(Texte qui n'était plus disponible sur le site où il avait d'abord été publié, il y cinq ou six ans.)
Pour lire notre texte, premièrement, je lui fais
crédit de la cohérence. Sans quoi, je ne vois même pas pourquoi le lire.
Deuxièmement, je constate que ce récit clair parle d’autre
chose que de ce dont il parle. Cette histoire d’ouvriers n’a pas beaucoup d’intérêt
en soi. Pourquoi donc la raconter ? Pourquoi surtout la lire des siècles
après l’événement qui aurait pu le susciter, si l’on tient absolument à ne
retenir qu’un premier degré, informatif ?
Les premiers mots du texte indiquent le chemin : Le
royaume des cieux est semblable à. Ce dont on parle n’est pas une histoire
d’ouvriers, mais cette histoire d’ouvriers veut parler d’autre chose, le
royaume des cieux. Bref, il s’agit d’une parabole.
Troisièmement, je cherche une clé pour entrer dans ce texte.
A priori aucun mot difficile, une histoire facile à comprendre, que tous
peuvent répéter sans difficulté ; bref un récit clair. C’est bien le
problème. Si le texte est si clair, comment l’interpréter, comment le
comprendre ? Mais cette clarté n’est qu’apparente s’il s’agit d’une
parabole. En effet, en quoi ce texte parle du royaume, qu’en dit-il ?
Pour ouvrir un texte, la clé repose souvent dans
l’obscurité. Et les paraboles ménagent toujours une part d’ombre à partir de
laquelle le texte peut dévoiler, peut révéler. Qu’est-ce qui pourrait bien être
obscur dans ce texte si clair ?
Tous reconnaîtront que ce maître est magnanime, généreux,
attentif à ceux qui nous apparaissent comme les laissés pour compte de la
société et de l’économie. Or cet homme que l’on ne cesse de louer tient un
propos proprement scandaleux : N’ai-je pas le droit de faire ce que je
veux de mon fric ? Littéralement : Est-ce qu'il ne m'est pas permis de faire ce que je veux de mes biens ?
Comme si avoir de l’argent dispensait d’être
responsable ! Certes, c’est dans le bon sens qu’il fait ce qu’il veut
de ses biens, bon sens par rapport à notre conception généreuse. Mais
notons que la justification est scandaleuse. Il aurait pu défendre le droit de
chacun à vivre dignement ; il aurait pu arguer d’une sorte de
discrimination positive. Non rien qui vaille, quand bien même ces arguments
sont profondément anachroniques.
Or ce maître semble évidemment devoir tenir la place de
Dieu. Ainsi, le verset 4 promet de donner ce qui est juste (en plein
centre de la structure du premier volet). C’est le soir, peut-être le grand
soir, que le maître invite son intendant à donner le salaire, comme un jugement
dernier.
Comment se peut-il que Dieu, si c’est bien de lui que l’on
parle, puisse ainsi se comporter comme n’importe quel égoïste pré-œdipien,
n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ? Voilà
l’obscurité de notre texte. Voilà où l’histoire n’est pas aussi simple qu’il y
paraît. Répondre à ce problème c’est trouver la solution de l’histoire.
Il n’y a que deux solutions pour que le propos scandaleux
soit celui de Dieu. Soit Dieu est effectivement un salaud. Nous ne le disons
pas facilement, spontanément, il y a tout de même un surmoi ! Mais au fond, nous ne
sommes pas si étonnés d’une telle possibilité. La preuve, personne n’avait
sursauté à la justification scandaleuse offerte par le texte. La
toute-puissance de Dieu, pour nous, est compatible avec un arbitraire,
injustifié, injuste.
Soit le maître ne peut pas parler autrement. Mais alors
quelle est donc la situation du maître pour qu’il ne puisse dire que cela, pour
que son propos ne soit pas scandale ? C’est là qu’il faut regarder le
texte à la loupe. Excusez le détour par la grammaire, mais vous allez voir, le
texte est très explicite.
