« On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire. » (Mt 5, 13-16). Ce petit verset appliqué à la mission souffre de graves détournements. Car toutes les lampes ne sont pas faites pour éclairer. Il ne suffit pas d’être lumière pour éclairer. Et si l’on ajoute ce qui précède, toutes les dérives sont à craindre : « vous êtes la lumière du monde ». L’actualité de cette semaine encore le prouve.
Il y a la lumière qui éblouit de sorte que l’on n’y voit plus rien, non seulement à la regarder, mais longtemps encore après. Ce peut-être le soleil de plein midi. C’est aussi la lampe des interrogatoires, des tortionnaires. Des lumières qui aveuglent.
La lumière du lampadaire est différente. A supposer que Veritatis splendor désigne Dieu lui-même, ce n’est pas lui que l’on mettra sur le lampadaire. Qui sommes-nous pour poser Dieu ici ou là ? Comment pourrions-nous penser le placer ici ou là sans nous rendre compte que ce sont les idoles qui peuvent être manipulées ? Le Dieu des Ecritures se rend invisible pour que nous ne soyons pas éblouis. Seul Moïse pouvait le voir, d’où les rayons de lumière qui sortaient de son visage ; il fallait s’en protéger par un voile. La chair meurtrie est depuis Mt 25 le voile qui nous garde de manipuler le divin.
Il y a la lumière « des cafés tapeurs aux lustres éclatants ». Elle agit sur nous comme sur un insecte. Attirés, nous nous y brûlons. La lumière du lampadaire n’est pas de ce type. On ne la voit pas parce qu’elle rend le reste visible, elle n’attire pas le regard mais fait voir. Pourtant nous aimons approcher ceux qui brillent ; les dévots et courtisans, que le bling-bling de quelque gourou appâte, finissent comme Icare, chute vertigineuse. On tombe de haut. Une star n’est pas une étoile, une star n’est pas la lumière, surtout dans l’évangile.
Voilà deux types de lumière à ne pas mettre sur le lampadaire et que nous ne saurions être. L’évangile et Dieu ne sont pas lumière pour qu’on les regarde, les voie, mais pour éclairer. Evangéliser n’est pas annoncer l’évangile, c’est faire en sorte que la vie des peuples et de chacun viennent à la lumière. C’est courant de confondre mission ou évangélisation avec annonce de l’évangile. Cela n’a rien à voir !
Regardez Jésus. Il est l’évangile du Père. Il passe son temps à empêcher qu’on le regarde, lui. Il interdit, contre tout réalisme, que l’on fasse connaître les actes de salut qu’il opère, ordonne que l’on ne dise rien à personne. Son regard est pour les autres, nous tourne vers eux, surtout ceux qui semblent perdus, malades, moribonds, exclus, pécheurs, étrangers, etc. Il agit en tout point comme le Dieu de Moïse qui a vu la misère de son peuple.
L’évangélisation, comme lumière sur le lampadaire, d’abord, sort le mal de l’obscurité où il se tapit. Le mal éclairé est un mal dénoncé, déjà, est un mal combattu. Si les missionnaires se prennent pour des éclaireurs de lumière dans le monde, qu’ils se méfient. Ce ne sont pas seulement leur péché qui est mis en lumière, mais leur utilisation de la lumière comme péché, comme perversion. L’Eglise est plus que mal placée en ce moment pour parler. Qu’elle se taise ! Certains veulent voir dans l’effervescence des communautés nouvelles et la nouvelle évangélisation un fruit de l’Esprit, une revanche sur l’enfouissement d’un catholicisme jugé attiédi, voire se confondant avec l’humanitaire. En se mettant en scène, beaucoup ont dissimulé leurs forfaits. Ils ont brûlé des frères et sœurs comme des insectes, ils ont accusé les autres comme des projecteurs justiciers. Cinquante ans plus tard, la lumière se révèle avoir été détournée. « Quand vous verrez des chrétiens qui font du prosélytisme “viens, viens”, non, ce ne sont pas des chrétiens, ce sont des gens déguisés en chrétiens. »
La seule manière d’éclairer le monde est de relever l’humanité. C’est la charité, la lumière, pas le catéchisme, ni le dogme, ni la prédication, ni l’annonce. La première lecture (Is 58, 7-10) le dit par deux fois expressément. « Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore. […] Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. »
S’il y a besoin de parler de Jésus, c’est parce que nos vies n’en sont que d’insignifiantes répliques, et encore, c’est parce qu’elles ne parlent pas de lui. La seule manière d’annoncer l’évangile aujourd’hui, c’est la conversion et la charité, la conversion à la charité.
