30/07/2024

Relecture de la cerémonie d'ouverture des JO Paris 2024


Mgr Wintzer sur la cérémonie d’ouverture des JO : « L’art doit-il véhiculer des messages ? »
La vasque olympique au-dessus du jardin des Tuileries, le 27 juillet, à Paris. ADNAN FARZAT / NurPhoto/ AFP / La Croix

Enfin Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, prend la parole dans le pugilat épiscopal à propos de la cérémonie d’ouverture des JO. Je constate qu’il botte en touche et parle de la cérémonie entière et non de ce qui aurait été un blasphème, évidemment. Seuls les naïfs ne le verraient pas…

Le point de départ de sa réflexion, je le trouve très pertinent. Le discours artistique était un anti-Puy-du-fou. Disons qu’il s’agit au moins d’une anti-histoire par rapport à celle du Puy, ou plutôt, qu’il s’agit de l’histoire, et non d’une manipulation comme au Puy. Ce que peut l’histoire était le titre de la leçon inaugurale au Collège de France de Patrick Boucheron, qui a collaboré à l’écriture de la cérémonie. Samedi soir, ce que peut l’histoire c’est intégrer au récit national les descendants de ceux que les Français, chrétiens, des siècles passés, avaient réduits en esclavage ou avaient colonisés. Ce que peut l’histoire, plus que de les intégrer, c’est écrire avec eux le récit pour aujourd’hui, c’est aider à réparer en écrivant un récit pluriel, avec les vaincus et pas seulement du point de vue des vainqueurs, qui sont les meilleurs, les plus civilisés, cela va sans dire.

Réconcilier tous ces gens, vainqueurs et vaincus, (et les personnes issues de l’immigration ne sont encore pas tellement parmi les vainqueurs !) alors que la séquence des élections que nous venons de vivre a montré un défoulement raciste, que je n’ai guère entendu les évêques dénoncer. (Les prêtres africains constituent un tiers du clergé en France, désormais. Ils vivent le racisme, même dans l’Eglise, mais ça, on n’en parle pas.) Eh bien si, on veut faire l’histoire avec eux, les migrants. La migration, c’est constant depuis que la France est France, et même avant. C’est violent souvent. Aujourd’hui, la violence s’exerce plus contre les migrants que par eux. Faut-il parler d’invasion barbare ? Ou bien de mouvements de population ? Ou de migrations économiques ? Ce sont les barbares principalement qui ont transmis la culture antique pendant des siècles, au moins jusqu’à la Renaissance. Il faut écrire une autre histoire que celle du Puy.

La Vision Des Vaincus - Les Indiens Du Pérou Devant La Conquête Espagnole 1530-1570   de Wachtel Nathan  Format Poche
Nathan Wachtel, La vision des vaincus, 1971

Partant de cette écriture de l’histoire, idéologique, comme toute, mais sachant pourquoi elle vaut plus que les autres ­‑ elle intègre tout le monde, perdants et gagnants ‑ je me risque à une relecture de la cérémonie d’ouverture. Cela devient vraiment intéressant, je trouve. Il faudrait illustrer, comme la cérémonie elle-même, chaque réflexion de plusieurs images, artistiques ou non.

 

 

Il s’agit donc d’écrire et de donner à voir l’histoire de la France, ou une partie de celle-ci. Elle commence, scéniquement, samedi soir, avec deux maghrébins et se termine avec deux blacks. Elle commence par un calembour « Zizou Christ », que je ne trouve pas du meilleur goût et se termine par « Dieu réunit ceux qui s’aiment ».

La référence chrétienne encadre le discours. Une France qui n’est pas celle de nos ancêtres les Gaulois, qui n’étaient pas chrétiens, (et la 3ème République a choisi les Gaulois pour ne pas parler de chrétiens romains !) mais celle issue des colonies et de l’immigration. Une forme d’universalisme, qui n’a rien de franco-centré, ni même centré sur la multiplicité culturelle française ‑ qui existe un peu tout de même ‑ puisqu’elle convie pas mal d’artistes du monde entier. A mon goût, on a trop peu vu et entendu par exemple la prestation de Jakub, Jozef Orlinski. (Il y a un article du Monde qui dit ce qu’on n’a pas vu.) Du Rameau, la culture classique française. (Notons, c’est avant la Révolution, les auteurs n’ont pas fait commencer La France en 1789) Mieux encore. Les Indes Galantes, un XVIIIe certain de sa supériorité et cependant passionné par l’étranger, Turquie, Indes, et autres « sauvages ». C’est contemporain de Montesquieu et cela pose la question de savoir qui sont les sauvages, cruels, injustes, destructeurs. C'est à Montaigne qu'il faut remonter : « Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. » (Essais I, 31, "Des cannibales") L'histoire de France, vous dis-je. Viens Hymen est un hymne à l’amour, qui irait bien dans le sens de la Manif pour tous, l’intangible de l’amour voulu par Dieu : « Dans ces tendres instants où ma flamme t'implore, / L'amour même n'est pas plus aimable que toi. » C’est assez peu chrétien, terriblement païen, mais tellement ce que pensent tous ceux qui s’aiment !

