01/12/2023

« C’est le moment de sortir de votre sommeil » (1er dimanche de l'avent)

J. De Ribera, Saint Jérôme et l'ange du jugement (détail) 1626

« Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. » (Mc 13, 33-37) Le moment de quoi ? Le texte de ne le dit pas. Il faut être éveillé pour ne pas rater le moment. Voilà une consigne claire. Mais on ne dit pas de quel moment il s’agit, de sorte que la clarté ne fait pas sens, qu’il n’y a plus aucune clarté.

Je me rappelle, de suite après la chute du Mur, à Dresde. Nous avions loué une chambre d’hôte. Un immense immeuble, des couloirs sans fins, des dizaines de portes toutes identiques, sans rien pour les distinguer, pas plus que les allées ou les ascenseurs, si ce n’est un numéro qui ne correspondait jamais à ce qui était inscrit sur notre réservation. Enfin, nous tombons sur un plan. La forme du bâtiment est reproduite, chaque bloque avec une couleur, et une légende. A chaque couleur était attribuée une lettre. Le plan était fort clair, mais ne disait rien, comme la consigne évangélique. Comme quelque chose de kafkaïen.

Quel est le moment que nous ne savons pas ? Faudrait-il le savoir, alors que l’on ne nous en dit rien ? Ne nous en dit-on rien parce que c’est évident ? Ou bien, ignorer de quoi c’est moment serait-il, comme c’est dit, la raison pour laquelle il faudrait veiller ? Ou bien, est-ce maintenant LE moment ? Nous ne veillons pas parce que quelque chose serait sur le point d’arriver, mais parce que chaque instant est le moment, parce qu’il faut vivre chaque instant comme LE moment. Vivre, c’est veiller, être éveillé, ne pas s’assoupir, vivre endormi. Vivre est éveil. « Vous le savez, c’est le moment, l’heure est déjà venue de sortir de votre sommeil. » (Rm 13, 11)

Nous n’attendons pas le retour du Christ, du moins je ne crois pas que ce soit le sens de ces versets. Nous n’attendons pas la fin du monde ou la fin de notre vie. Nous n’attendons rien. La veille n’est pas attente mais éveil. Comment chaque rencontre, chaque action est le moment de cette rencontre, de cette action. Comment donner tout son poids d’humanité à cette rencontre, à cette action, comment ne pas vivre en dilettante mais en prodigue, qui brûle tout à chaque instant, quitte à se retrouver sans rien, agotado, sans une goûte, essoré peut-être. On ne fait pas de réserves pour demain ; la manne, le pain de vie, ne se conserve pas.

Jésus est l’homme des rencontres ajustées, il tombe toujours au bon moment, parce que pour lui, chaque instant est le moment favorable, jour de salut, temps de la rencontre, décisive, unique, ultime. Il a vécu éveillé, style de vie, attentif pour ne pas rater le moment, la personne, le moment de cette rencontre, le moment de cette personne. Alors, on disait de lui qu’il passait en faisant le bien.

Ce n’est pas qu’il importe que ce soit ce que l’on dise de nous, mais que ce soit effectivement ce qui advienne, à chaque moment, la floraison du bien ou sa prodigalité, sa discrétion lorsque le mal empêche quasi de le dire, de le faire, et cependant disposition à répandre un baume.

Lorsque pour le frère, la sœur, ce n’est pas le moment ‑ ce n’est vraiment pas le moment ; lorsqu’il s’agit d’être pour lui, pour elle, au bon moment ; lorsqu’ensemble on peut jouir du moment : « C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut ». (2 Co 6, 2) Lorsque Paul écrit aux Corinthiens, Jésus est mort et ressuscité ; le maintenant du moment dure depuis plus de vingt ans et encore jusqu’à aujourd’hui.

Je disais : nous n’attendons pas le retour du Christ, nous n’attendons pas la fin du monde ou la fin de notre vie. Je suis allé un peu vite en besogne. Tout cela n’est pas pour demain, ni après-demain. Le moment favorable, c’est maintenant. Le retour du Christ, c’est le moment de chaque instant. Il n’y a rien à attendre parce que c’est maintenant. D’où l’exigence de la veille, parce que cela ne saute pas aux yeux, parce qu’il s’agit de voir, de vivre le moment. Il n’y a rien à attendre si l’on rate le moment qu’est l’instant.

Préparer demain, vivre pour après la mort pourrait bien être une façon d’être endormi ou de faire bombance sans se soucier de ce que le maître pourrait revenir à l‘instant. Opium du peuple qui empêche la veille, saouleries et violences d’une bringue coupable alors que le monde est en feu, l’un et les autres nient l’incarnation, le monde des humains comme lieu de Dieu, Dieu comme Emmanuel.

1 commentaire:

  1. On ne se souvient plus, et c'est dommage, de Gabriel Marcel, le philosophe de l'éveil. Un sage...à méditer

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