Qu'est-ce qu'on fait à la messe ? (6ème dimanche du temps)
Il semble parfois nécessaire de redire le sens de ce que
nous célébrons quitte à laisser les textes sans commentaires. Nous sommes
tellement convaincus que nous sommes ici pour un acte cultuel, nous sommes
tellement invités à penser par les paroles liturgiques que nous assistons à un
sacrifice, un acte religieux d’allégeance à la divinité, qu’il y a méprise.
L’eucharistie est la fin de tout culte. Nous n’avons rien à offrir,
pas le moindre sacrifice. C’est Dieu qui, encore et toujours, se donne, et nous
tendons la main comme des mendiants. L’assemblée n’offre aucune offrande par
les mains d’un prêtre, fonctionnaire sacré. Elle ne préexiste pas au
rassemblement. C’est ce qu’elle fait qui la constitue. Il n’y a pas
d’intermédiaire entre cette assemblée et Dieu, si ce n’est Jésus. La célébration
est la participation effective de l’assemblée, qui, tendue vers Dieu pour
recevoir la vie, répond à l’amour de Dieu, premier ; qui, répondant à cet
amour participe à la résurrection, vie donnée et reçue. C’est ainsi que Dieu est
glorifié puisque « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant. »
Nous ne chantons pas la gloire de Dieu par tel cantique. « Nos
chants n’ajoutent rien à ce qu’[il] est. » « [Il] n’a pas besoin de
notre louange. » Mais, en étant vivants, en étant rendus à la vie par le
fait de recevoir ce qu’il s’apprête sans cesse à nous donner ‑ lui-même ‑,
nous le glorifions. Louer Dieu se fait seulement ainsi, en lui permettant, si
j’ose dire, de se donner, en lui permettant, si j’ose dire, d’être Dieu, d’être
lui-même. Des enfants qui vivent, grandissent et s’épanouissent sont la fierté,
la gloire de leurs parents. Venir puiser la vie au don de Dieu, c’est permettre
à Dieu d’être créateur. Et c’est ce que nous faisons dans notre
assemblée : nous venons puiser la vie et c’est joie dans le ciel.
De même que la prière demande à Dieu d’envoyer son Esprit sur le
pain et le vin pour qu’ils soient corps et sang du Christ, de même, la prière
demande que l’Esprit vienne sur l’assemblée pour qu’elle soit corps du Christ.
En partageant un même pain sur lequel l’Esprit a été invoqué en mémoire de la
mort et de la résurrection de Jésus, l’assemblée devient un seul corps. Elle n’observe
pas de l’extérieure l’action eucharistique en vue de recevoir une hostie ;
elle est, comme le pain, transformée en corps du Christ. Sa participation
effective est mission, puisque c’est pour que le monde ait la vie que nous
sommes assemblée.
Quelle est la table où Dieu se donne, où il se fait
nourriture ? Il n’y en a qu’une. C’est celle de sa parole. Pour que nous
puissions manger la parole, cette parole est pain. Le pain eucharistié, c’est
la parole de Dieu pour que nous puissions la manger.
On comprend qu’il faille prendre autant de soin à l’écoute et la
mise en pratique de la parole qu’au pain consacré. Certains voudraient qu’il ne
tombe pas une miette de l’hostie. C’est juste souci. Qu’on ait alors un
scrupule aussi rigoureux à ne rien perdre de la parole, c’est-à-dire à en
vivre, c’est-à-dire à la mettre en pratique, jour après jour, minute après
minute. Nous ne sommes pas au culte ici, une heure par semaine : toute
notre vie est engagée.
De même que nous partageons le pain, nous devons aussi partager la
parole. Bien sûr, ceux qui sont compétents sont chargés d’ouvrir les textes.
Ils devraient prendre cela très au sérieux. Cela demande non seulement la
préparation immédiate, mais aussi ce qui rend possible l’ouverture des
Ecritures, la charité d’abord, ensuite les lectures, la compréhension du monde
et de l’humanité. Mais chacun, surtout dans un groupe à dimension adéquate, est
invité à s’engager dans la lecture. Non pour dire son avis, mais pour préparer
aussi le pain pour les autres. La parole partagée, on l’apprend à Emmaüs, donne
figure à celui qui s’efface.
Les païens, comme dit l’évangile, ‑ les gens religieux mais
pas du tout évangélisés faudrait-il traduire ‑ assistent au culte pour
remplir une obligation envers Dieu et se convaincre qu’ils font tout bien. L’évangile
déconstruit ce type de convictions, parfois avec violence. Jésus ne prie jamais
à la synagogue ni au temple. Ici il guérit, commente les Ecritures et tempête. Là
il enseigne, dénonce, encourage. C’est ailleurs qu’il prie.
