23/08/2024

« Cette parole est rude ! » Laquelle ? (21ème dimanche du temps)


 

« Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » (Jn 6, 59-69)

Quelle est la rude ou la dure parole inaudible, celle dont des disciples doutent qu’il y ait quelqu’un pour l’entendre ? Le chapitre étant plus que bien structuré, enseignement à la synagogue de Capharnaüm, nous devrions la retrouver facilement.

Or il n’en est rien. Le bel ordonnancement du texte ne met que davantage en évidence plusieurs incohérences, toutes voulues dans le but d’interroger, de faire que le lecteur s’interroge. Première incohérence, il semble que ce soit aux disciples que Jésus s’adresse ; ils l’ont suivi depuis l’autre côté du lac. Non seulement ils apprennent la discipline de Jésus, mais aussi le suivent, sequela Christi. Cependant, ils disparaissent pendant l’enseignement – à moins qu’ils soient désignés comme « les Juifs » – et réagissent à ce qui a été dit puisqu’ils jugent dure la parole du maître.

Deuxième incohérence, les interlocuteurs de Jésus, « les Juifs » font référence à un autre pain, venu du ciel lui aussi, dont le nom est une interrogation, on mange du mann hou, du « qu’est-ce que c’est ? » Mais personne ne s’interroge. On est juste scandalisé.

Troisième incohérence, l’évangéliste construit le discours dit du pain de vie sur un quiproquo comme il en a l’habitude. Manger la chair et boire le sang serait proprement délirant. Pain de vie, chair à manger, sang à boire : de quoi s’agit-il ? Le premier degré n’est pas possible à moins de s’entêter bêtement, de refuser d’entendre et partant de croire. Moïse avait enseigné que la parole est un pain qui sort de la bouche du Seigneur et dont l’homme vit.

Mauvaise foi mise à part, il n’est pas possible de gober l’enseignement au premier degré. L’auditeur est obligé à la rencontre, à la confiance. Si on ne croit pas celui qui parle, il n’y a pas d’écoute possible. De surcroît, on ne trouve pas de parole dure dans le discours du pain de vie. Rien d’exigeant, pas de commandement qui imposerait de tout quitter, de renoncer à sa vie, de faire des ennemis des frères, de pardonner toujours, d’aimer toujours, de prendre la dernière place, de se faire serviteur, esclave même, de perdre sa vie. Les réactions, murmures, et même propos tout haut ne dénoncent rien de tout cela.

Le discours n’a dit qu’une chose. L’humanité ne vit que de recevoir, de se recevoir, forcément de qui elle n’est pas. L’homme passe l’homme infiniment en langage pascalien. Vivre, les vivres qui font vivre, c’est toujours un don. Y compris les marmites de viande, le pain à satiété et les oignons d’Egypte. Rares ceux qui vivent en autarcie, et quand bien même, la terre leur donne son fruit, l’homme ne le fait pas de rien. Vivre n’est pas seulement biologique, ingestion et digestion. La vie est une parole à nous adressée. Sans croire l’autre, qui me l’adresse, en refusant la confiance qui me fait l’accueillir comme bonne, je meurs.

Le pain vient toujours du ciel, don inespéré, don qui révèle la vie comme pas seulement physiologie, mais relation, confiance, foi. Et le discours le dit ; « Il a la vie, celui qui croit » Voilà la parole dure : l’humain n’est pas self-made-man et vivre c’est croire, se fier, être ouvert. Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui (formule ricœurienne). Vivre manger, c’est recevoir et non prendre, c’est venir après, précédé ; un premier est grâce.

Un don est vie, fait vivre. C’est n’est pas moi qui me suis fait en gagnant ma vie, en me forgeant une personnalité. L’identité se reçoit de celui que je ne suis pas. C’est insupportable à qui cultive la religion de ses pères, en appelle à la pureza, limpioza de sangre, ne veut rien avoir en commun avec les étrangers, confond tradition et image qu’il se fait du passé.

La mendicité est le mode humain de l’existence, croire est synonyme de vivre, on n’existe que par autrui, l’identité n’est jamais personnelle mais toujours reçue, voilà qui est hier comme aujourd’hui, est dure à entendre.

Jésus n’invente rien. Il reprend des termes deutéronomiques, mais effectue un recadrage qui les sort d’un sens strictement religieux. Avec Dieu, ce n’est pas affaire de religion mais de vie, affaire de rite mais de relation. Avec Dieu, pas de sacrifice, mais le don que, lui, fait ; mieux, le don qu’il fait de lui-même. Dès lors que Dieu se donne en un homme comme vivres, comme vie, ce n’est plus une religion, c’est la vie, seulement elle, l’ordinaire comme lieu du Très haut. Fin des religions : elle est dure cette parole, qui pourra l’entendre.


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