Vous savez peut-être qu’en grec, comme en latin, il n’y a
pas d’article indéfini. On ne dit pas un denier, on dit denier. Ou alors, c’est
que l’on compte, un n’est pas deux.
Le maître se met d’accord (en grec, « est d’une même
voix », symphonie, c’est la pleine harmonie entre eux, v. 2 et 13) avec
les ouvriers à propos d’(un) denier par jour, donc sans article ni numération.
Pas une seule fois il n’y a d’adjectif cardinal ; ce qui est pourtant
ordinairement requis lorsqu’il s’agit de fixer un salaire ! Voit-on recevoir un ou deux mille ? Et pourtant le
texte connaît le mot « un » étrangement placé dans le texte, comme
pour attirer l’attention : il dit à l’un d’eux v. 13. Ou
encore une seule heure (v. 12). Ensuite, plus rien de précis :
ce qui est juste est assuré aux deuxièmes et troisièmes groupes d'ouvriers, et rien n’est
promis aux autres. (2a, 4c,
5d, 7d).
Au verset 9, lorsqu’il faut remettre le salaire, on commence
à l’envers et l’on donne (un) denier, toujours sans article. Mais au verset 10,
ils reçoivent chacun le denier. Là, il y a, pour la première fois
un article et un article défini. La traduction que vous trouvez ci-dessous, celle de Sr Jeanne d'Arc, est la seule que
je connaisse qui soit attentive à ce détail. Mais quel détail ? Aux
versets 13 et 14, même jeu sur l’article.
Ainsi donc n’y aurait-il qu’un denier à donner, non pas un
parce qu’il n’y en a qu’un par personne, c’est-à-dire plus d’un, mais un
denier, parce qu’il n’y a qu’un seul denier, le seul, à donner à tous.
Qu’est donc ce denier, le denier, le seul que Dieu
puisse donner ? Qu’est-ce que Dieu a donc seulement en un exemplaire,
donné à tous, donné tout entier ? Rien d’autre que lui-même. Et comment
donnerait-il plus alors qu’il a tout donné. Nous ne sommes pas dans une logique
d’accumulation de deniers, mais dans le don total du seul denier, le
denier, que le Père possède.
Ainsi donc, si cette parabole veut parler du royaume des
cieux, ce qui en est dit ici, c’est juste cela, c’est comme un
homme, un maître de maison, qui donne tout, qui se donne, qui se donne en
son fils. D’ailleurs tout dans le texte le souligne. Cet homme ne cesse de
sortir, à tout heure du jour, y compris au plus chaud de la journée, alors
qu’il pourrait bien se faire remplacer, par exemple par son intendant. Mais
seul le maître peut sortir et promettre puisque ce qu’il offre, c’est
lui-même.
N’allons donc pas imaginer la vie avec Dieu, le royaume des
cieux, le paradis, comme une récompense. La vie avec Dieu, elle est possible
dès ici, puisque Dieu s’est donné sans réserve. La vie avec Dieu, c’est comme,
indépendamment de tout mérite, un don.
Evidemment, tellement accrochés aux mérites, pleins de
ressentiment contre ceux qui ne font rien, nous avons du mal à entendre que le
salut ne soit pas une récompense mais une offre gracieuse, par pur amour. C’est
l’enseignement constant de l’évangile : les prostituées et les pécheurs
nous précèdent dans le Royaume ; le Royaume appartient à ceux qui
ressemblent aux enfants, ceux qui seuls ne font que recevoir, indépendamment du
mérite. C’est la justification par la seule foi dans la thématique paulinienne.
Quel retournement, quelle epistrophè, conversion, que
même le texte enregistre par le chiasme de 1930 et 2016 !
Comme toujours les paraboles nous prennent d’abord dans le
sens du poil. Elles nous confortent dans notre conception spontanée de Dieu.