A l’eucharistie, comme lors de la Pâque de Jésus, nous sommes
autour d’une table ou au bord du lac ; on se rencontre, on se parle. Un
geste domestique, un geste dont la banalité incroyable ‑ rompre du pain
avec des compagnons – est l’expression d’une vie que l’on n’a jamais fini de
recevoir, de mendier. Résurrection ! Qui l’eût cru ? Qui le
croit ?
Vous qui avez coutume de participer aux divins mystères, vous savez
de quelle manière, après avoir reçu le corps du Seigneur, vous le gardez en
toute précaution et vénération, de peur qu’il n’en tombe une parcelle, de peur
qu’une part de l’offrande consacrée ne se perde. Vous vous croiriez coupables,
et avec raison, si par votre négligence quelque chose s’en perdait. Si vous
prenez tant de précautions pour conserver son corps ‑ et vous faites
bien ‑, comment croire que c’est un moindre crime de négliger la parole de
Dieu que de négliger son corps ? Origène, Homélies sur l’Exode XIII, 3 (SC 321)
Patrick Royannais is always a pleasure to read. But this week he outdid himself. Here's my translation/paraphrase, Jean-François Garneau.
What do we do at Mass? (6th Sunday of time)
It sometimes seems necessary to restate the meaning of what we are celebrating, when we go to mass, even if this means leaving the liturgical texts of the week uncommented upon in the homily. We are so convinced that we are here for an act of worship, the liturgical words used induce us so much to think that we are attending a sacrifice, that we are there to perform a religious act of allegiance to a divinity, that we end up understanding everything about mass the wrong way.
If the Eucharist [the Thanksgiving] is the end of our worship, this means we don’t go to mass to offer anything, not the slightest sacrifice. It is God who, time and again, gives Himself, and we stretch out our hands to Him like beggars. The assembly at mass offers no offering through the hands of the priest, as if the latter was some sort of religious equivalent of a civil servant. The assembly does not even pre-exist to its act of gathering. It's what she does (to gather herself together) that makes her “an assembly”. And there is no intermediary between this assembly and God, except Jesus. The celebration [the act of celebrating] “is” the effective participation of the assembly. Gathering with one another in a celebrating mode is the way the assembly reaches out to God to receive life from Him, and is the way it responds to the love of God towards her and all mankind –God making the first step here as in all things. Through the act of celebrating, the assembly not only responds to this love, but participates through it in the resurrection, that is life given and thus received. This is how God is glorified since “the glory of God is nothing else than the living man”.
We don't sing the glory of God by singing this or that song. “Our songs add nothing to who [he] is. “[He] doesn’t need our praise. But, by being alive, by being made alive by the fact of receiving what he is always about to give us – that is: Himself – we glorify Him. Praising God is only done in this way, by allowing Him, if I dare say, to give Himself to us; by allowing Him, if I dare say, to be God for us, to be Himself for us. Children who live, grow and flourish “are” the pride and the glory of their parents [not the songs that they sing to their parents, or the drawings that they offer them as a gift –none of that give them pride and glory per se, only their children, and their children happy, give them true pride and true glory]. To come and draw life from the gift of God is to allow God to be the creator that He is. And that is what we do in our assembly: we come to draw life from Him, and this is what makes the heavens happy, over glowing with pride and glory.
Just as prayer asks God to send his Spirit upon the bread and wine so that they may be the body and blood of Christ, so does the prayer ask as well that this same Spirit come upon the entire assembly so that it to become the body of Christ. By sharing the same bread on which the Spirit has been invoked in memory of the death and resurrection of Jesus, the assembly becomes in its turn one body. The assembly does not observe the Eucharistic action from the outside with a view to receiving it as a host; it is there, like the bread, to be transformed into the body of Christ. Its effective participation to the mass is its mission, since it is for the world to have the sort of life that we are given through mass that we are assembled.
And how shall we name the table where God gives himself, where He becomes food? There is only one. It is that of his Word. It is so that we can eat it, His Word, that this word is made bread. The Eucharist bread [literally: the bread for which we give thanks] is the Word of God so transformed that we can not merely hear it but eat it as well.
We understand that it is necessary to take as much care in listening to and putting the word into practice as in consecrated bread. Some would like not a crumb to fall from the host. It's just worry. That we then have such a rigorous scruple not to lose anything of speech, that is to say to live from it, that is to say to put it into practice, day after day, minute after minute. We are not in worship here, one hour a week: our whole life is involved.
