Les rebondissements sans fin des frasques sexuelles du clergé atteignent désormais les évêques. On mélange tout, d’ailleurs, car, pour ce que l’on apprend, il ne semble pas que tous les écarts par rapport à l’abstinence constituent des délits et encore moins des crimes. Les manquements à l'abstinence ne sont pas toujours des péchés contre la chasteté. Mais le discours de morale sexuelle de l’Eglise est à ce point administré comme normatif, depuis une position de surplomb, de jugement quand ce n’est pas de condamnation, que le fait que des évêques aient un comportement contraire à ce qu’ils enseignent ne fait que rendre la saga plus misérable encore, s’il est possible.
Nombreux,
parmi les catholiques, et semble-t-il de diverses sensibilités, ne
supportent plus, demandent que l’on change la manière de gouverner
l’Eglise, que l’on formule la doctrine autrement. C’est sans doute peine
perdue, du moins à court terme. Les affaires qui sortiront encore sont
déjà commises dans leur immense majorité. On ne peut plus rien faire si
ce n'est attendre en tremblant les prochaines révélations, espérant ne
pas tout mélanger, crime, délit, instrumentalisation des sacrements,
rapports consentis mais contraires à la chasteté, simple coup de canif
porté à l'abstinence.
Parmi ceux qui prennent la parole, il est des personnes aux compétences juridiques, psychanalytiques ou théologiques certaines. Pourtant, je lis sous leurs plumes des affirmations ou des manières de parler totalement fautives. L’un parle des clercs comme des « hommes de dieu », une autre des évêques comme de la tête de l’Eglise.
Ces auteurs dénoncent à juste titre le cléricalisme que par le choix de leurs termes, ils continuent à propager ou dont à leur insu ils continuent à être les victimes. Cela me pose un certain nombre de questions. Pourquoi pour dénoncer le cléricalisme recourent-ils à la rhétorique du système clérical ? S’agit-il de la religion archaïque qui, quoi qu’on veuille, résiste à la conversion évangélique ? Comme s’il fallait bien qu’il y ait des spécialistes de la religion, non des chercheurs d’EHESS ou d'EPHE, mais des techniciens internes à la religion, ce que les religions appellent en latin des sacerdotes. Comme si tout le travail de Vatican II, que ces auteurs connaissent, ne pouvait pas être utile au moment même où il serait de la plus grande nécessité. (Et il n'y a pas besoin d'attendre Vatican II pour savoir que l'Eglise a une seule tête, le Christ !) Comme si l’idéologie catholique était plus puissante que la foi catholique.
Le cléricalisme est certes l'affaire des clercs, mais tout autant celle des non-clercs qui pensent qu'il faut des clercs, ou du moins pensent avec la case "clerc".
Cette contradiction doit être interrogée, y compris analytiquement. Il y a quelque chose d'archaïque, infantile, à maintenir le religieux et ses structures. C'est le rêve qu'il existe une caste qui serait à l'abri des problèmes du commun. C'est précisément ce qui renforce le crime et la perversité. Le religieux est dangereux, et plus ça va, plus je vois Jésus en lute contre le religieux, plus sa condamnation, qui met d'accord Juifs et Romains, est, comme celle de Socrate, une accusation d'impiété. Faut pas toucher aux règles, surtout celles qui ne sont pas dites, mais structurent tyranniquement les sociétés.
Qui peut être dit homme ou femme de Dieu ? Ce n'est pas une expression de Jésus. Lui s'émerveille autant qu'il s'étonne, puisque c'est le même verbe grec, de la foi de quelques personnes qu'il rencontre. On ne sait pas d'ailleurs ce en quoi consiste cette foi. De toute façon, ce n'est jamais un statut, une cléricature, un baptême, mais un art de vivre, une pratique. Certeau parle de "pratique de la différence". Je continue à trouver cela pertinent.
Croire qu'il y a des hommes et des femmes de Dieu par statut, croire qu'il y a des hommes qui soient tête de l'Eglise, c'est se faire le tenant d'un système religieux, où il y aurait un sacré, préservé, pur. Mais le sacré est le lieu de la terreur, tremendum, non du sublime. Mais Jésus nous a délivrés du sacré. Le religieux et le sacré sont impossibles. Il faut en faire le deuil. Il faut les évangéliser, les subvertir par la force de l'évangile.
"Se raccrocher à l'impossible était notre imperfection, notre manquement, au sens premier du mot péché. On ne me demandait pas de croire en l'impossible, mais de croire et penser que la vie était tout entière dans le possible du monde. Ce qui est radicalement différent de la perversion du rêve qui me faisait croire que ce qui était impossible était possible. Oh je sens bien que c'est très difficile à saisir." (F. Boyer) Peut-être c'est cela l'incarnation, Dieu dans la chair. Le religieux n'existe pas puisque le lieu de Dieu c'est la chair, l'histoire, la vulnérabilité. Il n'y a pas de tête, il n'y a pas d'hommes et de femmes de Dieu par un statut. Il y a l'aventure humaine, avec et pour les autres, dans des institutions que nous voulons plus justes. Rien d'autre. Ou du moins, si nous cherchons Dieu, c'est là seulement qu'on le trouvera, parce que c'est ainsi qu'il vient à nous.
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