La semaine passée, les signes cataclysmiques de l’évangile étaient à la fois une dénonciation du mal par la révélation de la venue du Fils de l’homme, son apocalypse, et une invitation à se tenir debout dans la prière, à veiller, pour attendre, ne pas rater cette venue.
Cette semaine, l’appel à la conversion après la dénonciation du mal est plus explicite. On pourrait commenter le texte d’aujourd’hui (Lc 3, 1-6) qui se situe avant même l’entrée en scène de Jésus, avant le début de son ministère, en nous interrogeant sur le rôle de l’Eglise aujourd’hui. Comme le Baptiste, nous venons d’un certain point de vue avant Jésus pour nombre de personnes que nous rencontrons. Nous, disciples, sommes dans ce monde, une voix. Reste à savoir ce que nous crions et montrons, comment nous préparons nous-mêmes la route, ce que signifie cette mission.
La mission de l’Eglise, dans une société dont elle est de plus en plus exculturée, pourrait être, premièrement, de la jouer humble, modeste, de présenter un chemin de vie où reconnaissance des fautes, sans forfanterie, n’empêche pas de s’engager. Au moment de la désaffection de la confiance envers les politiques, cela pourrait être salutaire pour la res publica. Deuxièmement, à la suite du Baptiste, dénoncer l’injustice. L’Eglise n’est pas la seule à devoir le faire, mais cela n’en rend pas la nécessité moindre. Troisièmement, œuvrer selon l’agapè, vivre dans l’amour, ce que l’on traduira de façon sécularisée par la solidarité. Là non plus l’Eglise n’est pas seule. Elle expérimente déjà la justesse de son compagnonnage avec d’autres au service des plus pauvres. Ce faisant l’Eglise continue à annoncer Jésus et sa compréhension de Dieu. L’annonce de ce qu’elle croit, la pratique de la charité et l’espérance qui rend possible la prière, pour spécifiques qu’elles soient, n’existent que par le partage avec tous de la recherche de la vie bonne, juste.
Je voudrais revenir à l’invitation à la prière de dimanche dernier, comme un codicille à l’homélie de la semaine passée, comme ce qui est rendu possible par notre recherche de la vie bonne avec et pour tous. J’emprunte quelques mots aux Pères du désert, ces moines ermites (les ermites chrétiens vivent toujours en communauté !) des 3ème et 4ème siècles dans les déserts (en grec, érèmè) d’Egypte, d’Anatolie, de Syrie et de Palestine.
« Comment prier ? – Il n’est pas nécessaire d’user de beaucoup de paroles, répondait Macaire, il suffit de tenir les mains élevées et de dire : Seigneur, comme tu le veux, comme tu le sais, aie pitié de moi. Et, lorsque le combat devient plus insistant : Seigneur, au secours. Lui-même sait ce qui nous convient et nous fait miséricorde. Arsène, autre Père du désert, se tenait debout le soir, tournant le dos au soleil couchant ; il tendait ses mains vers le Levant « jusqu’à ce que de nouveau le soleil éclairât sa face ; alors il s’asseyait. » Sa vigilance physique était le langage du désir, comme un arbre dans la nuit, sans qu’il fût nécessaire d’y ajouter le bruit des mots » (D’après Certeau et les Apophtegmes des Pères)
Les bras levés, comme Moïse dans son intercession, comme Jésus sur la croix, parce que c’est l’heure du combat (agonia), parce que c’est le moment de se retrousser les manches pour soigner les frères, et que sans ce soin, il n’est pas de prière.
Se tenir debout, parce que dès la croix, nous sommes relevés, ressuscités, vivants. Certes, l’on peut prier à genoux ou couché, mais lorsque nous nous retrouvons pour célébrer la résurrection de Jésus, c’est debout que nous annonçons et participons déjà de sa vie.
La prière est nocturne, nous ne savons ce qui survient de nuit, et c’est pourquoi nous attendons le lever d’un jour nouveau ; nous ne savons pas prier comme il faut. La nuit, toutes les embuches se présentent. Or prier, c’est précisément demeurer vigilants au milieu des embuches, pour vivre et vouloir la vie, la nôtre, celles des autres, avec et pour tous.
S’il y a des mots dans notre prière, ce n’est pas pour renseigner ou fléchir le Seigneur, c’est pour nous tenir éveillés (les hommes et les femmes, ça parle), pour exciter en nous le désir de Dieu, pour aviver en nous le jour de sa venue, la fin du mal, le monde nouveau.
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