Ici, il est le juge qui rétribue chacun selon son mérite. Il est normal que
l’on parle de salaire, car œuvrer à la vigne de Dieu, nous le considérons comme
une charge, voire un fardeau, porté le poids du jour et de la
chaleur (v. 12). Vivre avec Dieu, travailler pour lui nous apparaît
comme une charge !
Et pourtant, dès le début, le texte nous invite à nous
identifier non pas aux premiers, dont pourtant nous partageons la frustration
et le sentiment d’injustice à la fin, ou dont nous comprenons si bien, trop
bien la réaction. Le texte en effet avait mis en évidence les derniers ouvriers. Ce
sont les seuls que l’on entend parler. Ce sont les seuls avec qui il y a une
esquisse de dialogue. Le dialogue semble même inversement proportionnel à la
précision du contrat. Et, malgré ce privilège textuel pour les derniers, nous
nous retrouvons bien plus ressemblants aux premiers.
Finalement donc, contrairement à ce que nous pensons, il n’y
a pas d’heure pour Dieu. C’est toujours l’heure pour le rejoindre. Il n’est
jamais trop tard, contrairement à la vie et à la mort. Mais s’il ne s’agit pas
d’un salaire mais d’une vie avec lui, les premiers peuvent se réjouir de vivre
depuis si longtemps avec la promesse de ce don.
On pourra aussi remarquer le vocabulaire. Beaucoup de termes
sont repris, ce qui fait que ce sont toujours les mêmes mots, peu nombreux, qui
reviennent. Le champ sémantique de la possession est important, donner,
recevoir, prendre, rendre. Le royaume est du côté de la gratuité (recevoir et
donner) non pas du côté de la propriété (rendre, prendre).
Beaucoup seront
premiers derniers
et derniers premiers !
Car le royaume des cieux est semblable
à un homme, un maître de maison
qui sort avec le matin
embaucher des ouvriers
pour sa vigne.
Il se met d’accord avec les ouvriers sur un denier
le jour
et il les envoie dans sa vigne.
Il sort vers la troisième heure.
Il en voit d’autres
qui se tenaient sur la place publique, désœuvrés.
Il leur dit :
Allez, vous aussi, dans la vigne :
Je vous donnerai ce qui est
juste.
Ils s’ont vont.
De nouveau, il sort vers la sixième
et la neuvième heure :
Il fait de même.
Vers la onzième heure il sort.
Il en trouve d’autres qui se tenaient là,
Et leur dit :
Pourquoi vous tenez-vous là,
le jour entier, désœuvrés ?
Ils lui disent :
C’est que personne ne nous a embauchés.
Il leur dit :
Allez, vous aussi, dans la vigne.
Le soir venu,
Le seigneur de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers,
Rends-leur le salaire,
En commençant par les derniers
jusqu’aux premiers.
Viennent ceux de vers la onzième heure :
Ils reçoivent chacun un denier.
Puis viennent les premiers :
Ils pensent recevoir plus,
Et ils reçoivent chacun le denier, eux aussi.
En recevant,
Ils murmuraient contre le maître de maison en
disant :
Ceux-là, les derniers, ont fait une seule heure,
Et tu les fais égaux à nous,
qui avons porté le poids du jour
et de la chaleur !
Il répond et dit à l’un d’eux :
Compagnon, je ne te fais pas de tort :
Sur un denier, n’est-ce pas, tu t’étais mis d’accord avec moi ?
Prends le tien et va.
Je veux à celui-ci, le dernier
donner autant qu’à toi :
Est-ce qu’il ne m’est pas permis de faire
ce que je veux de mes biens ?
Ou ton œil est-il mauvais
Parce que moi, je suis bon ?
Aussi seront
Les derniers, premiers,
Et les premiers, derniers !
Beaucoup
seront
premiers derniers
et derniers premiers !
Car le royaume des cieux est semblable
à un homme, un maître de maison
qui sort avec le matin
embaucher
des ouvriers pour sa vigne.
Il se met d’accord avec les ouvriers
sur un denier le jour
et
il les envoie dans sa vigne.