Avant d’être la France donneuse de leçon, c’est la France heureuse d’être plurielle, heureusement plurielle, qui a rompu avec les colonies, qui va chercher ailleurs les talents, comme elle ne cesse de le faire. Le directeur du Festival d’Avignon est désormais un Portugais, par exemple. Une France qui à travers sa joie de la différence fait briller la beauté de se connaître différents et unis.

Il faudrait, poursuit Pascal Wintzer que l’art ne soit pas idéologique, qu’il ne délivre pas de message, ou alors seulement celui que l’on choisit d’aller voir en payant sa place, pas celui, gratuit, ouvert à tous. Cela deviendrait de la propagande. Là, les bras m’en tombent. Un art pour l’art, c’est plus que rare dans l’histoire. Le Tartuffe de Molière est à message, très clair. Il a été censuré. Blasphème disait-on ! L’art dit chrétien, celui des cathédrales ou des œuvres des douzième-quinzième siècles a transmis un message, a revendiqué le transmettre. Et quel message : ce que peut faire l’évangile dans la vie d’une société. Tiens, Notre Dame a été un des personnages de la cérémonie d’ouverture, on l’a peu vu et dit.

Oui, c’est assommant l’art qui dicte ce qu’on doit penser ; c’est l’art des dictatures ; ce n’est pas de l’art. Mais vendredi soir, il y avait tellement de niveaux de lecture possibles, tellement de séquences, tellement à voir, à entendre, à recevoir (les caméramans n’ont pas pu tout montrer) que l’on ne peut reprocher à la cérémonie d’avoir imposé une lecture.

File:Augustins - Evêque céphalophore - Anonyme 77 7 2.jpg
Musée des Augustins, Toulouse, dernier quart 15ème

Marie-Antoinette décapitée. Oui, c’est le récit français. Et que chante-t-elle ? Les aristocrates à la lanterne. Oui, l’égalité, au fronton des mairies et autres édifices publics, l’égalité que les lois de l’économie piétinent, oui, l’égalité s’est gagnée aussi par l’abolition des privilèges, la pendaison de l’aristocratie, en 89 comme en 2024. Oui, il faut renverser ceux qui oppriment pour sauver leurs avantages et se moquent du bien commun. Je crois bien me souvenir d’un verset de saint Luc : il renverse les puissants de leur trône, il relève les humbles, il comble de bien les affamés, renvoient les riches les mains vides. C’est tellement scandaleux que la dévotion mariale permet de l’oublier. C’est le cantique de Marie et non une affaire d’insurrection (c’est comme cela que l’on dit résurrection en grec, non ? Anastasis) Ce qui est de mauvais goût, ce n’est pas la reine céphalophore, comme Denis, le saint patron de Paris (la haute perruque remplaçant la mitre des sculptures gothiques), c’est la revendication d’une société inégalitaire. Si l’on voit la mitre perruque, on rit, c’est de l’humour, c’est carnavalesque.

Alors que tant de catholiques aujourd’hui font de l’adoration le nec plus ultra de la dévotion, ils ont été servis avec la vasque et la montgolfière. C’est l’illustration de la chronique de Pascal Wintzer dans La Croix. Les regards sont attirés vers les cieux, une sphère parfaite, portant un disque aussi parfait. La lumière. On dirait un ostensoir, il faudrait écrire un haust-en-soir. Certains ont voulu voir un clin d’œil au retable d’Issenheim. Je ne sais si c’est une des références des auteurs, mais voilà qui est légitime. Et l’on entend, comme parole, alors que la vasque se stabilise : « Dieu réunit ceux qui s’aiment ». Pas mal, non ? J’ai connu pire comme christianophobie. J’ai connu pire comme évacuation du christianisme alors même que la charte des JO stipule que l’on ne peut y parler religion.

A propos de la Cène. Prenons un peu de recul. Oui, il y a un banquet, oui, il fait penser à la fresque milanaise de Da Vinci, plus précisément à la citation ou le détournement qui en est fait par Jan Harmensz van Bijlert. Mais des banquets, il n’y en a pas que chez les chrétiens. Les banquets des dieux dans la Grèce antique, c’est commun, avec Dyonisos, ou Bacchus, dieu de la fête et du vin. Et tout ce petit monde à poil. Il est bien à se place. Du coup, est-ce Léonard qui copie les banquets antiques, ce qui est dans l’esprit de la Renaissance, ou bien est-ce la cérémonie d’ouverture qui singe Léonard ?

