D’abord la cendre. La flamme en jaillira, à Pâques.
D’abord la cendre, nos existences au goût de terre ; nous ne parvenons que si peu à la vie en abondance. Vivre à profusion, dans une profusion de joie, ensemble, c’est la flamme de Pâques. Elle n’est pas pour tout de suite.
D’abord la cendre. Pas de feu. Mal et mort, péché aussi. La première lecture, transforme l’interrogation de la Genèse en réponse péremptoire, doctrine qui fige quand il s’agit de marcher, quête de vie, enquête de vie. Au commencement, je sais, Dieu, et donc le bien. Mais pour chacun, dans l’histoire, au commencement, le mal, la cendre.
D’abord la cendre. Le feu éteint, jamais allumé peut-être. Des enfances massacrées ; violence des pères, violence des guerres, injustice de la maladie ou de haine, de l’accaparement des richesses, autrui piétiné. On subit et n’y peut rien. On méprise aussi et nie pouvoir beaucoup. Feu qui peine à prendre et charbonne, vies qui refusent de se hisser à l’incandescence. C’est trop beau, se consumer dans le don, alors on se repait, modestement, de posséder. Horreur. Conserver même le rien, prendre et voler. Les autres sont à nous. Nous et nos droits.
D’abord la cendre. Il est bien de manières d’assaisonner la cendre et feindre un festin. On se fait un régal de cendres, pour se punir ou se convaincre de l’inanité. Misérabilisme, misère portée au carré. Dolorisme, cercle vicieux du désamour, des autres, de soi, spirale de la déprime.
D’abord la cendre, comment ne pas voir que nous en sommes marqués ? Poussière et cendre, terre et cendre, jusque sur la tête. Ce n’est pas le signe d’une pénitence ni d’une volonté de pénitence, mais l’humble reconnaissance de ce que nous sommes, avons subi, avons voulu, avons construit, de travers. La mort aussi nous habite.
Dégoût de la mort, enfin pourrait commencer à germer la nécessité d’en sortir, enfin l’urgence de la flamme. Ce n’est pas pour aujourd’hui. Ce n’est pas pour demain non plus ! Parce que ces quarante jours ne s’étirent pas dans le temps mais à chaque instant, mort et vie se mêlent. Pâques, mais pas sans la cendre, c’est aujourd’hui, puisque nous sommes vivants puisque la fraction du pain nous rassemble, puisque tant de frères et sœurs nous relèvent, puisque du fond de notre indigence, nous avons tenu la main à qui nous paraissait plus affligé encore, et cette main… c’était la sienne.
Flamme et lumière, lumière et chaleur, jusque sur la tête, depuis le cœur. Carême ! Déjouer les tentations de l’ombre, y compris celle de la lumière ‑ il est des flammes qui détruisent tout, ravageuses. Accueillir ce qui se donne, ce qui fait vivre, souffle ténu de brise légère qui panse nos plaies, réveille et relève, adoucit les maux, onction de joie.
La vie spirituelle c’est toute notre vie, y compris la cendre, dans l’ouverture au souffle-Esprit. Il conduit Jésus au désert, et nous y accompagne.
Chacun fera comme il voudra, petits gestes ‑ B.A. peut-être infantile, la charité au risque de l’hypocrisie et de la bonne conscience ‑, privations pour apprendre à espérer autre chose que la cendre, refus de faire quoi que ce soit parce qu’il n’y a rien à faire, sinon apprendre à vivre dans le souffle de brise légère. Surtout, que la vie tout entière s’expose à être fécondée : le seul effort qui vaille n’est-il pas celui-là ? De la cendre jaillit le feu ; résurrection.
La vie de disciple nous attend, c’est notre tâche, non dans quarante jours, mais maintenant. Ce n’est pas pour un carême qui n’existait pas que Paul a écrit, « voici le temps favorable, voici le jour du salut », c’est pour la vie des disciples. Non des gammes pour être un virtuose de la vie spirituelle, mais se faire tâcheron cendré, cinéraire, qui s’étonne, s’émerveille de voir la flamme le prendre.
Il fallait bien à Jésus quarante jours ‑ une vie ‑ pour déjouer les pièges de la vie spirituelle. Ne pas rejeter la cendre mais l’exposer pour qu’y prenne le feu. Ne pas conserver la cendre, s’y complaire et éteindre le feu. Ne pas chercher la flamme qui éblouit et dévore tout. Ne pas éteindre la flamme ; déjà elle couve sous la cendre. Il nous faudra toute une vie.
La vie, ordinaire surtout. La vie, telle qu’elle est, rien d’autre.
La vie, cette vie, si souvent hideuse. Cette vie, en prendre soin à la chérir
pour la rendre à sa beauté. Résurrection.
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