Il sort vers la troisième heure.
Il en voit d’autres qui se tenaient sur la place publique,
désœuvrés.
Il
leur dit :
Allez,
vous aussi, dans la vigne :
Je vous donnerai ce qui est juste.
Ils s’ont vont.
De nouveau, il sort vers la sixième
Et la neuvième heure :
Il fait de même.
Vers la onzième heure il sort.
Il en trouve d’autres qui se tenaient là,
et leur dit :
Pourquoi vous tenez-vous là,
le jour entier, désœuvrés ?
Ils lui
disent :
C’est que
personne ne nous a embauchés.
Il
leur dit :
Allez,
vous aussi, dans la vigne.
Le soir venu,
Le seigneur de la vigne dit à son
intendant :
Appelle les ouvriers,
Rends-leur le salaire,
En commençant par les derniers
jusqu’aux premiers.
Viennent ceux de vers la onzième heure :
Ils reçoivent chacun un denier.
Puis viennent les premiers :
Ils pensent recevoir plus,
Et ils reçoivent chacun le denier, eux aussi.
En recevant,
Ils murmuraient contre le maître de maison en
disant :
Ceux-là, les derniers, ont fait une seule heure,
Et tu les fais égaux à nous,
qui avons porté le poids du jour et de la chaleur !
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Il répond et dit à l’un d’eux :
Compagnon, je ne te fais pas de tort :
Sur un denier, n’est-ce pas, tu t’étais mis d’accord avec moi ?
Prends le tien et va.
Je veux à celui-ci, le dernier
donner autant qu’à toi :
Est-ce qu’il ne m’est pas permis de faire
ce que je veux de mes biens ?
Ou ton œil est-il mauvais
Parce que moi, je suis bon ?
Aussi
seront
Les derniers, premiers,
Et les premiers, derniers !
Beaucoup
seront
premiers
derniers
et
derniers premiers !
Car le royaume des cieux est semblable
à un homme, un maître de maison
qui sort avec le matin
embaucher des ouvriers
pour sa vigne.
Il se met
d’accord avec les ouvriers sur un denier le jour
et
il les envoie dans sa vigne.
Il sort vers la troisième heure.
Il en voit d’autres qui
se tenaient sur la place publique,
désœuvrés.
Il
leur dit :
Allez,
vous aussi, dans la vigne :
Je vous donnerai ce qui est
juste.
Ils s’ont vont.
De nouveau, il sort vers la sixième
Et la neuvième heure :
Il fait de même.
Vers la onzième heure il sort.
Il en trouve d’autres qui
se tenaient là,
et leur dit :
Pourquoi vous tenez-vous
là,
le jour
entier, désœuvrés ?
Ils lui
disent :
C’est que
personne ne nous a embauchés.
Il
leur dit :
Allez,
vous aussi, dans la vigne.
Le soir venu,
Le seigneur de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers,
Rends-leur le salaire,
En commençant par les derniers
jusqu’aux premiers.
Viennent ceux de vers la onzième heure :
Ils reçoivent chacun un denier.
Puis viennent les premiers :
Ils pensent recevoir plus,
Et ils reçoivent chacun le denier, eux aussi.
En recevant,
Ils murmuraient contre le maître de maison en disant :
Ceux-là, les derniers, ont fait une seule heure,
Et tu les fais égaux à nous,
qui avons porté le poids du
jour et de la chaleur !
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Il répond et dit à l’un d’eux :
Compagnon, je ne te fais pas de tort :
Sur un denier, n’est-ce pas, tu t’étais mis d’accord avec moi ?
Prends le tien et va.
Je veux à celui-ci, le dernier
donner autant qu’à toi :
Est-ce qu’il ne m’est pas permis de faire ce que je veux de mes
biens ?
Ou ton œil est-il mauvais
Parce que moi, je suis bon ?
Aussi
seront
Les derniers,
premiers,
Et les
premiers, derniers !
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