Just as we share the bread, we must also share the word. Of course, those who are competent are responsible for opening the texts. They should take this very seriously. This requires not only immediate preparation, but also what makes possible the opening of the Scriptures, charity first, then the readings, the understanding of the world and of humanity. But everyone, especially in a group of adequate size, is invited to engage in reading. Not so much to develop and express an opinion about what is read, but to prepare bread for others through this reading. The sharing of words, we learned this at Emmaus, gives a figure to the evanescent one, the one who always makes room for us all to exist.
The pagans, to use the expression that the gospel usess, ‑-but an expression we should translate as “the people who are religious but not at all evangelized’‑ attend worship to fulfill an obligation to God and to convince themselves that they are doing everything right. The gospel deconstructs this type of understanding of religion, sometimes with violence. Jesus never prays in the synagogue or in the temple. When he is in such a place, he heals, he comments on the Scriptures and even vents at how poorly people understand them. He teaches, denounces and encourages. It’s always elsewhere than in a synagogue or the Temple that Christ prays.
At the Eucharist, as during Jesus’ Last Supper, we sit (so to speak) around a dinner table or at a meal gathering on a beach by the Sea of Gallilee. There we meet and we talk. The whole affair smacks of domesticity, not of pumps and circumstances, a gesture whose incredible banality – breaking bread with companions – is the expression of a life that one has never finished receiving, or of begging for. Resurrection! Who would've believed that ? Who believes it?
*****
“You”, says Origen, “who are accustomed to participate in the divine mysteries, you know in what way, after having received the body of the Lord, you keep it with all precaution and veneration, lest a particle of it fall, lest a part of the consecrated offering be lost. You would think yourself guilty, and with good reason, if through your negligence something was lost. If you take so many precautions to preserve his body – and you do well to do so – how can one believe that it is a lesser crime to neglect the word of God than to neglect his body? ----- Origen, Homilies on Exodus XIII, 3 (SC 321)
"J’étais allé, mendiant de porte en porte, sur le chemin du village lorsque ton chariot d’or apparut au loin pareil à un rêve splendide et j’admirais quel était ce Roi de tous les rois ! Mes espoirs s’exaltèrent et je pensais : c’en est fini des mauvais jours, et déjà je me tenais prêt dans l’attente d’aumônes spontanées et de richesses éparpillées partout dans la poussière.
Le chariot s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire. Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue. Soudain, alors, tu tendis ta main droite et dis : « Qu’as-tu à me donner ? » Ah ! quel jeu royal était-ce là de tendre la main au mendiant pour mendier ! J’étais confus et demeurai perplexe ; enfin, de ma besace, je tirai lentement un tout petit grain de blé et te le donnai. Mais combien fut grande ma surprise lorsque, à la fin du jour, vidant à terre mon sac, je trouvai un tout petit grain d’or parmi le tas de pauvres grains. Je pleurai amèrement alors et pensai : « Que n’ai-je eu le cœur de te donner mon tout ! » Rabindranath Tagore:L’offrande
Heureusement que même quand on ne donne rien, il se donne !
On parle parfois de deux tables, celle de la parole et celle de l'eucharistie. Le dernier Concile n'est pas toujours clair, mais parle aussi de LA table, qui est celle de la parole et du pain. Cette théologie me semble meilleure.
Ton homélie me rappelle ce poème de Tagore :
RépondreSupprimer"J’étais allé, mendiant de porte en porte, sur le chemin du village lorsque ton chariot d’or apparut au loin pareil à un rêve splendide et j’admirais quel était ce Roi de tous les rois !
Mes espoirs s’exaltèrent et je pensais : c’en est fini des mauvais jours, et déjà je me tenais prêt dans l’attente d’aumônes spontanées et de richesses éparpillées partout dans la poussière.
Le chariot s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire. Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue. Soudain, alors, tu tendis ta main droite et dis : « Qu’as-tu à me donner ? »
Ah ! quel jeu royal était-ce là de tendre la main au mendiant pour mendier ! J’étais confus et demeurai perplexe ; enfin, de ma besace, je tirai lentement un tout petit grain de blé et te le donnai.
Mais combien fut grande ma surprise lorsque, à la fin du jour, vidant à terre mon sac, je trouvai un tout petit grain d’or parmi le tas de pauvres grains. Je pleurai amèrement alors et pensai : « Que n’ai-je eu le cœur de te donner mon tout ! »
Rabindranath Tagore:L’offrande
Heureusement que même quand on ne donne rien, il se donne !
RépondreSupprimerOn parle parfois de deux tables, celle de la parole et celle de l'eucharistie. Le dernier Concile n'est pas toujours clair, mais parle aussi de LA table, qui est celle de la parole et du pain. Cette théologie me semble meilleure.