Le Festin des dieux

Vers 1635 - 1640, Jan Harmensz van BIJLERT, musée Magnin, Dijon

Plus encore, Jésus choisit comme signe de l’amour que ses disciples auront les uns pour les autres, le lavement des pieds et la fraction du pain, dont on sait qu’on ne peut les séparer, voire les distinguer. S’il voulait un signe purement religieux, il fallait prendre un truc moins universel et ordinaire qu’un repas. Jésus choisit un signe qui appartient à tous, et voilà que certains de ses disciples s’en déclarent les uniques propriétaires ? C’est curieux. Ces mêmes disciples sont souvent plus prêts à dire du mal de la théologie de l’eucharistie comme repas, trop peu sacré, et à préférer parler de sacrifice. Les voilà qui se mettent à revendiquer le repas. Il faudrait savoir.

Ah oui, il manquait un élément du discours woke. Avec la fin du discours colonial, l’égalité est aussi une affaire de sexe. Femme, homme. Bon, Paul est woke ? Il n’y a plus ni l’homme ni la femme (Galates 3, 28). Oui, mais là, des PD, des Trans, c’est trop. Oui, c’est aussi cela, écrire l’histoire avec les vaincus, ceux qui étaient jusque là écartés de la visibilité. Le sacrilège n’est pas la reprise de la Cène, mais la reprise avec des gens pas normaux, à la sexualité dépravée. Cela ne peut se dire, mais. Pascal Wintzer n’en parle pas. Dommage. Pour le coup, c’était le moment de parler de la chambre à coucher. Pas pour faire la morale, non. Pas sur l’air la chambre à coucher plus que la justice. En effet, qu’est-ce qui vaut mieux, s’envoyer en l’air comme beaucoup, ou trahir Jésus, comme l’on fait les Douze ? Qu’est-ce qui est plus grave ?

Et si l’on pense effectivement que LGBTQIA+ relève du péché, que ce sont des personnes de mauvaises vies, Jésus est toujours avec eux ! Pire, ils nous précèdent dans le Royaume. Encore une parole d’évangile. Les gens de mauvaises vies, si tant est qu’on les voit ainsi, vous savez où ils sont, à la première place au banquet des noces de l’Agneau. Je comprends que cela passe mal. Cela s’appelle l’évangile. Scandale. Blasphème. Oui, Jésus a été condamné pour blasphème. Et ça continue.

Cratère figure rouge de l'Attique, 390–380 av JC, attribué à Meleagre, Getty Villa, Los Angeles

Que chante Philippe Katerine déguisé en Dyonisos / Bacchus ? « Plus de riches plus de pauvres quand on redevient tout nu / Oui / Qu’on soit slim, qu’on soit gros, on est tout simplement tout nu. » Cela ne rappelle-t-il pas qu’il est hors de question de faire acception des personnes à l’assemblée eucharistique. C’est Jacques, chapitre 2. Tout y est : l’obnubilation pour ce qui se passe dans la chambre à coucher plutôt que la justice, la dénonciation des inégalités, le « vrai » blasphème, l’oppression économique, l’amour du prochain, la liberté et la loi, etc. Je cite, longuement, malgré les quelques coupes.

« Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant et vous lui dites : « Assieds-toi ici, en bonne place » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : « Assieds-toi au bas de mon marchepied ». Vous, vous avez privé le pauvre de sa dignité. Or n’est-ce pas les riches qui vous oppriment, et vous traînent devant les tribunaux ? Ce sont eux qui blasphèment le beau nom du Seigneur qui a été invoqué sur vous. Certes, si vous accomplissez la loi du Royaume selon l’Écriture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous faites bien. Mais si vous montrez de la partialité envers les personnes, vous commettez un péché, et cette loi vous convainc de transgression. En effet, si quelqu’un observe intégralement la loi, sauf en un seul point sur lequel il trébuche, le voilà coupable par rapport à l’ensemble. En effet, si Dieu a dit : Tu ne commettras pas d’adultère, il a dit aussi : Tu ne commettras pas de meurtre. Donc, si tu ne commets pas d’adultère mais si tu commets un meurtre, te voilà transgresseur de la loi. Parlez et agissez comme des gens qui vont être jugés par une loi de liberté. Car le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde, mais la miséricorde l’emporte sur le jugement. Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? Sa foi peut-elle le sauver ? Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. »

J’ai entendu une parole de Dieu dans cette cérémonie qui n’en disait pas. Le job des chrétiens, c’est de se débrouiller à entendre, même là où elle est ignorée, voire combattue, la parole de Dieu, parce que le Christ nous devance dans l’annonce de sa parole. C’est la conversion du missionnaire. Dieu nous précède, pas étonnant qu’on le trouve déjà là où on avait prévu de l’annoncer. Ce n’est pas nous qui portons le Christ, mais nous qui tâchons de l’accueillir. J’ai peur que dans l’odieuse polémique, des disciples aient refusé de l’accueillir parce que ce n’était pas eux qui avaient la parole, eux, les spécialistes de Dieu ! Imaginez si, au lieu de crier au blasphème, on s’était émerveillé de tant de paroles divines, du cœur de notre foi, hymne à l’amour, à la fraternité, à l’égalité, à la justice, espérance d’un monde réconcilié, d’une histoire réconciliée, s’il est vrai que c’est aussi, un peu, ce que peut l’histoire.