dis contribue un peu plus encore à nous débarrasser de la meurtrière théologie de la substitution. Elle est malheureusement encore assez répandue dans bien des prédications et des catéchismes qui ont du mal à se débarraser de la suffisance bien peu évangélique d’être les détenteurs définitifs du juste et du vrai. Insommnie aidant, j’ai pensé cette nuit que la parabole avait le dispositif de la légende du Grand Inquisiteur : même obstination à se débarraser de l’esprit initiateur, l’Esprit qui invite chacun à « se faire commençant ». Superbe commentaire lui aussi de Marion Muller-Colard dans Eclats d’Evangile, p. 322-324. Après une belle citation de Rilke, elle finit par cette question : « Cherchons-nous ce premier mot à écrire, ou bien ajoutons-nous un énième point de suspension au long sommeil d’un christianisme qui rend, pour son malheur, à enterrer son propre trésor ? ».
Merci à toi.
Loïc de K.