02/08/2024

La Cène confisquée (18ème dimanche du temps)

 

Nous écoutons le discours sur le pain de vie après le mauvais procès lancé par Marion Maréchal-Le Pen avant même que ne s’achève la cérémonie d’ouverture des JO, procès relayé par les plus réactionnaires, de tout poil, pire, hommes, souvent mâles effectivement, habitués à distiller la haine et les antagonismes, Finkielkraut, Onfray, Mélenchon, Trump et Erdogan, la conférence des évêques de France, puis des évêques qui célèbrent des messes de réparation, entretiennent des théories complotistes contre l’antichristianisme, des évêques à l’autre bout de la planète, connus pour leur opposition à ce qu’ils appellent le wokisme, qui ne voient la réalité qu’à travers le drame que serait l’effondrement de la culture occidentale et chrétienne.

Vous me direz, il n’y a pas de rapport : le discours du pain de vie ne parle pas de la Cène. C’est ce que j’avais appris dans le cours sur l’évangile de Jean, il y a trente-cinq ans. Le pain, c’est Jésus, et non l’eucharistie. « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »

Jésus est boisson et nourriture. Le pain est boisson et nourriture. Cela devient curieux. Ce n’est que bien plus loin, lorsque l’on parlera de chair, que l’on parlera aussi de sang. Jésus fait vivre comme le pain, mieux que le pain, celui que les « pères ont mangé », il est boisson et nourriture.

Pour le moment, avec les versets que nous entendons, on pourrait penser que le pain est la parole de Dieu, puisque « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur ». C’est bien connu, la satisfaction des besoins alimentaires ne suffit pas à faire vivre. Il faut une parole adressée, écoutée, reçue, qui bénit, dit du bien.

L’antiprotestantisme ou anticatholicisme, c’est selon, au XVIème siècle opposent parole et sacrement. Au moment où s’écrit l’évangile, le sacrement de l’eucharistie n’existe pas, même si ce que nous appelons ainsi y trouve son fondement. La théologie de polémique a de façon stérile et stérilisante opposer la parole et le pain, reconnaissant à l’une ou à l’autre la primauté, alors que le pain rompu est la parole pour qu’on puisse la manger et la boire, La parole fait vivre parce que Dieu se donne en partage. Comment mieux dire que Dieu fait vivre, est créateur, sauveur ?

Il est aussi insensé de dire que le discours sur le pain de vie est eucharistique ou qu’il ne l’est pas. Il ne l’est pas parce, de façon obvie, il ne parle pas du sacrement. Il l’est fondamentalement, parce que l’eucharistie n’est pas un rite mais une manière de vivre, don reçu avec et pour les frères. On mange le pain, mieux on le partage avec tous et il se multiplie, parce qu’il est la parole fait vivre.

Un peu plus loin, on précisera ce qu’est cette vie, même si l’on ne comprend pas précisément. C’est « la vie toujours ». (Je ne traduits pas vie éternelle à cause des représentations imposées.) Pas seulement, la vie dans sa matérialité animale, ni même son autodépassement culturel, celui de l’Esprit hégelien par exemple. Avec Jankelevitch, on serait assez près du sens : « Si la vie est éphémère, le fait d'avoir vécu une vie éphémère est un fait éternel ». Peut-être un pas de plus, la vie qui renouvelle la face de terre, la vie selon Jésus, celle d’une fraternité plus grande, lorsque tu déploies pour d’autres la tente qui t’abrite.

« Tout est grâce » (Thérèse de Lisieux et Bernanos), non que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, mais que tout est vécu comme reçu, « vie donnée par le Fils de l’homme ». Le pain est vie parce que l’humanité est nourrie de ce qu’elle reçoit ‑ un dieu qui fait vivre ‑ et elle répond par l’action de grâce, le remerciement, eucharistia.

A parler ainsi, à signifier ce qui se joue avec Dieu et Jésus qui œuvre selon le père, à dire ces choses si centrales de la foi, peut-être les seules centrales puisqu’il s’agit de « vie toujours », il y a un problème. Le cœur est dit avec des mots communs, une expérience commune, triviale, celle du repas. L’expérience cardinale est dite par le plus ordinaire, le moins spécifique. Le mémorial que laisse Jésus, la cène, j’y viens, n’est pas un rite ou un geste propre, que seuls pratiqueraient les siens. Il est l’activité humaine sans laquelle il n’y a pas de vie, ne serait-ce animale. Le mémorial laissé aux disciples est un geste de la vie commune – même si tous ne mangent pas à leur faim jusqu’à mourir de faim – et non un rite religieux. Pour ceux qui veulent que l’évangile soit une religion, le premier blasphème, la source du blasphème est là.

C’est si vrai que beaucoup estiment que le sacrement de l’eucharistie est mieux dit comme sacrifice que comme repas. Ils développent à l’excès une pratique de l’hostie à regarder plus qu’à consommer. La consécration importe plus que la communion, le tabernacle que la fraction du pain. Or, on adore l’eucharistie parce qu’on la conserve ; on ne la conserve pas pour l’adorer.

Il faut transmuer – et trahir ‑ alors le geste banal, ordinaire, trivial de la foi en spécifique du christianisme auquel seuls les initiés peuvent toucher. Il faut confisquer le repas. C’est insensé, puisqu’il faut bien que tout le monde mange. Alors, puisque c’est « spirituel », c’est l’image qui sera défendue bec et ongle.

Depuis toujours, le repas, spécialement le repas de fête qui est une forme extraordinaire de l’ordinaire (et non une opposition à l’ordinaire), est partage et communion. Les dieux de l’Olympe sont représentés à table puisque la table exprime la concorde, un seul cœur, une seule âme. Est-ce cela que l’on voudrait confisquer, ne surtout pas partager ?

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