Il n’est pas bon que
l’homme soit seul.
Ainsi commence le récit de la création de la femme. La
solitude de l’homme semble un raté que Dieu veut corriger. Un homme sans
l’autre, ce n’est pas un homme achevé, un homme terminé, un homme vraiment
créé. Un homme n’est pleinement lui-même qu’à être avec un autre, l’identité de
l’homme se trouve dans l’altérité.
Cette contradiction, du moins apparemment, se dit aussi par le
manque. Un homme, ça manque. Il n’est pas
bon que l’homme soit seul. Autant ce manque n’est pas bon, autant il permet
de dire la nécessité de l’autre, autant il appelle l’altérité.
La femme manifeste que l’homme manque, elle est l’indice de
ce qu’il ne peut pas se suffire. Dans la chair, par la création de la femme,
l’homme se révèle manquant, et ce n’est pas bon. Entendons-nous. Ce qui n’est
pas bon, c’est la tristesse d’être seul, la tristesse d’une vie seule quand on
est fait pour l’autre, cette solitude comme solipsisme. Evidemment, ce n’est
pas la création comme ouverture à, cette capacité constitutive à l’autre.
La femme manifeste cette altérité. Elle n’est pas en
elle-même et par elle-même l’autre. Parce que l’autre pour l’homme, c’est
d’abord Dieu. Mais comment dire l’altérité de Dieu si l’on n’a pas une idée de
ce que signifie la vie avec l’autre, différent, ce que signifie l’altérité ?
L’homme par la femme se comprend comme incomplet alors qu’apparemment
il a tout pour vivre. L’homme par le manque découvre qu’un autre, comme la
femme, mais autrement qu’elle, le fait vivre. La femme est pour l’homme l’indice
ou la parabole d’un manque d’abord anonyme, qui peut se convertir en ce qu’il
est, l’appel à vivre avec Dieu.
Et lorsque des célibataires à cause du Royaume se présentent
dans la communauté, ils crient qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul en provocant
l’homme et la femme qui se sont trouvés : Ne croyez pas que parce que vous
êtes deux, plus rien ne vous manque ! Ne croyez pas qu’à être un couple
vous avez obturé le manque ! Votre manque, comme celui de tous, est béant,
vous manquez de Dieu. Sans parler que dans nombre de couples, on rate
complètement la cible, on manque l'autre, on n’arrive pas à être autre l’un
pour l’autre.
Il faut sans doute ces célibataires parce que le manque de
Dieu, pour constitutif de l’homme qu’il soit, peut cependant être totalement ignoré.
On peut très bien vivre sans Dieu. Nous le voyons auprès de nombre de ceux qui
nous entourent. Nos enfants, nos frères et sœurs ne sont pas forcément
chrétiens. Ils vivent pas plus mal que nous. Nous-mêmes vivons aussi sans Dieu.
L’altérité qui nous constitue, d’abord celle de Dieu, Dieu lui-même
nous en dédouane en quelque manière, ou du moins il nous l’offre, il refuse de
nous l’imposer, et pour cela se retire, se rendant non-nécessaire. Si la femme
est créée de ce qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul, c’est pour dire
Dieu. La femme est le premier sacrement de Dieu. Ainsi parle, me semble-t-il,
le livre de la Genèse.
Mais le discours est machiste. Certes il dit l’égalité de
l’homme et de la femme : pour le
coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Mais il dit aussi
la priorité de l’homme. C’est lui qui vient évidemment en premier et la femme
est présentée seulement comme une aide qui lui soit
accordée. J’imagine que nous sursautons un peu à entendre cela. Pourquoi
faudrait-il que l’homme vienne en premier ? Peut-on dire la femme comme
une aide pour l’homme ? N’est-elle pas par elle-même ?
Nous apprenons aujourd’hui le sens qu’il y a à dire que
l’homme est une aide pour la femme ; l’homme qui est créé en premier est
aussi bien un homme qu’une femme, pour lesquels il n’est pas bon d’être seuls,
afin de découvrir l’altérité de Dieu. L’homme et la femme sont l’un pour
l’autre parabole de Dieu. N'est-ce pas le sens du sacrement de mariage ? La fécondité de leur union ne fait que renforcer
cette parabole.
