Nous voulons tous être heureux, nous cherchons tous la vie bonne, et cette vie n’est bonne qu’avec et pour tous. Nous n’allons pas être heureux tout seul ! Et cette vie bonne pour et avec tous n’est possible que dans des institutions, parce que lorsque la société est large, élargie, en interaction avec tant d’autres sociétés, on ne peut se passer d’institutions, de lieux de médiations et de rencontres, de décisions prises ensemble. Nous voulons tous être heureux, nous sommes à la recherche de la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes.
Qu’elle est longue la route qui mène à ce bonheur ! Il nous arrive certes d’être heureux, mais l’être avec tous, dans des institutions justes ‑ puisque seulement ainsi la vie peut être bonne ‑ c’est une autre affaire. Le chemin du bonheur est une nuit, une si longue nuit, la nuit la plus longue comme un plein hiver. La nuit semble durer même les quelques heures de journée, parce que la grisaille empêche le soleil, parce que la lumière, même faible, dévoile que la vie n’est pas bonne pour tous, que l’injustice broie tant d’entre les humains.
Nous voulons tous être heureux, beati omnes esse volumus. C’est ainsi que Cicéron, une cinquantaine d’années avant la naissance de Jésus, exprimait la quête de l’humanité. Il avait piqué le thème de la vie bonne à Aristote, trois siècles plus tôt. Déjà le psaume résonnait de notre recherche : « Beaucoup demandent : qui nous fera voir le bonheur ? » Et nous en sommes là, aujourd’hui.
Le bonheur avec et pour tous, dans des institutions justes désigne le chemin à prendre, boussole pour nos vies. C’est une quête. La vie bienheureuse avec et pour les autres n’est pas réalisée. Il ne s’agit pas de se faire défaitiste, mais au contraire de cultiver le désir du bonheur pour mener nos vies, d’aviver en nous la quête du bonheur pour tous.
Sur le chemin de la vie bienheureuse nous avons quelques repères, nous partageons quelques convictions. Nous savons par exemple combien des paroles peuvent faire naître à la vie, à l’amour, comment d’autres détruisent et nous bouffent. Nous savons faire vivre les autres de nos paroles ; nous savons que nous avons blessés, parfois détruits les autres par nos paroles.
Il n’y a pas que les paroles pour construire ou détruire le monde. Il y a tout ce que nous faisons. Mais s’il est vrai que les humains se définissent par la parole, s’il est vrai que riches et pauvres, malades ou en pleine forme, adultes ou enfants, nous avons tous la parole et sa force, il est légitime de réfléchir un instant à nos paroles pour construire le monde, pour faire naître à la vie, à l’amour.
Elles sont précieuses nos paroles, vivifiantes, créatrices. Elles méritent qu’on les recueille, elles méritent recueillement. Que nous les repassions en notre mémoire, les gardions en notre cœur, les méditions au secret qui fait vivre, trésor pour nous tous qui voulons être heureux, qui cherchons la vie bienheureuse avec et pour tous. Les paroles qui font vivre, les paroles d’amour, viennent toujours d’autrui, elles nous adviennent. Et c’est pour cela qu’on ne peut être heureux qu’avec tous.
Une parole qu’il faut confier au poème,
(à ce qu’il faut faire, étymologiquement) pour nous déprendre de la maitrise
sur les mots et nous ouvrir à l’amour, à la vie. (« La poésie est ce qui ne s'écrit pas jusqu'au bout de la ligne. »)
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