18/11/2022

Prêtres, prophètes et rois (Christ, roi de l'univers)

Il existe une fête du Christ-roi. Elle n’est pas ancienne, 1925, quelques années après la fin de la guerre, quelques années après la prise de pouvoir par les Bolcheviques en 17. Malgré l’Encyclique de Léon XIII en 1893, invitant les catholiques français à rallier la République et à cesser de rêver à un retour à l’Ancien Régime, la fête peut paraître souffler dans les voiles monarchistes. Un pas en avant, deux pas en arrière ?

Une étude des oraisons et des lectures de 1925, celles de 1962 et 1969 montre que la l’Eglise a modifié sa compréhension de la fête. On ne prie plus pour que les gouvernants des peuples offrent un culte public au Christ, pour que les maîtres et les juges l’honorent, que les arts et les lois chantent sa gloire (office de Vêpres). La fête n’est ni la promotion d’un type de régime ni l’inféodation des dirigeants au Christ. La laïcité, l’autonomie des réalités terrestres et l’acceptation de la démocratie sont passées par là. La fête se veut plus théologique, reconnaissant la seigneurie du Christ sur l’univers. Les textes bibliques travestissent encore davantage la fête, mettant en scène un roi de comédie, ou plutôt du drame du mal. Son trône est une croix, il règne en servant ; il n’est pas roi à la manière du monde ; sa loi qui est vie édicte que le chemin vers Dieu n’est autre que le chemin vers les frères, à commencer ceux qui sont massacrés par l’existence.

Il existe une fête du Christ-prêtre éternel. Elle est peu célébrée en France même si son origine se trouve dans l’Ecole Française, il y a un peu moins de quatre siècles. Adoptée en Espagne comme fête du calendrier propre juste avant la fin du franquisme, elle développe une théologie du sacerdoce des plus problématiques, de celles qui supportent et édifient le cléricalisme tant dénoncé par l’actuel évêque de Rome. C’est le prêtre qui est alter Christus et non le baptisé. Et même si le but est louable d’encourager par-là la sainteté du clergé, n’est-ce pas au prix d’une dépréciation du baptême ?

Si vous vous rappelez la triple identité baptismale que le Concile Vatican II introduit avec l’onction du chrême, configurant le néophyte au Christ, prêtre, prophète et roi, vous êtes fondés à chercher une fête du Christ prophète. Que je sache, il n’y en a pas.

Je me garderais bien de m’en faire le promoteur. Mais le fait interroge. Car la thématique du Christ prêtre est quasi inexistante dans le Nouveau Testament. L’épitre aux Hébreux est le seul document qui parle ainsi ; ce faisant, il met fin au sacerdoce ! On se frotte les yeux à voir qu’elle lecture en est faite, quelles conséquences en termes de structure ministérielle pour l’Eglise en ont pourtant dérivé. La royauté de Jésus a pour elle d’être un peu plus testamentaire, quand bien même Jésus se soustrait aux foules de peur qu’on ne le fasse roi. Elle n’est pas de ce monde sans pourtant ériger un arrière-monde : le recadrage de la royauté par Jésus dénonce le pouvoir. Quelques monarques l’ont bien compris qui, retournés, convertis par exemple par le message du Poverello, ont voulu vivre la fraternité et la pauvreté. Ainsi Louis IX ou Elisabeth de Hongrie, tous deux au treizième siècle. Jésus était le modèle du roi et non la royauté un titre pour Jésus !

Il est vrai, le titre de Christ, ou plutôt en hébreu de Messie, plonge ses racines du côté de la royauté davidique, roi berger qui a reçu l’onction de sainteté. Les rois réussiront à être sacrés et les prêtres voudront aussi une onction ; celle des baptisés deviendra.

Fin du sacerdoce, subversion de la royauté. Et la prophétie ? Car s’il est une des trois figures qui convient à Jésus, c’est bien celle-là. Jésus agit et parle comme les prophètes. Il agit et parle au nom de Dieu. On trouvera sans doute que ce n’est pas dire assez et que « Fils de Dieu » est plus pertinent, d’autant plus que, quelques siècles plus tard, on se gardera de parler de Jésus comme les Musulmans le font du Prophète !

Avec Jésus prophète, c’est une christologie discrète qui s’élabore, critique aussi tel le fou du roi qui dénonce la comédie du pouvoir ; le courtisan est faux-prophète. Une christologie de la discrétion de Dieu s’accorde bien avec la situation de l’Eglise, qui ne peut pas trop la ramener, ces temps. Elle est assez fidèle à Jésus que d’aucuns ont reconnu être la source d’une pastorale de l’enfouissement ; Jésus va dans le monde incognito, se dissimulant sous les traits du maudit qui pend au gibet. Elle ouvre un chemin pour la mission. La moins mauvaise de parler de Dieu est le service des frères ‑ Mt 25 est l’évangile de l’année A ! Assez des discours, assez de la grandiloquence. Roi, prêtre, et pourquoi pas empereur ou pape pendant que vous y êtes ! Retroussons nos manches pour servir ces petits qui sont les siens. Nous serons prophètes, selon l’attestation baptismale… et la prophétie : vos fils et vos filles prophétiseront (Jl 3, 1 : Ac 2, 17).

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