« La dernière chose à faire [pour que quelqu’un se convertisse, même un ami] est de dire quelque chose ! Tu vis l’évangile, et s’il te demande pourquoi tu agis comme cela, alors tu lui expliques et tu laisses l’Esprit Saint l’activer. » L’évangile changera le monde, sera lumière qui éclaire ou sel qui conserve la santé des aliments, que parce que la charité des disciples interrogera et relèvera. Puissions-nous être connus comme des gens solidaires, bons, démesurément bons, à l’image du Maître. Quand nous serons connus ainsi, il sera temps de faire des discours sur Dieu.
Faux que le Christ interdise qu'on le regarde. Et Marie -Madeleine ne le regarde- elle - pas des yeux brûlants d'amour , arrosant ses pieds de larmes. Et la Samaritaine ne le regarde -t--elle pas dans les yeux, en face cet homme qui lui révèle un autre monde, celui de l'éternité, et tel écrivain n'est -il pas hanté par son regard brûlant?
RépondreSupprimerPar ailleurs j'aimerais que l'auteur de ce post engagé ait la bonté de le signer. J'ignore si l'action sociale remplace le regard. Le Christ ne passe-t-il pas son temps à nous regarder hier comme aujourd'hui et nous à répondre à son regard. Quant à savoir si nos mérites ( sociaux) font rentrer les autres dans ce regard, n'est-ce pas rentrer dans un domaine non quantifiable ( secret? ) ? Le Christ est incarné, ce n'est pas éthique, heureusement que des artistes l'ont représenté annoncé, et des saints aussi.
Ce 4 février, j'ai l'impression que votre remarque sur FB, Henri, a disparu. Vous vous y plaigniez de ce que je n'avais pas publié sur ce blog votre commentaire. Ce n'était pas le cas.
SupprimerPlutôt que de pratiquer ce que vous dénonciez (la suppression de l'avis de l'autre), vous auriez pu, plus simplement, reconnaître que vous aviez mal vu, ou mal lu.
Les lecteurs jugeront de la pertinence du commentaire précédent. Celui-ci, à la différence des autres, ne comprend pas d'insulte. C'est ce qui fait que je le publie.
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerVotre article est tout à fait représentatif d'une dérive et d'une mutilation du christianisme.
RépondreSupprimerLe prétendu christianisme d'ouverture qui ne veut pas mettre la lumière en avant et qui a refusé l'enseignement des encycliques de Jean Paul II se caractérise par un abandon résolu d'une part majeure de l'enseignement évangélique. Il abandonne aussi avec une dureté de coeur sans pareille les victimes des "structures de péché" que Jean Paul II dénonçait.
Ce christianisme qui se dit d'ouverture ne peut pas non plus se dédouaner facilement de ses responsabilités dans les dérives ecclésiales inverses. Son activisme prosaïque et ses dogmes inversés mais obligatoires (pas de passé, pas de latin, pas de péché, pas de critique des dérives du monde) ont produit aussi leurs inverses avec des dérives fidéistes, entièrement tournées vers la quête forcée des signes "surnaturels", avec aussi un refus symétrique de la morale commune et biblique.
Et prétendre vouloir "dénoncer le mal" uniquement chez certains est uniquement dans certains cas alors qu'on l'approuve ouvertement par ailleurs n'est pas non plus défendable.
Je n'avais pas d'abord inclus la première lecture dans mon texte. Au moment de corriger, voilà le commentaire, anonyme bien sûr, que je reçois, et publie parce que, pour une fois, il n'est pas injurieux et formellement du moins, ne manque pas à la charité.
SupprimerOn jugera de la pertinence de ce commentaire et de sa compatibilité avec cette première lecture.