L’épitre aux Ephésiens est un texte que l’on date des années
75 de notre ère. Paul est mort depuis une dizaine d’années. La datation est
certes discutée, mais on s’accorde aujourd’hui pour faire de la lettre un texte
de tradition paulinienne, mais non de la main de Paul, pas même écrit de son
vivant.
Sa thématique demeure fort proche des textes de Paul, c’est
incontestable. Mais elle est aussi proche des épîtres pastorales, de la fin du
premier siècle, assurément non pauliniennes. On peut voir cela par exemple en
étudiant le vocabulaire et les propos quant aux ministères.
Le texte que nous venons d’entendre ouvre l’épitre après les
versets de salutation (Ep 1,3-10). Il s’agit d’une hymne, d’un chant de
bénédiction. Béni soit le Dieu et Père de
notre Seigneur Jésus, le Christ…
Certains ont voulu dater encore plus tardivement l’épitre à
cause de cette hymne et de la théologie qu’elle contient. Pourtant, il faut en
convenir, cette théologie est antique, peut-être plus ancienne que l’épitre
elle-même si l’hymne a été reprise d’un usage liturgique. Qu’est-ce qui étonne
dans cette hymne ? L’affirmation de l’existence du Fils dès avant la
création du monde.
Pour nous qui avons trop peu le sens de l’histoire, en
particulier le sens de l’histoire de la dogmatique chrétienne ‑ comme si les
chrétiens avaient toujours cru de la même manière depuis la mort et la
résurrection de Jésus, comme si le catéchisme que nous avons appris était sorti
tout droit de la prédication de Jésus ‑ pour nous donc, que Jésus soit dit
de toute éternité celui qui réalise le dessein du Père, n’a rien d’étonnant,
sans que cela fasse forcément sens pour nous !
Mais si nous nous mettons dans la peau des hommes du premier
siècle, ceux qui ont rencontré Jésus, ceux qui dans les décennies qui suivirent
en entendirent parler, Jésus, c’est l’évidence même, est un homme. Que peut-on
rencontrer sur les routes de Palestine d’autre que des hommes ? Surtout
pas un dieu.
Au quatrième siècle les conciles diront de Jésus qu’il est
vrai homme et vrai Dieu. Notre profession de foi, dite de Nicée Constantinople,
en porte la trace. Mais nous avons fini par oublier l’humanité de Jésus au
profit de sa seule divinité, à l’inverse de ce que beaucoup ne pouvaient que
faire durant les premières décennies chrétiennes, voir un homme et avoir du mal
à soupçonner qu’il s’agît d’un dieu.
L’hymne que nous avons lu affirme, dès les années 70, de
façon assez claire, sans qu’il faille attendre le quatrième siècle, la
préexistence de Jésus à sa vie humaine. D’où vient cette tradition ? Comment
a-t-elle été possible ? On peut penser à l’importance de textes du premier
testament, par exemple du livre de la Sagesse ou des Proverbes. Mais c’est un
fait, Jésus, l’homme de Palestine, est ici chanté comme celui en qui le Père
nous a choisis pour la vie.
A la source de la profession de foi s’exprime ce qui fait
aujourd’hui le cœur de la foi, et que le quatrième siècle a solennellement défini.
Plutôt que de conjecturer des influences scripturaires ou culturelles, le texte
lui-même indique les raisons de cette christologie, peut-être pas première,
mais très primitive. Et ces indications valent encore pour la théologie aujourd’hui,
devraient encore valoir pour notre compréhension de la foi.
Ce qui est dit de Jésus est concomitant, peut-être même est
commandé par la bonne nouvelle de salut nous concernant. Ce texte, si l’on peut
dire, avant d’être christologique est sotériologique. Pour ces premières
générations de chrétiens, parler de Jésus ce n’est pas tenir un discours
indépendant de ce qui nous concernerait, mais c’est articuler sur ce que l’évangile
dit de ce Jésus, le dessein éternel de Dieu, notre bonheur, dont nous avons
connaissance par Jésus.
Dès avant la création du monde, Dieu nous a choisis, Dieu
nous a aimés. Dès avant la création du monde, nous sommes prédestinés à sa vie,
à vivre avec lui, à vivre de lui. De toujours à toujours, le dessein de Dieu
est l’adoption filiale de tous les hommes. Ce dessein d’amour nous est connu,
plus encore est inscrit dans le fils. Je cite : En lui, il nous a choisis avant la
création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et irréprochables
sous son regard. Il nous a d'avance destinés à devenir pour lui des fils par
Jésus Christ.
Si pardon des péchés il y a, il n’est pas à l’origine du
dessein divin. C’est comme une conséquence semble-t-il que l’on évoque le
pardon. D’abord, il y a un projet d’amour que rien n’arrête pas même le péché.
Le Fils ne débarque pas dans l’histoire des hommes à cause du péché. Elle n’est
pas heureuse la faute qui nous aurait valu un tel rédempteur, car quoi qu’il
en soit de cette faute, le projet d’adoption filiale lui est antérieur. Avec
ou sans la faute, la vie divine qui nous est promise est l’origine même de la
création et de l’amour éternel du Fils par le Père. L’engendrement éternel du Fils
est le projet d’adoption de l’humanité. Voilà l’évangile de ce jour. Voilà l’évangile
de notre baptême.
Ce projet de vie, de don de vie, est déjà réalisé. Déjà l’Esprit
de Dieu nous habite et c’est par lui que nous respirons, que nous sommes gorge
vivante, comme dit le récit de la création. Je cite une dernière fois : Dans le Christ, vous aussi, vous avez écouté
la parole de vérité, la Bonne Nouvelle de votre salut ; en lui, devenus des
croyants, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit que Dieu
avait promis, c'est la première avance qu’il nous a faite sur l’héritage dont
nous prendrons possession au jour de la délivrance finale, à la louange de sa
gloire.
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