Mais point besoin d’être marié pour découvrir en l’autre de
l’autre sexe ce qui manque à mon humanité. Plus encore, la différence sexuelle
n’est pas la seule, ni même peut-être la première à dire, en parabole,
l’altérité de Dieu. Et nous en faisons tous l’expérience. C’est par l’amitié
aussi que l’on déclare qu’il n’est pas
bon que l’homme soit seul. Le sexe, masculin féminin, est pour sûr le
chiffre, un chiffre de l’altérité. Mais la différence des couleurs de peau l’est tout autant. Et d’autres différences encore, moindres peut-être, nous
convoquent à l’altérité, celle des cultures, des niveaux de vie, des milieux
sociaux professionnels, des idéologies. Dans notre Eglise, il y a des
différences dont on n’ose pas parler tant elles risquent de mettre le feu,
disons pour faire court, entre les cathos de gauches, les nouvelles communautés
religieuses, les tradis…
Un nouveau fait de société fait poser une autre question,
question de société, question de l’Eglise de France. Quoi que l’on en pense, on
accepte que les homosexuels soient visibles, ils ne sont plus obligés de se
cacher. Nombre de pays condamnent comme un délit l’homophobie. Je ne veux pas
aborder la question de l’union de deux personnes de même sexe. Je me demande
juste si pour les bien-pensants que nous sommes, partisans invétérés et
spontanés de l’hétérosexualité, l’homosexuel ne pourrait-il pas, ne devrait-il pas,
exprimer une radicalité de l’altérité ?
Il n’est pas bon que
l’homme soit seul. Nous sommes convoqués à la rencontre de l’autre, des
autres.
Votre texte est intéressant.
RépondreSupprimerJe déplore juste un peu la manière dont vous parlez du manque.
Plus précisément, une sorte d'occultation du Désir. La recherche de comblement du manque risque de s'interpréter comme une aliénation aux besoins.
Le Désir de l'autre (de l'Autre ?) me semble plus caractériser le vivant dans l'ordre de ses dynamismes profonds d'existence.
C'est alors qu'on découvre au coeur de ce Désir, l'infini du vivant, son aspect insatiable d'accomplissement (plutôt que de comblement).
Là est sans doute l'expérience la plus forte de l'altérité, c'est-à-dire de l'ouverture a plus et autre que soi-même.
Comme si nous étions en quelque sorte « constitués pour ça ».
Sinon on risque de demeurer dans la « rondeur du plein », sans cesse à la recherche du comblement de ses manques, c'est-à-dire dans une démarche plus ou moins egotique, narcissique.
(Je ne sais si je me fais comprendre…)
Je confirme, vous ne vous faites pas comprendre
SupprimerVotre phrase "Je ne sais si je me fais comprendre…" montre que vous ne comprenez vous-même pas complètement et je vais vous aider à voir pourquoi.
Tout comme le texte que vous commentez, vous n'osez pas appeler un chat un chat et vous tournez autour du pot. C'est ça qui obscurcit le sens de vos paroles. Parler en évitant à tout prix de dire.
Je vais résumer en quelques phrases le texte ci-dessus et votre commentaire:
Les textes de la Bible ont été rédigés par des hommes qui (en l'absence de la science encore inexistante) tentaient louablement d'expliquer la vie et leur propre existence. On décèle qu'ils se sont imaginé ce qu'ils auraient fait si l'être humain n'était pas homme et femme.
« Il n'est pas bon que l'homme soit seul »: que fait un homme quand il est seul?
On le sait, on s'en doute, et la femme aurait été créée pour qu'il ne le fasse pas tout seul.
Cette explication de texte traduit une perplexité courante:
"A quoi diable peut bien servir la femme!?#@?! Ah, mais bon sang, mais c'est bien sûr!"
J'avoue que je ne vous suis pas. Vous n'allez pas me dire quand même que la femme a été créée juste pour la satisfaction des besoins sexuels de l'homme? Je suis un homme, mais je ne peux pas croire à celà!
SupprimerVous avez raison, mon propos est trop rapide à ne pas assez expliciter l'articulation entre autre, différence, manque, jouissance et obturation du manque. En une page et demie, que l'on me reproche déjà d'écrire trop densément et abstraitement (le mot d'altérité), je n'arrive pas à tout dire, à dire avec assez de précision. J'espère que cela ne nuit pas au propos, ni même à sa rigueur, dès lors que le lecteur ou l'auditeur écrivent ce qui manque (c'est le cas de le dire).
RépondreSupprimerMerci pour votre lecture.
Une question que je me pose quand il est question d'Adam et Eve:
SupprimerAdam avait-il une ...zigounette?
Ma question est sans provocation, c'est une manière de se demander si Adam avait été créé dans cette complétude sexuelle et si oui, qu'était-il sensé faire de cet attirail? Parce que Dieu nous a rajouté une femme, mais il n'est pas mentionné qu'il nous ait rajouté autre chose...