17/02/2023

« Le salut, c'est l'amour » (7ème dimanche du temps)

« Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis » (Mt 5, 35-48). Mon homélie il y a quinze jours a provoqué des réactions. Je recevais en outre ces lignes : « La charité n’est pas le tout ou le centre ou l’originalité de la foi catholique ! "Aimer son prochain comme soi-même" c’était radicalement nouveau au 1er siècle, aujourd’hui ce commandement central de notre foi est devenu une évidence pour tout notre Occident séculier postchrétien (sans que ce soit questionné). On a tous déjà entendu un ami "athée" nous dire : "je n’ai pas besoin de croire en un dieu pour agir moralement". L’originalité de la foi chrétienne aujourd’hui, et ce qui permet d’exercer la charité en vérité, c’est son contenu. »

Il ne m’intéresse pas de relever point par point ce qui ne va pas dans ces propos. Je ne suis pas certain que je puisse signer une seule des phrases, ni leur enchaînement. Mais je veux prendre au sérieux mon interlocuteur, d’autant que la suite de l’échange m’a impressionné.

La charité ne serait pas la spécificité chrétienne. Si l’on parle de personnes qui vivent l’amour du prochain, c’est certain ; il y a des non-chrétiens qui vivent la charité. Il y a des chrétiens qui ne la vivent pas. Un sociologue pourra en tirer la conclusion que l’on ne peut pas dire que la charité soit le tout, le centre ou la spécificité de la foi. Mais en théologien, et tout chrétien est bien obligé de faire un peu de théologie, quoiqu’il en pense ‑ il articule ce qu’il comprend du Dieu de Jésus ‑ nous ne pouvons tenir cette thèse. Non que nous contestions le constat du sociologue, mais que nous interrogeons et nous et nos frères dans la foi. Comment pouvons-nous ne pas être connus comme ceux de la charité ? Pouvons-nous supporter de n’être pas connus ainsi, d’être connus sans que de charité il s’agisse ?

Que nous soyons à côté de la plaque en matière de charité, chacun de nous, c’est sans doute vrai, mais c’est une catastrophe et non pas la preuve que la charité devrait être relativisée par rapport à la rectitude de la confession de foi, par rapport au contenu de la foi.

Les pages d’évangile que l’on pourrait citer sont nombreuses. Toutes, tant Jésus est dit comme celui qui « passait en faisant le bien, » tant il est toujours montré ainsi, tant les Ecritures du Second Testament mettent l’amour en leur centre, toujours, et encore l’évangile d’aujourd’hui : « Aimez vos ennemis ». La parabole de Matthieu 25 ne dit-elle pas ce que constatent le sociologue et mon interlocuteur ? Pas pour relativiser la charité, mais pour tout relativiser jusqu’à la connaissance de Jésus, par rapport à la pratique de la charité.

Ce dimanche, ce sont des rencontres, par internet et lecture interposés, qui m’ont fourni la matière de la réflexion que je vous propose. J’ai découvert ces propos de Joseph Moingt, au soir de sa vie : « Je voudrais encore creuser, ramener le salut à l’amour fraternel des hommes les uns pour les autres. Je voudrais aller au plus universel, comme Jésus y est allé par sa mort ! Si j’ai le loisir d’écrire encore, ce sera pour montrer que l’amour et le salut sont identiques. Le salut, c’est l'amour. L’amour, c’est le salut. »

Les mots de la foi, le nom même de Jésus ‑ salut, Dieu sauve ‑ ramenés à plus universel, au plus universel, l’amour. « Pour moi, écrit ailleurs J. Moingt, le salut ne vient pas de la religion ; même dans l’Église catholique, il n’est pas lié à la religion, mais à la charité. » Cette « déreligiosation » du salut en amour, mot que l’on dit tellement galvaudé, fait penser que l’on perd le spécifique de la foi. Au contraire ! Si nous mettions en pratique la charité, le monde aurait une autre forme. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe quand nous le faisons un peu. Cela remet debout, et les autres, et nous. « L’amour et le salut sont identiques. »

Je suis aussi tombé sur un propos de Denys Arcand, cinéaste canadien, dans un échange avec un théologien. « Je vais être plus chrétien que vous, [le salut], c’est la charité, ultimement, l’amitié, c’est la charité. C’est le partage de quelque chose avec quelqu’un d’autre, fût-ce presque rien. »

« Le salut c’est la charité et la charité, c’est le salut. » N’avons-nous pas tout dit, et de Jésus et de Dieu ? « Dieu est amour. » « Nous avons connu l’amour et nous y avons cru. »

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